Médecine "libérale"désespérée : naufrage ou étatisation ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des médecins libéraux manifestent le 14 février 2023 à Paris.
Des médecins libéraux manifestent le 14 février 2023 à Paris.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Santé publique

Tous les syndicats de praticiens libéraux ont appelé à la fermeture des cabinets médicaux et à manifester en ce mois de février pour obtenir de meilleurs tarifs et bloquer une réforme qui facilite l'accès à d'autres soignants.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico: Les médecins libéraux étaient en grève. Le dénigrement de la médecine de ville au profit du tout hospitalier semble être à la racine intellectuelle du problème. A quel point les haut fonctionnaire et les décisionnaires de la santé sont-ils tous issus d'un même moule intellectuel qui favorise cette hiérarchisation ( Aurélien Rousseau, Marguerite Cazeneuve, Thomas Fatome, etc.) ? D'où vient l'erreur intellectuelle initiale qui a provoqué le naufrage de la médecine libérale ?

Guy-André Pelouze : Pour ne pas céder à l'immédiateté il faut mettre les faits actuels en perspective.

NOS PARENT ONT CONNU UNE MEDECINE DE RECOURS

Nous allions chez le médecin pour des causes sérieuses et on demandait avec parcimonie une visite à domicile pour des raisons très sérieuses. Les urgences hospitalières étaient indiquées pour les cas extrêmement graves. La demande était régulée par le reste à charge (ce que vous sortez de votre porte monnaie) et la culture économique intuitive selon laquelle la ressource de soins est épuisable si elle est abusée. La santé en général était basée sur le mode de vie et la médecine perçue comme un recours contre l’aléa ou l’accident.  Les maladies bénignes étaient traitées par l’attente de leur résolution spontanée. Le recours aux médicaments était mesuré. L’arrêt de travail réservé aux causes graves.

NOUS VIVONS DEPUIS LES ANNEES 80 DANS UN SYSTÈME DE CONSOMMATION DE SOINS

Sous la poussée des idées de gratuité qui ont été portées par des politiciens démagogues (chacun sait que la gratuité n’existe pas et que la consommation de biens et services médicaux est bien payée in fine par nos impôts, nos cotisations ou de la dette publique sous forme d’obligations d’état); sous la poussée du corps médical qui trouvait là une rente; sous la poussée des élus locaux qui ont hypertrophié le système hospitalier en particulier les urgences en passant pour des sauveurs, nous sommes entrés dans une médecine de consommation. La demande est devenue très supérieure à l’offre et elle n’est plus corrélée aux besoins. Qu’à cela ne tiennent les mêmes forces politiques ont fait croire aux Français qu’il fallait dépenser plus, agrandir les hôpitaux, multiplier les services d’urgence, rembourser tous les soins et en particulier ceux qui n’ont pas trait à une maladie sérieuse ou n'apportent aucun bénéfice. Pire, ils ont poussé au remboursement de convenances allant des transports médicaux dans des véhicules à vitres fumées, aux cures thermales, aux chaussures orthopédiques parce que j’y ai droit, à la pilule, aux préservatifs et à des arrêts de travail extravagants. La liste réelle est impressionnante. Il n’y a aucune preuve que cette hyperconsommation de soins ait une influence favorable sur l’espérance et la qualité de vie, il existe au contraire des preuves significatives inverses. Iatrogénie, surconsommation médicamenteuse, interventions inutiles, complications infectieuses, il est bien établi que 30% de la dépense de soins actuelle est inutile.

CELUI QUI DIT LA VERITE EXT EXCOMMUNIE

Dans l’immédiateté des réactions émotionnelles à chaque fait divers, tout ce que j’ai décrit précédemment n’a aucune importance car dans le débat médiatique le bannissement menace celui ou celle qui voudrait limiter les remboursements aux soins qui apportent un avantage aux patients. En réalité, c'est notre capacité d’endettement qui est la limite réelle. Car avec des dépenses sociales de plus de 900 milliards nous n’avons plus le choix: il faut expliquer que les soins tels que nous les dépensons sont au dessus de nos capacités de création de richesse et ne contribuent plus à une meilleure espérance de vie. Ces deux faits sont à garder à l’esprit car ils devraient permettre de comprendre la suite.

QUE SE PASSERAIT-IL SI UN MONOPOLE D'ETAT DEVENAIT LE PAYEUR UNIQUE DES SOINS ?

D'abord rien; ensuite progressivement nous aurions une pénurie de médecins, d'infirmières, de médicaments, de lits de soins intensifs et d'innovation. Cette question n’est pas rhétorique, elle aurait dû être posée aux Français mais au lieu de cela le monopole leur a été imposé. Car la dérive que j’ai décrite dans la consommation de soins n’a été possible que depuis l’étatisation progressive et maintenant totale du système. Cette étatisation comprend: le monopole de la sécu interdisant toute offre assurantielle alternative, l’obligation de cotisation au monopole sans contrat, la convention unique pour les professionnels du soin, les préfectures du soin (ARS) depuis les ordonnances Juppé, des tarifs décorrélés du coût économique des médicaments, des actes et des séjours hospitaliers. Dans ce contexte et malgré le stakhanovisme de la génération précédente, la médecine non salariée est en train de s’effondrer. C’était prévu, car personne ne résiste longtemps à un système de monopole sans que la pénurie s’installe. L’industrie en a apporté la preuve, énergie, médicaments, et d’autres productions sont sinistrées. La pandémie, l’invasion de l'Ukraine ne sont que des facteurs conjoncturels de révélation brutale de la cause.

