Marine Le Pen ou la rhétorique du mythe<!-- --> | Atlantico.fr
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Bien ancrée dans le sol, Marine Le Pen englobe l’ensemble de l’auditoire (pourtant considérable) par l’aller et retour constant du regard.
Bien ancrée dans le sol, Marine Le Pen englobe l’ensemble de l’auditoire (pourtant considérable) par l’aller et retour constant du regard.
©Reuters

Rhétorico-laser

Dans les discours de la leader du Front national, l'ennemi est toujours sans visage - donc aux cent visages - faisant émerger presque systématiquement la bonne vieille "théorie de la conspiration".

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Au risque de se faire traiter de néo-fasciste, l’on affirmera d’emblée que Marine Le Pen est une excellente oratrice. En témoigne, s’il en était besoin, son véritable tour de force rhétorique de dimanche dernier aux universités du FN : un long discours d’une heure et quart, où elle a tenu la distance sans fléchir, tout en étant à son meilleur au début et à la fin : toujours soigner la première et la dernière impression !

Commençons par le "non verbal", langage du corps et usage de la voix. Non pas, comme l’affirme à tort un vrai mythe de la « com’ », parce que ces éléments seraient bien plus importants que le propos lui-même ; mais parce que leur congruence avec le discours est absolument décisive pour la délivrance du message. En la matière, sans avoir les ressources d’un Obama, Marine Le Pen est efficace : bien ancrée dans le sol, elle englobe l’ensemble de l’auditoire (pourtant considérable) par l’aller et retour constant du regard. Corps bien droit mais qu’elle fléchit souvent avant de le redresser vivement, incarnant une sorte d’énergie féline, prête à bondir sur l’adversaire. Les mains sont utilisées à bon escient et (à la différence de Nicolas Sarkozy) avec économie : index levé pour demander l’attention ou souligner le propos ; doigts qui comptent les arguments en même temps que l’orateur les énumère ; poings qui se referment pour marteler une assertion ; mains qui balaient l’objection ou moulinent l’air pour mimer le vide de la parole adverse. Puis qui s’ouvrent, paumes vers le haut et bras écartés, en signe d’accueil, d’appel adressé au public et, au-delà, au « peuple ». Invitation accompagnée d’un large sourire : sourire qui se fait grinçant dans les nombreux moments de sarcasme accablant l’adversaire.

La voix est naturellement grave et ne dérape jamais dans l’aigu un rien éraillée par la cigarette sans doute, mais cela convient parfaitement au registre de la gouaille populaire –ou populiste- dont elle use si volontiers. Contrairement à la « conversation naturelle » (et aux mauvais orateurs !), aucune baisse du niveau sonore en fin de phrase, car s’y trouve souvent le mot-clef. Aucun « euh », non plus, contrairement à François Hollande et un usage très maîtrisé du silence et de ses multiples usages : respiration, interpellation, attente des applaudissements etc…; D’où une certaine lenteur de la diction, en moyenne autour de 150 mots/ minute, mais qui n’est jamais uniforme et qui, là encore, convient très bien à la tonalité générale choisie : la solennité.

La richesse du non verbal a pour symétrique la véritable encyclopédie du discours mise au service du propos : questions rhétoriques, images populaires (« roulés dans la farine »), sentences, oxymores (« belle âmes molles »), rythmes ternaires…La figure dominante reste celle de l’accumulation : accumulation des défis, des dangers, des fautes, des contradictions, des scandales de l’adversaire. Accumulation accentuée par le martèlement des anaphores et organisée en gradation pour assurer la montée de l’indignation. L’argumentation vise sans détour les trois ressentiments les plus puissants dans l’être humain: ressentiments devant la menace, devant l’injustice et devant l’absurde. Car la thèse centrale est elle aussi sans détour : le « laxisme » dans tous les domaines du PS et de l’UMP (jamais Marine Le Pen n’emploie la nouvelle appellation des « Républicains ») met en péril la survie même de la France. Le message est tout aussi limpide, décliné à volonté à travers la métaphore filée de la protection: « Nous serons le bouclier des Français ».

