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Matières premières : ce trésor caché que la France devrait commencer à chercher dans ses fonds marins
©Flickr

Nouvelle ruée vers l'or

L'exploitation de ressources sous-marines, notamment minérales, semble être la source du futur pour pourvoir aux besoins de l'humanité d'ici les prochaines décennies. Cependant, de nombreux problèmes logistiques, économiques et environnementaux mettent tout projet à l'arrêt avant même de mener une exploitation.

Patrice  Christmann

Patrice Christmann

Patrice Christmann est géologue spécialisé dans le domaine des ressources minérales, titulaire d’un doctorat en Sciences  de la Terre et d’un diplôme de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris. Il a travaillé comme géologue junior auprès du Ministère des Richesses Naturelles du Québec (Canada). Depuis septembre 2010, Il est Directeur Adjoint à la Direction de la Stratégie du BRGM.  

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Lenaïck Menot

Lenaïck Menot

Chercheur au laboratoire Environnement Profond de l’Ifremer, Lénaïck Menot est spécialisé en biologie des communautés benthiques profondes. Ses recherches portent en particulier sur les conséquences environnementales des activités humaines sur les écosystèmes des grands fonds océaniques. Après une thèse portant sur l’évaluation de l’impact du forage pétrolier profond et un post-doctorat sur l’impact potentiel de l’exploitation des nodules polymétalliques, il contribua pendant cinq ans à la coordination d’un projet international de recensement de la vie marine sur les marges continentales. Il rejoint l’Ifremer en 2010 où il étudie les écosystèmes associés aux ressources minérales et les risques environnementaux liés à l’exploitation de ces ressources.

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Atlantico : Le Japon a récemment lancé de nombreuses recherches en eaux profondes (voir ici) pour tenter de trouver des ressources minières. Le parc sous-marin de minerais des eaux japonaises est estimé à 50 millions de tonnes métriques, pour un bénéfice potentiel évalué à 784 milliards de dollars selon un opérateur industriel japonais. Dans quelle mesure la prospection sous-marine peut-elle devenir LA prochaine manne financière du siècle ?

Patrice Christmann : Nous sommes très loin de pouvoir parler de manne financière et de profitabilité ou de perspective de gain financier lié à l’exploitation de métaux en mer. Le seul projet qui soit proche de la mise en exploitation est le projet de la société canadienne Nautilus Minerals. La société travaille depuis une dizaine d’années sur l’exploration en mer d’un amas sulfuré à cuivre, or et zinc. Elle est assez proche de sa mise en exploitation de cet amas sulfuré, dans la Mer de Bismarck, au nord-est de l’île de Nouvelle-Guinée (Papouasie Nouvelle-Guinée), le projet Solwara-1. Comme la société est cotée à la bourse de Toronto, elle a comme toutes les sociétés minières cotées au Canada, des obligations importantes de publication et de transparence technique et économique. Elle publie régulièrement des informations sur l’avancement de son projet.. Or la situation de la société est préoccupante car l’exploration en mer coûte très cher, de l’ordre de plusieurs millions de dollars pour une seule campagne océanographique, et demande des moyens technologiques importants, adaptés aux grandes profondeurs, dont des navires de forage à positionnement dynamique, des robots, des moyens d’investigation géophysique. Pour exploiter Solwara-I, gisement situé à environ 1600 mètres de profondeur, il a fallu développer deux engins fraiseurs pour détacher le minerai, un collecteur et un système de pompage et de remontée du minerai, sou forme d’une pulpe, vers un navire à positionnement dynamique ou le minerai sera essoré avant d’être transporté à terre pour l’extraction des métaux.

