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Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev à Moscou.
Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev à Moscou.
©Dmitry ASTAKHOV / SPUTNIK / AFP

Guerre en Ukraine

Dmitri Medvedev, ancien président de la Russie, se déclare maintenant en guerre contre « un monde mauvais aux habitudes lubriques ».

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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« Je vais faire un poème sur la guerre. Ce ne sera peut-être pas un poème mais ce sera sur une vraie guerre. »

La Guerre Sainte ; René Daumal.

Une pensée terrifiante nous hante, une grande peur du mal pensant : mais Medvedev, Simonian, Soloviev n’étaient-il pas, il n’y a pas si longtemps, des libéraux ouverts et curieux, des démocrates prometteurs, l’avenir brillant de leur pays ? Comme l’étaient des milliers, des millions de Russes ; comme beaucoup d’Américains qui vacillent un peu plus après les mid-term elections ; comme tant d’Européens, en Suède, en Italie, en Grande-Bretagne ou en France, et nous les connaissons tous très bien. Ce Medvedev, ancien Président « compréhensif et bienveillant » de la Russie, se déclare maintenant en guerre contre « un monde mauvais aux habitudes lubriques ». Il veut mener sa guerre sainte contre « le chef suprême de l’enfer, Satan ou Lucifer », en s’alliant à Frankenstein, aux prétoriens de Kadyrov prêchant eux-même le Djihad contre ces supposées satanistes. Ces croisés-sarrasins auto-proclamés, ces Simonian et  Soloviev, auparavant journalistes talentueux et respectés de la télévision russe, appellent aujourd’hui quotidiennement au viol, au massacre, à l’anéantissement et à la vitrification du peuple ukrainien, « frère de la Russie comme Cain et Abel  étaient frères».

Comment, chez de tels personnalités, se fait la bascule entre le dicible et l’indicible, le raisonnable et le sectaire abject, la réflexion et l’injonction meurtrière ? Comment, quand et pourquoi ? Insidieusement, inconsciemment, involontairement peut-être pour certains, ils s’enfoncent dans le délire, le défi et le déni. Et si nous étions tous des Medvedev en puissance, que nous ne le sentions pas, ne le percevions pas, ne le voyions pas ? Imbus de nous-mêmes, nous titubons pourtant, avec de grandes chances de chanceler. Collectivement, individuellement, nous sommes entraînés sur une pente mortifère, des voies de dérivation et de déviance, sans pouvoir en déceler le point de non retour.

 Que faire alors pour rester dans le droit chemin ? Collectivement, il s’agit du seul combat qui vaille. Ce n’est pas, encore, un combat militaire, puisque nous ne sommes pas officiellement entrés en guerre. C’est un combat politique.  Nous y sommes engagés, peut-être un peu tardivement comme le montrent les deux ans perdus de tergiversation aux États-Unis. Ce combat exige des personnalités charismatiques et mobilisatrices prêchant avec force et conviction l’heure du réveil, de la reprise, du sursaut, l’heure de la résistance. Volodymyr Zelensky est de cette trempe. D’autres doivent arriver ou se révéler. C’est un combat pour le récit et les valeurs, sans que nous ayons le droit de nous tromper de cible ni de prêter le flanc à des critiques parfois justifiées. Car nous ne sommes pas irréprochables. L’ambiguïté sur le terme de « valeurs » présentées comme universelles, alors qu’elles ne sont pas toujours respectées dans le monde occidental, donne des arguments aux opposants de la démocratie : elle leur permet de défendre des valeurs «traditionnelles », contre de nouvelles qui feraient moins l’unanimité.  Nos discours sur les valeurs sont parfois perçus comme une arrogance hypocrite et vacillante de l’Ouest. Sans abandonner nos principes de démocratie et de droits humains, il nous faut les promouvoir avec plus d’humilité et d’adresse et veiller à ce qu’ils soient respectés aussi dans l’Union européenne même, comme nous le faisons maintenant avec la Pologne.

Mais ce combat est peut-être aussi et surtout maintenant un combat individuel,  spirituel et culturel. Il faut nous barder, nous barrer, nous blinder ; il faut nous armer moralement. De grands anciens peuvent nous inspirer, nous guider, nous préparer. Ils sont célèbres, comme Péguy, Hannah Arendt, Boulgakov, Bernanos ou Gary. Ils n’ont jamais dévié, basculé ni sombré.

D’autres sont moins connus mais leur message est encore plus fort et actuel. Notre guerre sainte ce n’est évidemment pas celle de Medvedev. C’est bien celle de René Daumal dans son poème de 1940, un véritable appel aux armes intérieur, à lire dans son intégralité : « Au premier semblant de victoire, je m’admire triompher, et je fais le généreux, et je pactise avec l’ennemi. Il y a des traîtres dans la maison, mais ils ont des mines d’amis, ce serait si déplaisant de les démasquer ! »  Et pourtant ces ennemis sont « du vide sculpté, du néant grimé ». Contre eux la guerre à outrance. Nulle pitié, aucune tolérance. Le pacifisme est trompeur: « Voyez la jolie paix qu’on me propose. Fermer les yeux pour ne pas voir le crime. S’agiter du matin au soir pour ne pas voir la mort toujours béante. Se croire victorieux avant d’avoir lutter. Paix de mensonges, paix de vaincus,paix de trahison, paix de vendus! »

Et le prophète parle: « Je parlerai pour m’appeler à la guerre sainte. Je parlerai pour dénoncer les traîtres que j’ai nourris. Je parlerai pour que mes paroles fassent honte à mes actions, jusqu’au jour où une paix cuirassée de tonnerre régnera dans la chambre de l’éternel vainqueur. »

Le mot de guerre, conclut-t-il, n’est plus aujourd’hui un simple bruit que les gens instruits font avec leur bouche, c’est maintenant un mot sérieux et lourd de sens …

Préparons-nous donc, endurcissons-nous, aguerrissons-nous !

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