Grand écart
Marine Le Pen face à la menace Sarkozy
En deux semaines, la présidente du FN a présenté deux visages très différents, affirmant que l'Islam est compatible avec la République puis pourfendant le multiculturalisme. Face à un Nicolas Sarkozy de plus en plus incisif, Marine Le Pen doit, en effet, choyer son noyau dur.
Christelle Bertrand
Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.
Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncée, raconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).
C'est une drôle de ligne de crête, sur laquelle elle va devoir tenir encore quelques mois. Au moins jusqu'en novembre. Date à laquelle sera désigné le candidat de la droite à l'élection présidentielle. Une ligne de crête aussi pentue d'un coté que de l'autre. Aussi dangereuse, au nord qu'au sud. Au Nord, le FN bon teint porté par Florian Philippot, en quête de normalisation, au sud le FN dur de Marion Maréchal Le Pen soucieux de rester fidèle à ses fondamentaux. Au milieu, une présidente qui doit pouvoir compter sur ses deux versants si elle veut espérer représenter un espoir pour 2022. Ne pas se retrouver écrasée par le plafond de verre du front républicain.
A plusieurs reprises, depuis la rentrée, la présidente du Front National a donc tenté d'aller plus loin que le simple relookage censé dédiaboliser son parti. Ainsi, alors que Nicolas Sarkozy, après l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray et l'assassinat du prêtre Jacques Hamel, fustigeait les "arguties juridiques" qui freinent selon lui la lutte contre le terrorisme, Marine Le Pen se posait en gardienne de l'État de droit. "Il y a une chose à faire, partir à la reconquête [de la sécurité des Français] dans le respect de l'ordre, dans le respect des lois, dans le respect de la République française. Nous avons tous les moyens à notre disposition pour le mettre en œuvre", affirme-t-elle sur France 2. La semaine dernière encore, invité sur TF1, elle étonne par son positionnement. Invitée à dire si l’Islam est, selon elle, compatible avec la République, elle répond : "Moi, je crois que oui. Un islam tel que nous l’avons connu, laïcisé par les Lumières comme les autres religions".
Des propos peu appréciés dans ses rangs, comme le rapporte RFI qui a notamment recueilli le témoignage de Christine, boulangère dans le Jura, qui pense que les musulmans refuseraient de s'intégrer au sein de la société française : "Quand on voit qu'ils veulent imposer dans les cantines " pas de porc ", c'est comme l'huile et le vinaigre, on a beau les secouer, ça redeviendra toujours l'huile et le vinaigre, ça ne se mélangera pas. Moi, je pense que ce sont quand même des gens qui veulent s'imposer." Dans le même temps, la coté de popularité de Marine Le Pen, en progression globale jusqu'en 2016, décline ou stagne depuis le début de l'année. Et certains s'inquiètent de voir des électeurs repartir vers un Nicolas Sarkozy qui leur a clairement ouvert la porte. "La composition de droite de l'électorat à la primaire est en train de gagner du terrain, 40% des électeurs du FN pourraient voter Nicolas Sarkozy", se félicite l'un des proches de l'ancien président.
Il était donc temps, pour Marine Le Pen, de donner des gages à son noyau dur et c'est ce qu'elle a fait ce week-end à Fréjus où, dans une longue diatribe contre le multiculturalisme, elle explique qu'il "a une apparence, celle du respect de toutes les différences et puis il a une réalité, celle de les détruire toutes sous prétexte de les tolérer toutes. Il est devenu une religion enseignée dans les école, diffusée dans les médias, imposée dans les esprits. Et ceux qui ne font pas profession de foi se voient bannis, exclus, condamnés". La présidente du FN poursuit : "la religion immigrationniste est une insulte à la personne humaine dont l'intégrité est toujours liée à une communauté nationale, une langue, une culture".
On s'y perd, la France accepte-t-elle une culture différente comme l'Islam ou bien refuse-t-elle le multicuturalisme ? "Lorsqu'elle a dit que l'Islam était compatible avec la République,elle voulait insister sur le fait que toute une partie des musulmans pratiquent leur religion dans le respect de notre mode de vie. L'unité nationale est préservée parce qu'il n'y a pas d’immixtion dans la sphère publique", explique Nicolas Bay, numéro 3 du Front National qui ne voit pas de contradiction avec le refus du multiculturalisme, affiché par le présidente du FN "tant qu'il n'y a pas de revendication idéologique".
Pour Nicolas Bay, la présidente du FN n'a, en rien, tenté de cajoler son noyau dur car il n'y a pas de danger : "nos soutiens comprennent très bien que Marine a une approche plus sereine des choses car elle est constante dans ses opinions alors que les Républicains donnent des coups de menton, réagissent de façon fébrile, parce qu'ils ont des lâchetés à faire oublier".
Reste que Marine Le Pen doit quand-même adapter sa stratégie à un Nicolas Sarkozy qui a nettement radicalisé son discours et qui chasse sur ses terres. Elle l'a d'ailleurs clairement désigné comme étant son principal adversaire ce week-end à Fréjus. "À chaque élection, Nicolas Sarkozy a montré de lui une image de fermeté, d'autorité sur l'immigration, a-t-elle expliqué. En réalité, à chaque fois qu'il a été en situation, comme ministre de l'Intérieur ou président de la République, il a été le promoteur d'une immigration massive, d'un laxisme total, d'un communautarisme ravageur, d'une discrimination positive qui est à l'encontre des valeurs de la République française, d'un effondrement des moyens de la police, de la gendarmerie, du refus de respecter la parole du peuple". La charge est lourde, à la hauteur du danger car si, pour François Hollande, Nicolas Sarkozy reste l'adversaire préféré, il est le pire pour la présidente du FN qui préférerait, de loin, avoir à affronter Alain Juppé au premier tour de la présidentielle. Même si, au fond le tableau idéal reste un Hollande-Le Pen au second tour. Et dans ce cas les adversaires favoris du président de la République pourraient bien aussi devenir ceux de marine Le Pen.
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