L’ensemble du système d’exploitation sera télécommandé à partir du bateau. Les équipements d’exploitation sous-marine sont construits et opérationnels le bateau nécessaire à l’exploitation étant en cours de construction en Chine. Selon le rapport annuel 2015 de Nautilus Minerals, sa construction représente un engagement financier de 376 millions US$ cumulés  à honorer au cours des prochaines années. La charge des paiement dûs dépassera 70 millions US$/ an à partir de 2018, jusqu’en 2022 inclus. Cette charge paraît problématique car la société ne dispose que de 57 M$ de trésorerie à fin juin 2016, malgré une émission d’actions nouvelles en début d’année qui a vu seulement 28% des actions proposées être souscrites. Ce projet phare, le plus avancé au monde, permettra, s’il se fait, de savoir combien une exploitation de ressources à une telle profondeur coûte au juste. Personne ne l’a jamais fait donc nous n’avons aucune idée de l’économie de ces projets et, surtout, de leurs éventuels impacts environnementaux. Il faudra attendre quelques années d’exploitation pour pouvoir faire un véritable bilan économique et environnemental de cette première exploitation industrielle de ressources minérales des grandes profondeurs.La science connaît encore très mal les écosystèmes des grandes profondeurs. Toutes les recherches récentes montrent une faune extrêmement diversifiée avec beaucoup d’endémisme dont nous ignorons beaucoup de choses. L’Ifremer et le CNRS ont publié une expertise scientifique collective faisant un point très bien documenté sur les impacts environnementaux potentiels de l’exploration et de l’exploitation marine profonde (https://wwz.ifremer.fr/Actualites-et-Agenda/Toutes-les-actualites/Archives/2014/ESCO-les-impacts-environnementaux-de-l-exploration-et-de-l-exploitation-des-ressources-minerales-profondes). Par contre, en termes d'attractivité et de ressources en métaux, le sujet représente des enjeux considérable à l’horizon de quelques décennies.

Le développement d’une classe moyenne mondiale, couplé aux évolutions démographiques régulièrement mises à jour par les Nations Unies sera un facteur majeur. Selon les études du Brookings Institute (Etats Unis, https://www.brookings.edu/interactives/development-aid-and-governance-indicators-dagi/), en 2005, les classes moyennes moyennes représentaient 1,6 milliard d’habitants. En 2030, le scénario de l’Institut Brookings fait apparaître 3,1 milliards de nouveaux membres de cette classe moyenne, une évolution sans précédent dans l’histoire de l’humanité de par sa magnitude et sa rapidité. La classe moyenne représente la partie de l’humanité qui a un revenu quotidien entre 10 et 100 dollars par jour. Ces personnes qui émergent de la pauvreté sont des gens qui consommer des ressources naturelles, dont des métaux de manière intensifiée. La demande en ressources naturelles, dont les ressources minérales, s’annonce donc très forte et pourrait aussi être accentuée par la volonté internationale, affiché à la COP21, de recourir aux énergies renouvelables. Beaucoup considèrent que l’économie circulaire (un concept économique qui s'inscrit dans le cadre du développement durable et qui s'inspire notamment des notions d'économie verte, d’économie de l'usage ou de l'économie de la fonctionnalité, de l'économie de la performance et de l'écologie industrielle) pourvoira à cette demande.. L’économie circulaire est totalement désirable et est une nécessité mais elle a des limites, qui nécessiteront à la fois de nombreuses innovations technologiques, institutionnelles et comportementales pour y arriver. Il faut repenser bien des mantras économiques souvent hérités d’époques où les ressources naturelles étaient réputées gratuites et disponibles de manière illimitée, et les externalités, notamment les dommages environnementaux laissés à la charge de la société.

Il existe divers obstacles technologiques et réglementaires dans le recyclage des métaux, qui font que dans un marché ou la demande est croissante, le recyclage ne peut apporter qu’une réponse partielle à une demande sans cesse croissante. Il faudra, parallèlement aux initiatives politiques, technologiques, à l’évolution de nos modes de consommation soutenant la transition vers l’économie circulaire, trouver de nouveaux minerais pour répondre à cette demande. Les stocks de minerais au sol sont encore considérables mais le problème se situe dans l’accessibilité. Par exemple, des pays peuvent dissuader les investissements nécessaires à l’exploration puis, en cas de succès, à l’exploitation, pour des raisons d’instabilité juridique ou politique, de faiblesse institutionnelle ou d’oppositions au développement industriel de la part de populations concernées par ces développements. L’humanité a un très grand intérêt à ce que les questions environnementales soient respectées car nous jouons avec le futur de l’humanité. Les défis du XXIème siècle sont sans précédent dans l’histoire, ils sont très différents de ce que nous avons connu au XXème siècle.

