Le Pen / Zemmour : des rubans différents mais sous l’emballage, un même populisme conservateur pour 2022<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour lors de son rassemblement électoral à Lille, dans le nord de la France, le 5 février 2022.
Eric Zemmour lors de son rassemblement électoral à Lille, dans le nord de la France, le 5 février 2022.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Promesses de campagne

Eric Zemmour et Marine Le Pen se sont affrontés à distance à quelques heures d'intervalle ce samedi, dans une "guerre" des meetings à Reims et à Lille. Eric Zemmour s'est longuement exprimé sur les questions de pouvoir d'achat. La candidate du Rassemblement National a présenté les grandes lignes de son programme et ciblé Emmanuel Macron.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Marine Le Pen et Eric Zemmour s’affrontaient dans un duel à distance ce samedi 5 février par meetings interposés, à Reims pour le Rassemblement National et à Lille pour Reconquête !. À travers son meeting à Lille, Eric Zemmour est allé « défier » la gauche en s’attaquant à Martine Aubry tout en ciblant son adversaire directe, Marine Le Pen, sur leur propre terrain dans le Nord. Lors de son allocution, il a une nouvelle fois dénoncé l’islamisme. Quel bilan tirer de cette stratégie d’Eric Zemmour et de son discours ?

Christophe Boutin : Effectivement, il convient sans doute de replacer les deux meetings dans leurs cadres géographiques, très différents, mais tous deux très symboliques. Marine Le Pen s'est rendue à Reims, la ville du sacre des rois, où elle a enjoint la France à se « souvenir de son baptême ». En février 2017 c’était au Mont Saint-Michel que la dirigeante du RN avait choisi de s’exprimer. Reims après le Mont Saint Michel, on reste donc sur les symboles d’une France éternelle.

Éric Zemmour a lui choisi d'aller dans le Nord, à Lille, lieu quant à lui politiquement symbolique, pour trois raisons. La première est que le Nord est une région ouvrière ayant une forte tradition de gauche, de nos jours en grande partie perdue. L'échec de la tentative de la gauche pour perturber son meeting lui a ainsi permis de brocarder une Martine Aubry « qui appelle les antifas, cette racaille d’extrême gauche, à manifester contre nous, qui rêve de susciter des violences pour qu’on nous accuse ensuite ». Mais le fait que cette gauche radicale l’ait privilégié, avec une tentative de perturbation sans commune mesure avec le meeting de Reims, montre aussi qu’il est actuellement son ennemi principal, ce qui peut le servir.

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Le choix du Nord était aussi judicieux – mais il ne s’en doutait pas à ce point en le faisant – parce que c’est une des régions fortes de l’islamisme, ce qu’a récemment rappelé le reportage portant sur l’islamisation de Roubaix et ses conséquences, dont la mise sous protection policière de certains journalistes et intervenants. Éric Zemmour, déclarant qu’« à Lille et dans la région, l'islamisation se répand » a ainsi pu rappeler les échecs de la gauche et de Martine Aubry, « grande prêtresse de la laïcité».

Enfin, on se saurait oublier que le Nord est l'une des régions de France qui a donné le plus de voix aux candidats du Rassemblement national, et que sa présidente y a été élue aux niveaux local et national. Il y a ici une tentative d’Éric Zemmour pour s’adresser à un électorat – CSP-, classe moyenne – en partie acquis au RN et dont il espère qu’il le rejoindra, d’où d’ailleurs la thématique principale de son discours : travail et pouvoir d’achat.

Le pouvoir d’achat est l’une des principales préoccupations des Français et n’était pourtant pas jusqu'à présent au cœur des débats de l’élection présidentielle. Marine Le Pen et Éric Zemmour se sont emparés de ce thème lors des meetings de samedi à Lille et à Reims. Au regard des deux discours et des nombreuses propositions, quels sont les principaux enseignements des programmes d'Éric Zemmour et de Marine Le Pen en faveur du pouvoir d'achat ? Lequel des deux candidats semble avoir été le plus convaincant et le plus à même d’avoir touché les classes moyennes et les catégories populaires ?  

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Effectivement, le discours d’Éric Zemmour a été immédiatement tourné vers la question du pouvoir d'achat « une urgence absolue », car il n’y a pas qu’un « sentiment d’appauvrissement ». « Je voudrais m’adresser aujourd’hui à la France du travail – a-t-il déclaré -  […] rendre au travail son sens, son salaire et sa valeur », car le pouvoir d'achat ne saurait progresser par des aides : « Je sais combien ici, dans les classes populaires et les classes moyennes, on déteste l’assistanat ». Les « chèques » distribués par le gouvernement ? « Ils sont en train de vous acheter avec votre propre argent ». 

