Matteo Renzi, le nouveau protagoniste de la politique italienne : loup ou caniche ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Matteo Renzi, leader du Parti démocrate italien.
Matteo Renzi, leader du Parti démocrate italien.
©Reuters

Double jeu

Le leader du Parti démocrate italien (PD) Matteo Renzi a été chargé de former le prochain gouvernement.

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto, diplômé en Sciences Politiques (Université de Turin), a d’abord travaillé pour différents organismes parapublics italiens et français avant de rejoindre le secteur financier où il s’occupe de marketing. Historien passionné et très attentif aux évolutions politiques, il rédige depuis environ trois ans un blog d’opinion : « Un regard un peu conservateur ».

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Il est opinion assez courante soutenir que le niveau de ses écoles est un infaillible baromètre de la santé d’un état. Que dire alors à propos du commentaire lâché sur le vif par un député italien juste après une honteuse empoignade à la Chambre des Députés italienne, où les injures et les gros mots abondèrent : « Le Parlement n’est pas un lycée » ? Hélas, si dans l’imaginaire collectif le lycée n’est pas un endroit d’élévation des jeunes esprits mais un ramassis d’énergumènes du type « les sous-doués », alors la comparaison avec les parlementaires italiens est des plus pertinentes.

Le prétendu héritier de Niccolo’ Machiavelli, fiorentino

Que vient donc de se passer dans celui qui n’est toujours pas un pays normal ? Rappel des épisodes précédents : en 2013 les urnes offrent au pays une Chambre « introuvable » et face à la menace du chaos grandissant le très âgé Giorgio Napolitano, président de la République sortant, accepte de rester pour un deuxième mandat, mais à la condition que les trois principaux partis s’accordent pour former un gouvernent d’union nationale. Recommandation aussitôt exécutée, et le quadragénaire Enrico Letta devient président du Conseil des ministres, soutenu par le Partito Democratico (centre-gauche), le Popolo della Libertà (centre-droite) et Scelta Civica (centre-centre, le très minoritaire parti qui se serre autour de Mario Monti). Cette coalition bariolée survit jusqu’au mois de septembre, quand, jugé coupable en voie définitive et menacé d’expulsion du Sénat, Silvio Berlusconi brandit la menace suprême : en cas de déchéance, il retirera son soutien au gouvernement d’Enrico Letta, en provoquant sa chute : après moi, le déluge ! Mais la partie la plus modérée du Popolo de la Libertà ne suit pas son ancien condottière dans son choix radical et le dauphin de Mr Berlusconi, Angelino Alfano, prend la tête des sécessionnistes et sauve la majorité gouvernementale. Tout revient au calme ? Absolument pas ! Tandis que Beppe Grillo poursuit ses éructations verbales et que ses députés se lancent dans un concours quotidien de vulgarités et gestes obscènes dans l’enceinte du parlement (attitudes qui ont provoqué la comparaison avec un lycée citée ci-dessus), le Partito Democratico, en plein marasme et sans leadership ni stratégie, se choisit comme chef (via l’infaillible méthode des primaires), le jeune maire de Florence, Matteo Renzi, qui avait déjà brigué le mandat il y a un peu plus d’un an et avait été battu par Pierluigi Bersani (qui actuellement se remet d’un AVC). Le néo-secrétaire du parti ne perd pas de temps et déroute plus d’un ancien camarade : a peine élu, s’attelle au projet de reforme du système électoral, serpent de mer de la politique italienne et véritable casse-tête (une vieille histoire drôle de la politique italienne des années cinquante prétendait que, dans les asiles pour aliénés, les hôtes les plus nombreux, juste après ceux qui se croyaient Napoléon, fussent ceux qui voulaient assainir les comptes des chemins de fer… En hommage à l’actualité, nous compterions parmi cela aussi ceux qui veulent reformer le système électoral…). Et pour ce faire, le digne compatriote de Niccolo’ Machiavelli s’allie avec… Silvio Berlusconi, lequel jusqu’à l’instant précédent était frappé par la gauche du sceau de l’infamie comme étant un proxénète, corrupteur de mineurs, fraudeur du fisc et d’autres semblable aménités… D’un seul coup, le pragmatique mais inexorablement pas fin Monsieur Renzi (sans doute « finaud », mais pas « fin » au sens italien du mot, que nous pourrions traduire comme un mélange de courtoise, distinction, discrétion et bonnes manières) a oublié toute la vertueuse indignation que la gauche italienne professe contre Berlusconi depuis vingt ans et a ainsi légitimé encore une fois le vieux Cavaliere comme grand protagoniste de la politique italienne. Mais les gestes de Matteo Renzi ne s’arrêtent là. Celui qui s’est choisi comme nom de bataille « Rottamatore » (celui qui envoie à la casse) s’est donc emparé du Parti Democratico, un parti qui, avec une jolie formule, a été récemment défini « en congrès permanent », tant ses factions internes n’ont cesse de se chamailler et de bruler les secrétaires l’un après l’autre. Pour assoir sa toute nouvelle renommée, il n’a rien trouvé de mieux à faire que de provoquer la chute du gouvernement d’Enrico Letta, pourtant issu du même parti et ayant les mêmes origines, c'est-à-dire la jeunesse catholique et proche de la Démocratie Chrétienne des années 1990…