Quels pays seraient les plus susceptibles de tirer profit de la prospection sous-marine, comme le Japon envisage de le faire ?

Patrice Christmann : Le domaine marin est extrêmement tentant, ce qui explique que beaucoup de pays explorent les fonds marins comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre, la Russie, la Chine ou le Japon. L’ISA (Autorité internationale des fonds marins), est une Agence intergouvernementale établie dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Elle publie des rapports techniques de grand intérêt pour qui s’intéresse aux ressources minérales marines profondes. Elle publie (https://www.isa.org.jm/contractors/exploration-area) une cartographie régulièrement mise à jour des permis d’exploration qu’elle accorde. La carte des permis d’exploration des zones à nodules de manganèse de la zone de Clarion-Clipperton, dans le Pacifique, au large du Mexique, est une vraie mosaïque qui montre bien l’intérêt des états, à travers des instituts de recherche, pour “prendre date” dans la course aux ressources minérales marines profondes. Mais dire quand cela mènera à une exploitation reste impossible. Dans ce contexte d’intérêt pour les ressources minérales marines profondes il convient de souligner le cas de la Polynésie française a un territoire marin, qui possède une Zone Économique Exclusive de 5,5 millions Km2, (soit à peu près la taille de l’Union Européenne) avec un potentiel tout à fait intéressant en encroûtements cobaltifères, révélé par d’anciennes campagnes océanographiques de l’IFREMER. Mais nous sommes encore loin d’une quelconque exploitabilité. Ce pays a un statut particulier, rappelant celui de la Nouvelle-Calédonie, qui fait qu’elle dispose d'une grande autonomie dans le domaine du développement de sa zone économique exclusive.

La volonté conjointe des autorités de la Polynésie française et des autorités françaises est d’aider le pays à mieux évaluer son potentiel, à réfléchir aux conditions à mettre en œuvre pour une éventuelle future mise en valeur. Ce travail d’élaboration d’une stratégie de développement a bénéficié d’un travail d’expertise collégiale confié par ces autorités à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), Il a mobilisé des compétences tierces,au-delà des ressources scientifiques de l’IED. Ce travail collectif, public, auquel j’ai participé, a abouti à un ensemble de recommandations. Elles mettent en lumière le besoin en acquisition de connaissances et l’étendue des sujets à traiter avant que les choses ne se réalisent. Les connaissances disponibles restent extrêmement faibles en ce qui concerne le potentiel minéral et l’environnement naturel des zones favorables, il n’y a de données quelques dizaines de kilomètres carrés sur les 5,5 millions de km carrés, ce qui ne veut pas dire qu’il y a forcément du potentiel sur l’étendue de ce territoire maritime. On sait maintenant quoi chercher et où le chercher. Les analyses disponibles, malheureusement peu nombreuses, montrent cependant un potentiel exceptionnel en cobalt dans certaines zones. Le cobalt est un métal important pour la fabrication de batteries au lithium, un élément technologique clef pour le développement de la mobilité électrique, pour les outils de découpe pour la production de superalliages alliages pour la construction des moteurs d’avions. Pour en revenir au Japon, il est évident que ce pays a un problème très particulier dans la mesure où il est très industrialisé mais ne dispose de presque aucune ressource minérale sur son propre territoire. La prospection sous-marine apparaît donc un sujet d’importance stratégique pour le Japon, pays fortement industrialisé, devant importer ses matières premières minérales à partir de marchés des matières premières minérales où la Chine est de plus en plus présente.

Quels peuvent être les risques environnementaux liés à cette prospection sous-marine, si le projet venait à se démocratiser dans les prochaines années ?

