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Médicaments : pas d’industrie pharmaceutique de pointe sans être capable de maîtriser la production de base
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Souveraineté sanitaire

Emmanuel Macron effectue un déplacement dans une usine Sanofi ce mardi. Après les failles révélées lors de la crise sanitaire, notamment sur la pénurie de masques et sur la dépendance à la Chine pour certains médicaments, est-il possible d'atteindre rapidement une souveraineté sanitaire ?

Atlantico.fr : Emmanuel Macron est en visite ce mardi dans une usine Sanofi dédiée à la production de vaccins. En quoi est-ce un enjeu majeur ? 

Sébastien Laye : L'enjeu majeur derriere sa visite, est le constat, que nous faisons dans cette note, de l'effondrement de notre souveraineté sanitaire durant la crise du Covid. La France consacre 11% de son PIB à la santé, la part la plus importante des pays membres de l’Union européenne, : Plus qu’un problème de moyens, la crise de l’hôpital est surtout due à un problème d’organisation, d’excès bureaucratique et d’autonomie des acteurs. La France compte trop peu de médecins par habitant en dehors de l'hôpital et trop de personnels de santé non médicaux. La France a peu à peu abandonné le stockage de médicaments dans les laboratoires, opérant en flux tendus.  Notre systeme de santé, réputé un des meilleurs au monde, n'a pas pu s'appuyer sur un appareil industriel performant: la crise sanitaire a malheureusement mis en exergue la désindustrialisation du pays. Car c'est bien l'industrie francaise dans son ensemble qui a vu son poids dans l'économie fondre de moitié en trente ans, de 20% à 10% du PIB; ainsi, certes notre système de santé n'était pas aussi bien organisé que d'aucuns ne l'imaginait, mais surtout il n'a pu s'appuyer sur un appareil productif solide. La France reste un poids lourd de l’industrie pharmaceutique - c’est le deuxième marché européen, derrière l’Allemagne, et le cinquième au niveau mondial - mais sa part de marché a fortement chuté en l’espace de 10 ans. Perclus de taxes spécifiques, aussi peu compétitif que le reste de l'industrie, l'industrie du médicament, et meme du médicament de base (pour les réanimations notamment) était pourtant un acteur essentiel dans le dispositif de lutte contre le Covid.

Comment, selon vous, parvenir rapidement à une souveraineté sanitaire ? 

Je fais des propositions précises dans cette note, fiscale ou d'organisations de filières, dont les acteurs économiques eux memes et les pouvoirs publics doivent se saisir. Je propose de créer un cadre fiscal vertueux pour toute l'industrie, via la création d’un suramortissement spécifique à l’outil industriel basé en France, ou crédit d’impôt production. Deuxièmement, 20% des commandes publiques pourraient être réservées aux PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) françaises et même 40% pour ces produits médicaux de première nécessité mis en exergue par la crise du coronavirus : la commande publique aura un effet d’entraînement sur la reconstitution de cette filière industrielle. Par ailleurs, je recommande de doper la production de médicaments génériques sur notre sol via un assouplissement du cadre réglementaire (il faut ici sortir du cadre européen ou trouver un accord avec nos partenaires européens sur la fameuse clause Bolard. Je conseille aussi d’accélérer le parcours administratif des nouveaux médicaments avant leur mise sur le marché en France. Notre pays pourrait en outre regrouper les technopoles dédiées à la santé autour de centres de production de médicaments simples ou génériques, ou intégrer les sites de production de ces derniers dans les technopoles santé existants, pour favoriser les interactions entre productions d’éléments de base et productions plus complexes. Par ailleurs, pour développer la biotechnologie et les biogénériques en termes de production sur notre sol, un GIE pour la bioproduction (qui regrouperait centres de recherche, entreprises pharmaceutiques, génériqueurs français et pouvoirs publics) pourrait être créé.

Pouvons nous imaginer que des industriels commencent à tirer des leçons de leurs erreurs passées ? 

Les industriels eux memes ont parfois cédé aux sornettes d'un modèle éclaté, sans usines en France, supposément agile. La mondialisation facile, la fiscalité peu clémente sur notre territoire ont favorisé l’abandon des productions relativement simples au profit de produits plus complexes. Nos pouvoirs publics et nos industriels ont peu etre trop vite lu ou mal compris Ricardo, dont la théorie des avantages comparatifs concernaient les biens de consommation.

Notre industrie de la santé s’est ainsi retrouvée incapable de produire des médicaments de base, pourtant essentiels dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Mais il y a pire..ce que les industriels redécouvrent à nouveau, c'est que pour produire du complexe, dans le médicament comme l'aéronautique, il faut savoir produire du simple, les building blocks et maintenir cette production de base à proximité: sans quoi on finit par perdre ses compétences. Le discours de spécialisation et de soi disante concentration sur les produits à haute valeur ajoutée est une impasse industrielle: la France a fini par perdre sur les deux tableaux comme l'illustre cette Bérézina sanitaire. Les industriels en sont conscients et ont commencé à rectifier le tir, mais il est plus facile dans un pays comme les USA, où les pouvoirs publics réaffirment une doctrine claire en la matière depuis trois ans , qu'en France, d'opérer ce changement.

Pourquoi, selon vous, toutes les mesures sont indissociables d’une vision intelligente, souple et réactive de notre gouvernement ?

C'est le propre de l'art de gouverner d'etre un art du discernement. Enraciné dans des convictions profondes, il faut les confronter au Réel et les traduire en actions à l'aune des circonstances. Le choc de cette crise est telle que le monde industriel,  et au delà les acteurs économiques, n'attendent pas du gouvernement une redéfinition des grands enjeux, une nouvelle vision (on ne batit pas celà en trois mois, c'est la raison pour laquelle nous avons des campagnes électorales) ou des envolées lyriques: il faut prendre les problèmes à bras le corps. A cet égard, la contraction industrielle est telle, en partant d'un niveau déjà bas, que le gouvernement doit faire preuve de volontarisme et de pragmatisme: j'attends aujourd'hui (mardi 16 Juin) des décisions fortes de Macron lors de sa visite d'une usine, des annonces sur la fiscalité, le droit pharmaceutique, et au delà les prémices de sa nouvelle ambition industrielle. Un roboratif psitaccisme avec un discours grandiloquent serait contreproductif: que Macron écoute les acteurs de terrain pour rétablir notre souveraineté sanitaire et industrielle.

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