Et de proposer pour augmenter le pouvoir d’achat trois solutions : « arrêter de gaspiller l’argent public, car l’argent public, c’est votre argent. […] Arrêter de financer notre propre remplacement parce que lui aussi est financé avec votre argent. […] Enfin récompenser le travail et le mérite ». Exemples de gaspillages ? « 140 millions d’euros pour aider le développement de la Chine », ou le financement de l’audiovisuel public. De financements du « remplacement » ? Éric Zemmour insiste sur le coût des demandeurs d’asile ou des mineurs non accompagnés.

Les solutions ? Le candidat présente un panel varié. Pour la France périphérique, il rappelle son idée des 10 000 euros par naissance dans une commune rurale, et souhaite le remboursement de la moitié de leurs frais de carburant pour les travailleurs de ces zones. Pour les classes moyennes, il voudrait doubler le plafond du quotient familial, mais aussi permettre à tous de pouvoir toucher une participation aux bénéfices de leurs entreprises, hors impôts, tandis que les chefs d’entreprises pourraient verser des primes exonérées de toute charge.

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Dans un discours qui n’était pas, comme celui d’Éric Zemmour, centré sur cette dimension du pouvoir d’achat, Marine Le Pen ne l’oubliait pas non plus à Reims. Il faut aussi pour elle « mettre fin au pillage de la France » par les fraudes, « un vol de plusieurs dizaines de milliards d’euros », mais les dites fraudes sont ici autant la « fraude sociale » que « l’évasion fiscale ». Sa mesure emblématique serait « la baisse de la TVA à 5% sur le fioul, le gaz et le carburant », et allègements significatifs de charges des TPE/PME, suppression de l’impôt sur le revenu pour « tous les moins de 30 ans » ou exonération des « maisons familiales » des frais de successions complètent la liste.

Contrairement à Éric Zemmour, qui revendique sur une partie de ces réformes la filiation d'avec le « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen convoque ici on le voit des éléments plus à gauche, comme le parallèle entre la fraude sociale et l'évasion fiscale ou l’aide aux moins de 30 ans. Quant à la transmission patrimoniale de la maison familiale hors droits de succession, elle parle peut-être plus à la France périphérique que l'exonération de ces mêmes droits de succession, prônée par Valérie Pécresse et Éric Zemmour, des donations allant jusqu'à 200 000 € par personne - ce que les CSP- et la petite classe moyenne seraient bien incapables d’envisager.

Le grand meeting programmatique de Marine Le Pen à Reims a-t-il plus de chances de toucher un électorat plus large ? Marine Le Pen est-elle parvenue à se démarquer suffisamment d’Éric Zemmour et à confirmer sa stature présidentielle (via notamment la diffusion des vidéos de soutien de Matteo Salvini et de Viktor Orban) ?

Marine Le Pen n'a pas vraiment à se démarquer d’Éric Zemmour, puisque c'est ce dernier qui est le nouvel arrivé, et que c'est donc plutôt à lui de démontrer qu'il apporte une offre nouvelle. Mais il est certain que la présidente du RN a choisi de se dégager de la rivalité qui l’oppose à l’éditorialiste de trois manières.

La première a consisté à consacrer la plus grande partie de son discours à celui qu’elle présente ainsi comme son ennemi principal, dans la perspective du second tour, Emmanuel Macron. Cynisme d’un dirigeant « méprisant » et « déprimant », qui insulte les Français, creusement de la dette, déficit extérieur, dépeçage de notre industrie, saccage des paysages par les éoliennes, sabotage des mouvements sociaux en « laissant les blacks blocs s’y infiltrer », « gestion catastrophique de l’épidémie » ensauvagement d’une France « Orange Macronique »,  « compromissions » sur l’islamisme et l’immigration, on aura compris que « le progressisme de Macron signifie déconstruction, et régression », et que le clivage fondamental politique en France se situerait bien entre « nationaux et mondialistes ».

La seconde manière de se différencier d’Éric Zemmour, et, vous avez raison, l’utilisation de relais internationaux a joué en ce sens, a été de se positionner en termes de politique étrangère, de se donner une stature internationale pour mieux avoir une assise nationale. Sortie du commandement intégré de l’Otan, « afin de ne plus être entraîné dans des conflits qui ne sont pas les nôtres », refus de partager, « avec personne », le siège de la France au conseil de sécurité de l’ONU, développement de la Francophonie, « politique de projection » pour « partir à la conquête de nos mers et de leurs incroyables ressources, en respectant l’environnement », furent autant de perspectives en ce sens.

Enfin, Marine Le Pen chercha à se différencier d’Éric Zemmour en insistant sur sa longue carrière politique (« Du plus loin que mes souvenirs me portent, la politique fait partie de mon existence »), évoquant les persécutions subies quand on la faisait « payer pour [son] père », ou l’attentat dirigé contre ce dernier.  « J’ai beaucoup appris, j’ai tâtonné j’ai parfois échoué, je suis tombée. Je me suis toujours relevée », dira-t-elle en conclusion de son discours, symboliquement descendue de la tribune, pour sans doute « casser l'armure ».