Lénaick Menot : Pour ce qui est des risques environnementaux liés à l'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds, si on s'en tient aux sulfures polymétalliques, qui sont la ressource visée par les Japonais, on peut citer deux types d'écosystèmes menacés. D'une part, l'écosystème que l'on appelle hydrothermale, qui est alimenté par des eaux très chaudes (de l'ordre de 300 degrés) et très riches en élément chimiques tels que le méthane ou l'hydrogène sulfurée qui sont brûlés par des bactéries pour produire de l'énergie. Cette énergie est ensuite utilisée par de nombreux animaux, ce qui fait que ces environnements sont caractérisés par des abondances ou une biomasse animale très élevée. Ce qui est original en milieu profond, car on parle d'environnements qui se trouvent à plus de 1000 mètres de profondeur, et qui sont généralement assez pauvres en nombres d'individus ou en biomasse. Ils sont par contre riches en espèces. Ce sont dans ces systèmes hydrothermaux que se forment ces sulfures polymétalliques que recherchent l'industriel, car ce fluide hydrothermal est chargé en composés tels que le méthane ou l'hydrogène sulfuré qui alimentent les communautés, mais il est aussi chargé en minéraux, dont de l'or, du cuivre et de l'argent.

Et si l'activité est suffisamment longue (de l'ordre du millier d'années), ces métaux s'accumulent en des quantités suffisamment intéressantes pour devenir exploitable. Ces gisements de minerais se trouvent dans des sites toujours en activité, c'est-à-dire avec ce fluide hydrothermal et les communautés animales très particulières qui y sont associés, mais on les trouve également dans des sites inactifs. Dans ces derniers, la production de fluide hydrothermal s'est arrêtée et il ne reste que le dépôt de minerais. Dans ces cas-là, nous connaissons très mal la faune associée. Elle a été très peu étudiée jusqu'à présent mais nous savons que les densités seront plus faibles en termes d'individu, mais qu'il y a probablement un très grand nombre d'espèces car c'est un milieu peu contraignant par rapport aux sites actifs (haute température, pH très acide et concentration toxique très élevée). Que ce soit les Japonais ou la compagnie Nautilus, qui souhaite exploiter ce type de gisement en Papouasie Nouvelle-Guinée, ils vont probablement viser les sites inactifs pour une raison simple, les engins qu'ils utilisent représentent des investissements de plusieurs millions d'euros et ils ne peuvent pas se permettre de les perdre en s'approchant trop près d'un fluide sortant du plancher océanique à plus de 300 degrés.

Les risques environnementaux auxquels on s'attend pour l'exploitation des minerais sont multiples : Il y a d'une part l'extraction du minerai, qui est un habitat naturel pour les espèces. Toute la faune associée à un gisement risque de disparaître, du moins provisoirement. Le fait de gratter le fond des océans va générer des particules qui vont être remises en suspension dans la colonne d'eau et qui vont se disperser. Et puis, le gisement qui sera extrait des fonds marins sera tamisé et filtré en surface. L'eau qui a été aspirée sera réinjectée, probablement au fond, et chargée en particules très fines. La dispersion de ces particules peut avoir un impact sur la faune aux alentours du site exploité. Là encore, nous maîtrisons très mal les conséquences environnementales liées à la dispersion et à la distance à laquelle ces particules vont être dispersées et à quelle concentration elles risquent d'être nocives, et pour quel type de faunes. En théorie, nous connaissons les risques, mais en pratique, nous les maîtrisons mal, que ce soit en terme d'empreinte spatiale ou de longévité. Nous ne savons pas combien de temps il faudrait pour qu’un écosystème qui a été perturbé revienne à un état équivalent ou proche de son état naturel avant perturbation. On peut soit attendre les premières exploitations et suivre leur impact, soit mener des expérimentations.

Certaines ont été lancées pour tenter de mieux assimiler ces risques. Mais l'activité étant assez récente, nous avons des résultats certes, mais ils sont encore insuffisants pour nous permettre de prédire l'impact que ces activités auraient.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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