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Médecins en colère : mais que représente vraiment le poids de la paperasserie dans la vie des docteurs ?
©Reuters

Des papiers et des actes

Le Conseil National de l'Ordre des Médecins a présenté le 26 janvier son Livre blanc pour sauver la médecine française. L'objectif est d'influer sur les candidats à la présidentielle. Une de leurs plaintes principales est la charge de la paperasserie.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

Voir la bio »

Atlantico : Concrètement, comment se manifeste la charge administrative des médecins et quelles sont ses conséquences ?

Patrick Bouet : Nous constatons pour notre part que la barque des professionnels a été chargée en général – pas seulement dans le monde libéral d'ailleurs – par la complexification permanente des charges administratives qui leur sont imposées. Je vous en donne un exemple au sujet de l'entrée dans des établissements pour les personnes âgées. Il a fallu 4 ans de combat permanent pour passer d'un questionnaire par établissement à un questionnaire unique. Ainsi, lorsqu'un médecin recevait une personne âgée, il était amené à remplir 8, 9, 10 questionnaires différents pour le même objectif, à savoir qu'une personne entre dans une institution. Voici l'exemple-même de ce qui aujourd'hui pèse sur le médecin dans son exercice, que ce soit en libéral ou à l'hôpital. Il est étouffé par des charges administratives diverses qui naissent des demandes de l'assurance maladie, des collectivités territoriales, du Ministère de l'Education nationale, de ses relations avec les autres établissements, de la gestion de l'organisation du service à l'intérieur de l'hôpital, des multiples réunions de gestion qui sont mises en place. Tout ceci crée autour du professionnel un poids qui l'éloigne du soin pour faire de lui un gestionnaire administratif. C'est une situation que les médecins aujourd'hui dans la grande consultation nous ont signalé de façon très largement majoritaire quel que soit le mode d'exercice. Nous souhaitons sortir du choc de complexification pour aller vers le choc de simplification sur l'ensemble de ces missions administratives.

Sauveur Boukris : Au niveau du paiement, c'est la télétransmission qui nous prend du temps. Les patients assurés ont une carte vitale. Le médecin doit la passer pour enregistrer la consultation. Ils doivent aussi vérifier s'ils sont à 100% ou non, s'ils payent ou non le tiers-payant, si le praticien est le médecin traitant, etc. Il y a donc toute une manipulation au niveau de l'ordinateur qui demande un certain nombre de vérifications chronophages.

Et si le tiers payant est généralisé, il faudra aussi s'assurer a posteriori que la mutuelle qui doit régler la part complémentaire paye bien au praticien la partie ticket modérateur de 6,90€ sur les 23€ de la consultation. Au final, pour percevoir 6,90€ vous perdez du temps et de l'argent. Cela n'est pas très rentable.

A cela il faut rajouter le travail relatif aux patients qui bénéficient de la CMU (Couverture Maladie Universelle) mais qui n'ont pas de carte vitale : tous les numéros d'immatriculation de la CMU papier doivent alors être enregistrés. Et c'est pareil pour les AME (Aides Médicales d'Etat) dont bénéficient les étrangers. On a créé des sous-groupes entre ceux qui payent, ceux qui sont au tiers payant, ceux qui ne payent que le ticket modérateur, ceux qui sont en ALD (Affection Longue Durée), ceux qui ont la CMU et ceux qui ont l'AME. Il faut jongler et faire du cas par cas administratif à chaque fois.

Tout cela demande énormément de temps en vérifications, pendant et après la consultation. Si le médecin a une secrétaire, c'est elle qui peut faire ce travail. Mais dans ce cas cela représente un surcoût de charges. Sinon, c'est au médecin de s'en charger et cela représente une réelle tracasserie administrative qui amène à passer beaucoup de temps à faire autre chose que de la médecine.