Le droit constitutionnel, cet inconnu

La manœuvre est, toutefois, loin de faire l’unanimité. Si on se fie à un sondage du quotidien turinois « La Stampa » auprès de ses lecteurs, environ 45 % des interviewés regrettent que la chute du gouvernement Letta ne soit pas advenue devant le parlement, par le biais d’un vote de défiance, ce qui aurait été constitutionnellement correct. Effectivement, le procédé laisse perplexes : oublions l’ambition personnelle immodérée et mal cachée de Matteo Renzi, car il serait naïf de rechercher un homme politique dépourvu de cela, et sa volonté de s’imposer rapidement, observons plutôt attentivement les faits des derniers jours : jeudi 13 février Renzi convoque la direction du parti (qui représente la composante la plus numériquement importante de la coalition gouvernementale, mais pas sa totalité) et décide de priver Enrico Letta de son soutien, avec une désinvolture qu’aucun gentleman n’aurait jamais utilisé pour congédier un domestique. Plus surprenant encore, nous ne comprenons pas l’immédiate reddition de Monsieur Letta. Pourquoi a-t-il cédé face à l’arrogance de Renzi ? Pourquoi n’a-t-il pas simplement pris acte de la décision du Partito Democratico pour se présenter ainsi devant le parlement, en demandant un vote de confiance, à l’issu duquel il aurait pris la décision ou non de remettre son mandat dans les mains du président de la République ? Enrico Letta cède à la violence, violence certes non physique, mais violence d’un passage en force sans respect aucun des règles institutionnelles. Dans la tant décriée « Prima Repubblica » (de 1946 à 1994), les partis et leurs jeux de pouvoir étaient au cœur de la vie politique, les « correnti » (factions au sein d’un parti) faisaient et défaisaient les gouvernements, mais leur chute se faisait toujours par un vote du parlement. Autres temps, autres mœurs… Il a fondamentalement raison Silvio Berlusconi lorsqu’il affirme vendredi 14 février avoir été le dernier Président du Conseil élu à la suite d’une victoire électorale : depuis 2011 l’Italie a connu une sorte de « Commissaire Extraordinaire » avec Mario Monti et un « Gouvernement de par la volonté du président de la République » («governo del Presidente ») avec Enrico Letta. Mais si ces deux derniers représentaient la seule solution dans une situation d’urgence financière et/ou institutionnelle, le « golpe rose » de Matteo Renzi nous fait penser à la… Marche sur Rome de 1922, lorsque Benito Mussolini s’empara du pouvoir. Alors comme actuellement, en profitant de la faiblesse du pouvoir en place, un individu déterminé et débordant d’égo impose sa volonté au parlement, en jouant un phénoménal coup de bluff institutionnel. Et, à tous ceux qui sont à jeun d’Histoire, nous rappelons que Benito Mussolini à l’origine était un socialiste… Reste le fait que le parlement italien est toujours en place, et que la (courte) majorité dont Monsieur Renzi croit disposer est telle seulement sur le papier.

Un peu de psychologie et l’ombre de Fra’ Girolamo

Observons maintenant le personnage Matteo Renzi au delà du seul prisme politique. Tout dans sa personne fait ressortir une immense assurance et très peu d’auto-ironie. Le cou puissant et le port de la tête font penser sans concession aucune à certains héros du cinéma populaire des années Cinquante, adeptes du raisonnement binaire et d’une vision du monde limitée au noir et au blanc. Et, si cela ne devait pas suffire, focalisons nous sur le regard du maire de Florence : assez fixe, presque dénué d’expression, un peu bovin… Cet homme ne semble être effleuré par le moindre doute, le moindre questionnement quant à ses actions et ses projets. Non que une certaine assurance soit un mal pour affronter la vie, mais l’absence de doutes (et de scrupules ?) est à nos yeux un défaut dans toute être humain, car elle lui empêche de comprendre les raisons de l’autre, chose assez ennuyeuse pour un homme politique qui prétende au fauteuil suprême, à part dans un régime dictatoriale… Mieux, mille fois mieux un roublard tel Silvio Berlusconi, un agitateur tel Beppe Grillo, ou encore Giulio Andreotti, tous intimement conscients que tout, au fond, n’est qu’une vaste comédie à l’issue incertaine. Le « Rottamatore » semble en revanche être habité par la froide volonté des jacobins convaincus d’être les seuls détenteurs du pouvoir…  Véritable volonté d’acier ou colossale esbroufe ? La nature intime de Matteo Renzi est-elle celle d’un loup ou plutôt celle d’un caniche hargneux, prêt à s’enfuir devant un adversaire plus rude que lui ?

Mais qu’importent ces considérations sur la psychologie et la bienséance politique, alors que Matteo Renzi nous promet le renouveau et une nouvelle moralité des élus ? Si le nouveau Florentin de la politique italienne prenait le temps de se promener dans la galerie des portraits de ses illustres concitoyens, il lui conviendrait de méditer longuement devant celui de Girolamo Savonarola, dont voici l’histoire brièvement racontée. L’action se situe à Florence, à la fin du 15ème siècle : la cité des Medici vivait une période trouble ; après la mort de Laurent le Magnifique et la fuite de son successeur, la ville s’était érigée en république et la véritable influence, le véritable pouvoir étaient dans les mains de ce religieux un peu fanatique et mégalomane : Girolamo Savonarola, un moine dominicain au charisme incontestable. Après s’être imposé comme prédicateur spécialisé dans la fustigation des vices de l’Eglise et du monde, il arriva à exercer son influence sur l’éphémère république florentine. Dans un délire croissant de toute-puissance, Savonarola finira par agacer même ceux qui l’avaient soutenu et perdra le pouvoir, et non seulement… Tout se terminera par un grand bûcher allumé Piazza della Signoria.

Les coutumes politiques du XXIème siècle se sont considérablement adoucies, mais l’inébranlable Matteo Renzi aurait tout intérêt à réfléchir sur la vanité des choses humaines…

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