Au regard de ces deux discours, le camp de la droite nationale est-il si divisé ? Quels sont les enseignements de ces meetings pour la suite de la campagne électorale pour Marine Le Pen et Eric Zemmour ? Ces discours sont-ils susceptibles d’enclencher une réelle dynamique et d’asseoir la crédibilité des deux candidats, via l’avalanche de propositions dévoilées ? Cette journée du samedi 5 février et le contenu des discours sont-ils susceptibles de faire bouger les lignes dans le camp de la droite nationale ?

Les deux discours correspondaient en fait aux deux nécessités politiques du moment pour les deux candidats. Pour Éric Zemmour, il s’agissait, on l’a dit, d’attirer l’électorat des CSP- et des classes moyennes inférieures, dont une partie au moins vient de la gauche, et qui semble constituer de nos jours une part du socle électoral de Marine Le Pen. Il utilisa pour cela un discours de proximité en deux temps, où l’on évoqua d’abord les cafés et leur convivialité intégratrice, où l’on ironisa sur Martine Aubry, avant de se poser la question d’un gaspillage financier qui plombe les impôts des uns et empêche d’accorder des aides aux autres. Un « grand déclassement » dû en grande partie à ce « grand remplacement » contre lequel il s’agirait d’engager la lutte sans faiblir. La conclusion de son discours, très offensive, allait dans ce sens : « rien ni personne ne nous empêchera de vivre chez nous [...] ils ne nous soumettront pas et ne nous remplaceront pas […] la nation qui ne baisse pas les yeux, c’est nous […] le peuple fier qui ne nous soumet pas, c’est nous ».

Ce choix, destiné à permettre d’arriver au second tour en ayant un langage que d’autres se refusent à tenir, espérant ainsi ramener aux urnes des électeurs qui sont en rupture avec le système, suppose d’être parfois clivant pour trouver sa place au sein de l’offre existante. Le risque est alors de l’être trop, ce que l’on tente d’écarter en évoquant une France « d’avant » apaisée, certes divisée politiquement, mais paradoxalement unie sur tous les autres plans, dont l’on aurait vocation à restaurer les principes de vie.

Pour Marine Le Pen, il s’agissait de continuer dans sa démarche de dédiabolisation - au risque cette fois de se faire accuser d’en faire trop, de trop édulcorer son message, de renier ses fondamentaux - et de se présenter, elle, son parti, ses « experts », comme à même de diriger la France et d’infléchir ses politiques sans déclencher de heurts. En attaquant de front Emmanuel Macron et son progressisme, elle se distingue d’une Valérie Pécresse que son propre progressisme rend nécessairement plus ambiguë. En disant son rejet des discriminations, en évoquant les enfants handicapés, les Ephad, les manques des hôpitaux, en voulant une « France bienveillante pour ses enfants », elle prend un registre protecteur modéré, nettement moins guerrier que celui d’Éric Zemmour. En se donnant une dimension internationale enfin, comme en insistant sur son long parcours politique, elle entend se montrer capable de dépasser de trop petites querelles.

Hier, Éric Zemmour recherchait donc par son discours une dimension populaire qui lui permettrait d’échapper à l’image d’un candidat de classe, trop intellectuel, trop éloigné des préoccupations du Français moyen. Marine Le Pen, elle, cherchait à atteindre une dimension d’homme d’État pour échapper au souvenir du débat du second tour de 2017. Leurs discours vont-ils déclencher une dynamique ? Nous le verrons, mais cette dynamique tiendra sans doute plus à ces axes qui se dessinent qu’au détail des catalogues de propositions qui ont été présentées par ces deux candidats, et ce d’autant plus que ces dernières ne s’excluaient pas les unes des autres.

Car on peut relever enfin que les deux discours, s’ils avaient des différences de ton et si, pour des raisons se stratégie, l’un était plus « ciblé » et l’autre plus « généraliste », n’avaient pour autant rien d’incompatible, ni dans les axes ni dans les propositions. Au-delà des choix de personnes, nombre des électeurs potentiels de l’un auraient sans doute été d’accord avec les propositions de l’autre. De la lutte contre l’immigration et l’islamisme à la dénonciation du progressisme, de la nostalgie de la France d’avant à la volonté de lui redonner toute sa dimension, du souverainisme à la transmission, c’est bien, sous des formes différentes, la même double revendication d’un peuple qui s’exprime : celle, conservatrice, de pouvoir perdurer dans son être ; et celle, populiste, de pouvoir reprendre en main son destin. Le reste n’est que stratégie électorale de candidats.

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