De là un discours littéralement hystérisant, chauffant la salle à blanc dans l’attente impatiente de la délivrance… que l’orateur va, à intervalles réguliers, offrir par son ethos (désintéressement, lucidité, et dévouement) et tel élément de son programme politique. Avant de repartir dans une nouvelle séquence d’hystérisation, ponctuée par un nouveau message de réassurance…

Le procédé central est celui de l’inversion de la charge, selon l’adage, lui aussi populaire, du "c’est celui qui le dit qui l’est !" : partant de l’implicite ("on nous accuse de…") Marine Le Pen renverse systématiquement l’accusation : on nous dit brutaux et inhumains, mais "où est la cruauté, où est l’inhumanité au final ?" Par une triangulation systématique (l’apport de Florian Philippot) les services publics, la défense des faibles, la justice (leitmotiv du discours) sont arrachées à la gauche et captées par le FN. Ce qui rend au passage totalement dérisoire la sempiternelle illusion qu’il ne menace que la droite...

L’antithèse structure donc logiquement le discours, à travers une mise en scène des plus simples et de plus efficaces. Les "forces agissantes" de cette dramaturgie sont clairement identifiées : face à "eux" (l’UMPS, l’Europe, l’Allemagne, les mondialistes les multiculturalistes, les « pédagogistes » la finance, les islamistes etc…) le "nous" se construit, aussi rassembleur que possible, dans une vaste opération d’attrape-tout électoraliste : paysans, retraités, salariés, médecins, enseignants et même "musulmans" soigneusement distingués des "islamistes". Bref "la majorité silencieuse" qui doit sortir de son silence: Marine, nouvelle Jeanne d’Arc, ne lui offre-t-elle pas sa voix ?

Mais voilà : la pente de l’imaginaire collectif est fatale et la thématique glisse de l’accusation de « laxisme » (première partie) à celle de « crime » (2ème partie). Non plus seulement incompétence, impuissance et illusion, mais volonté de "destruction", application de "sinistres projets", "instrumentalisation de la mort". La bonne vieille « théorie de la conspiration » émerge au fil du discours. Avec tous ses marqueurs, si bien identifiés par Raoul Girardet dans ses Mythes et mythologies politiques. Cet ennemi est toujours « sans visage » : finance « sans visage » dit Marine Le Pen reprenant à dessein les mots de François Hollande en 2012 (nouvelle triangulation !). Donc aux cent visages, que l’orateur-sauveur doit « démasquer » sans relâche auprès du peuple abusé. Visages évidemment des "étrangers" amalgamés, dans, un raccourci très parlant, avec les "clandestins". Etrangers "disséminés jusque dans les plus petits villages de France" par "la politique de peuplement de Manuel Valls, clin d’œil évident au mythe du "Grand Remplacement".

"Votre nom c’est l’étranger" disait Michelet, aussi grand républicain que grand conspirationniste : et Marine Le Pen d’égrener, avec une gourmandise suspecte, ces noms étrangers, des terroristes de 2015 à… Najat Vallaud-Belkacem ! Sans manquer de jouer sur ces noms en faisant d’Alain Juppé un "Alain Vallaud Belkacem", la Ministre de l’éducation devenant elle… "Najat Juppé" : immigrés et « immigrationnistes », même combat !

Marine Le Pen renoue ainsi avec les attaques ad hominem et ad nominem typiques de son père comme avec son thème fondamental : l’immigration, qui occupe l’essentiel de son propos et qui offre, dans la plus pure veine paternelle, la providentielle synthèse de tous les problèmes des Français : école, santé, chômage, délinquance, déficits, malaise identitaire etc….Un expert qui n’est autre que Jean-Marie Le Pen lui-même ne s’y est pas trompé, en saluant un discours "100% lepéniste" (à quelques résidus "philippiens" près, corrigerons-nous). Lepéniste, il l’est en effet par sa thématique dominante et son talent incontestable!

De quoi sonner le tocsin rhétorique auprès de tous les opposants au FN : Cessez de tergiverser, de contourner ou de diaboliser. Cessez de bafouiller par peur de "parler comme Marine le Pen". Commencez, pour la contrer, par parler aussi bien qu’elle !

Aux armes, Orateurs !

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