Les médecins perdent aussi énormément de temps dans le cadre des protocoles de soins. Il faut remplir un formulaire en tant que médecin traitant et cela met bien 10 minutes à un quart d'heure à chaque fois pour faire les papiers pour que le patient perçoive le remboursement intégral de sa future consultation chez un spécialiste.

D'après vous, que pourrait-on faire de mieux ? Que pensez-vous qui puisse être évité ?

Patrick Bouet : Il faut faire la différence entre ce qui est du domaine de l'acquisition des droits – quels qu'ils soient d'ailleurs – et le domaine de la signature médicale nécessaire pour exercer une activité ou prétendre à une autorisation notamment sur le plan de la compatibilité entre la santé et l'activité développée. En d'autres termes, à quoi sert-il aujourd'hui de demander à un médecin de faire un certificat pour dire qu'une personne doit bénéficier d'une exonération de son préavis pour quitter un logement ? Pourquoi demander une raison médicale ? Pourquoi aujourd'hui dire aux médecins dans le cadre de l'assurance maladie qu'ils vont bénéficier de rémunérations forfaitaires et qu'ils vont devoir passer une heure pour remplir l'ensemble des items et des critères pour pouvoir y prétendre ? Il y a de nombreuses choses qui aujourd'hui créent des situations de complexité alors que ces tâches-là peuvent être, soit effectuées par du personnel administratif dédié, soit simplifiées.

Sauveur Boukris : Je pense qu'il faudrait qu'il y ait un système de caisse unique, un organisme collecteur qui regroupe tout. L'idéal serait que le médecin généraliste soit payé 23€ intégralement et que les caisses se gèrent entre elles. Le système de tiers payant généralisé demande une vérification de toutes les données. Et ce n'est pas simple car il y a beaucoup de retours. Ce système représente du temps perdu et du manque à gagner.

Je pense aussi que ces sous-catégories de malades – CMU, AME ou ALD – posent problème. Une uniformisation éviterait beaucoup de paperasses.

Actuellement, c'est au médecin de faire le travail de la Sécurité sociale et c'est cela qui nous pose problème dans l'exercice de notre profession. Cela représente une surcharge de travail très importante, donc du temps pour le médecin ou un surcoût si cette partie est gérée par une secrétaire.

Qu'est-ce que cela représente vraiment en investissement, en temps, en coûts ?

Patrick Bouet : Il est difficile de donner des chiffres car aucune étude valable n'existe aujourd'hui. Ce que l'on sait c'est que le temps administratif ampute d'un tiers environ le temps médical que le médecin peut consacrer au patient. Ce que l'on sait aussi c'est que pour compenser cette activité, il doit accélérer l'acte et le nombre d'actes qu'il fait dans le monde libéral. Dans le monde hospitalier, il doit élargir le temps d'activité de sa présence. Mais aucune étude sérieuse ne permet d'évaluer les coûts, donc de savoir quels seraient les investissements nécessaires. Nous affirmons pour notre part que, compte tenu de l'acquisition de temps médical supplémentaire, l'investissement économique sera de toute manière rentable en matière de production de soins.

Sauveur Boukris : Idéalement il faut une secrétaire, ce qui représente environ 2500€ de salaire et de charges. C'est une somme non négligeable qui est prise sur le chiffre d'affaires.

Quant au temps passé à l'ensemble de ces tâches administratives, il faut bien compter deux heures de travail par jour consacrées uniquement à cela. L'enregistrement des numéros d'immatriculation des patients et la vérification des paiements par les mutuelles, c'est du temps pris sur le classement, sur les courriers à taper, etc.

La rémunération actuelle du médecin qui fait des soins, de la prévention, de la vaccination, etc ne tient pas compte de l'ensemble de ce travail administratif. Certes, il faut bien que quelqu'un le fasse. Mais je pense qu'il faudrait simplifier les procédures, ou rémunérer davantage les médecins afin qu'ils puissent se décharger de ce fardeau sur une secrétaire.

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