LA MEDECINE AMBULATOIRE EST LE PILIER PRINCIPAL DU SYSTEME DE SOINS ET CONTRIBUE A LA SANTE PUBLIQUE

La technostructure du système de soins en France est devenue une bureaucratie très idéologisée

Il est dans la logique de l’étatisation que la technostructure, qui ignore les besoins des Français et la pratique de la médecine, demande encore plus d’argent et pratique un hospitalo-centrisme encore plus exclusif. La leçon de la pandémie n’a pas été apprise car d’une manière générale la technostructure règne sans partage: les ARS ont échoué, développons les (un politicien a même demandé de les multiplier dans chaque département); les hôpitaux ont échoué dans la prise en charge de la pandémie, qu’à cela ne tienne il ne fallait pas que les laboratoires, les médecins ou les infirmières “fassent du fric sur la pandémie”; les hôpitaux privés ont des lits de soins critiques libres, certes mais c’est l’hôpital public qui doit être privilégié car “il a les compétences”…

Ce discours est à l’évidence idéologique. Oui la technostructure du système de soins est monopolisée par des personnes qui ont une idéologie ultra-étatiste et dans une certaine mesure contre productive pour les patients. En particulier ces responsables s’occupent de tout sauf de gérer les hôpitaux dont certains sont actuellement passablement administrés et qui consomment 84,1 milliards de dépenses de soins… Ils ne gèrent pas non plus les transports sanitaires ou les biens médicaux tous deux en forte augmentation sans explication médicale. Alors que dans les discours le leitmotiv est que nous devons maintenir un système épuisé soi-disant parce qu’il est issu du Conseil National de la Résistance force est de constater qu’il n’a plus rien à voir avec l’inspiration et les fondements de ce dernier.

Depuis les années 2000 les innovations en médecine ont déplacé la création de valeur et l’utilité sociale de l'hôpital vers la médecine ambulatoire

Biologie avec 50 microlitres de sang au bout du doigt, diagnostic ambulatoire de nombreuses affections, imagerie non invasive par résonance magnétique, traitements [1] lourds en séjour de quelques heures, interventions sans hospitalisation, tout se passe ou presque en ambulatoire. L’hôpital public ou privé est le lieu de soins lourds, précis, programmés et personnalisés avec des durées de séjour ultra-courtes. Comme on n’opère plus pour voir, on ne doit plus hospitaliser pour voir et attendre des examens. Pour les urgences réelles qui le plus souvent arrivent avec le SAMU/SMUR les séjours ont aussi été raccourcis et le besoin actuel est celui de lits de soins critiques et moins de lits “hôteliers”.

Ne sous-estimons pas la responsabilité des médecins dans cette étatisation

Il est inutile de dénoncer cette mainmise de l’administration sur le système de soins car les principaux intéressés, médecins, infirmiers, kinés et autres ont le choix de sortir du conventionnement unique. Ce d’autant que la pénurie générée par ce système leur en fournit l’occasion. Il n’y a en réalité plus de médecine “libérale” ni d’infirmiers “libéraux”. Il y a des professionnels du soin employés de l’état, certains salariés et d’autres payés à l’acte. Tous par l'État-sécu-monopole. Tout le monde s’en moque mais nous sommes très rares en Europe à avoir choisi cette voie sans issue car elle est sans concurrence. Et pour cause, tout système monopolistique est fragile. De fait, nous arrivons au bout et le basculement vers une médecine d’état s’est déjà produit. Rien ne fonctionnera plus comme avant car les professionnels du soin font une grève à la Ayn Rand. Non pas celle qui singe la CGT et s’avère une stupide perte économique mais celle de partir à 17h tous les jours ou bien de partir tout court.

Des réformes bâclées

J’ai écouté Mr Fatome ébaucher en constructiviste approximatif le futur de la médecine français à partir d’un copier/coller du NHS britannique[2]. “Embauchez des collaborateurs!” Dit-il. Le mot magique, toujours assorti d’un acronyme qui est à la HFP (Haute fonction Publique) ce que la particule était à l’ancien régime, est IPA (Infirmière en Pratique Avancée). La tartufferie a des chances de convaincre. Dans le meilleur des cas la sécu clame que ce pourrait être 7000 euros de plus pour chaque médecin alors qu’une embauche à 2000 euros nets par mois c’est un coût (hors risques de licenciement et autres) de 40459 euros par an…Il faudrait alors facturer en soins de pratique avancée 3678 euros par mois d’activité. Les 7000 euros sont une paille. Chacun fera ses calculs. Rappelons simplement à Mr Fatome que la consultation du médecin généraliste à Londres est plutôt autour de 150£! Rappelons que cette structure du NHS qui est intéressante en termes de prise en charge et de gate keeper est financée par le NHS pour tous les intervenants recrutés et que ces derniers travaillent sous la coordination du médecin. Mettre en place une telle structure demande autre chose que le discours stigmatisant actuel. [3] 

QUEL AVENIR POUR LES FRANÇAIS ?

Comme pour d’autres sujets les sparadraps vont continuer. Les députés approuveront des lois dans l’urgence. Comme me l’a fait remarquer un de mes pairs, cette loi Rist, par exemple, n’est ni plus ni moins que la résurrection des officiers de santé de 1793. Certainement pas la naissance d’une équipe. À chaque quinquennat suffit sa peine. Le précédent ayant écarté les réformes structurelles, celui-ci sera consacré à ajuster les paramètres d’un autre monopole d'état, celui des retraites. Il est possible que le collapsus lent et silencieux du système de soins, après celui de la santé publique pendant la pandémie, se poursuive sans encombre jusqu’à la prochaine présidentielle. Et les promesses les plus démagogiques reprendront. Au terme les Français seront appauvris (car une dette de plus de 3000 milliards appauvrit un pays) et dans la douleur nous en viendrons à un système ouvert où assureurs et producteurs de soins proposeront une meilleure qualité et une garantie des délais de soins avec des contrats moins onéreux. Dans ce marché régulé la Sécu aura naturellement une place majeure pour au moins trois raisons:

1/ Certains Français sont attachés à un service public des soins mais constate son déclin et son inefficience

2/ Il y a à la Sécu assurance maladie des ressources rares de gestion du système qui sont empêchées par le statut actuel et la main paralysante de l’état

3/ La concurrence fait toujours du bien dans la production de services car elle permet l’innovation et le choix, en l'occurrence celui d’un contrat qui me convient. La sécu s’en sortira très bien comme le démontrent certains pays européens.

Atlantico: Que va t'il se passer techniquement au niveau des négociations de la Convention?[4]

Cette Convention unique et qui concède l’exclusivité de l’exercice à la sécu est un piège. Pour que les négos soient équilibrées il faudrait deux conditions irréfragables:

1/ dès l’ouverture des négociations au terme du précédent contrat les médecins redeviennent libres et font le choix ou non de signer le contrat au terme des négociations. Ce n’est bien évidemment pas le cas ce qui produit une asymétrie d’informations et une faiblesse dans la négociation puisqu’il ne reste plus que la grève des soins qui est illégale.

2/ Les syndicats ne peuvent négocier une convention où de l’argent sous quelque forme que ce soit soit distribué à ces organisations. En effet le conflit d'intérêt est majeur et les sous de la politique conventionnelle sont là pour faire peser une menace de disparition des organisations syndicales qui ne signeraient pas. Or pour la plupart, elles ne peuvent vivre sans ces subventions…

Pour autant il existe une grande incertitude quant au pourcentage de médecins susceptibles de  se déconventionner. Le remboursement des soins en cas de non conventionnement étant dissuasif pour la clientèle, on ne sait pas ce que serait la réaction des patients. C’est la prime au statu quo sur laquelle mise la sécu.

Atlantico: Que peut faire le gouvernement?

En effet, le gouvernement a toutes les manettes. Ce que l’on peut observer c’est que les décisions récentes éloignent les médecins de l’exercice clinique. De récentes statistiques du CNOM semblent le démontrer:

- au niveau des études médicales : désaffection de la médecine générale. Les jeunes vont fuir la spécialité mal rémunérée et où les contraintes d'exercice sont les plus importantes

- après les études : départs à l'étranger, reconversion vers des disciplines moins contraignantes (esthétique, laser...) ou avec des actes techniques plus rémunérateurs (gynécologie médicale...)

- en fin de carrière : départ anticipé à la retraite des médecins qui n'en peuvent plus et qui ne veulent pas subir les cadres très contraignants et inefficaces de la sécu.

Il est possible de se demander si l’allongement des études et la fausse carotte de la spécialité de médecine générale n’a pas contribué à cet éloignement de la pratique clinique.

Ces différentes considérations indiquent que le gouvernement doit encore une fois s’inspirer de ce qui se passe en Europe et réduire la durée des études initiales en associant un contrôle continu. Ensuite, il faut le redire, la pratique clinique doit être rémunérée très au dessus des pratiques alternatives. Car elle est difficile, risquée et délaissée. Le système conventionnel actuel est dangereux car il ne répond pas à ces objectifs et aggrave les départs de médecins vers des activités non cliniques.

En résumé ce qui n’a pas été fait par manque de courage et en raison d'obstacles au changement qui sont légion dans ce pays se paye maintenant. C’est une raison suffisante pour commencer. Beaucoup au sein même de l’État en sont persuadés mais qui pour le faire?

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