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Marchés financiers : le jeu trumpien est très dangereux mais il a sa logique
©STEPHANIE KEITH / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Sur un fil

Il est dangereux parce que la croissance mondiale, même si elle va mieux, n’est jamais écrite.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Les bourses résistent aux Etats-Unis et se reprennent en zone euro, notamment en Allemagne, même après les inquiétudes nées des décisions et licenciements des Ministres de Donald Trump. Les taux longs sont redevenus stables, après les agitations qui ont suivi des inquiétudes inflationnistes et le creusement annoncé du déficit budgétaire américain.

Ceci prouverait-il que les marchés financiers comprennent la stratégie de Donald Trump, ou bien qu’ils pensent qu’elle peut réussir ou, plus profondément encore, que les coups de boutoir successifs qu’il assène, un peu partout, vont finir par réduire les déséquilibres commerciaux mondiaux, d’où viendraient les déséquilibres financiers !

L’histoire que défend Donald Trump semble être la suivante : le déficit extérieur américain vient d’abord du dumping et du non-respect des droits de propriété par la Chine. Les Etats-Unis en ont une croissance plus faible que leur vrai potentiel, 3,5%, ce qui les pousse à un déficit budgétaire accru, financé par la Chine, une Chine qui recycle ainsi son excédent commercial avec eux ! Pour arrêter cette machine infernale, il faut se lancer dans une guerre contre elle !

Mais, on le voit, l’histoire récente qu’écrit Donald Trump n’est pas aussi directe, ni aussi lisible. Donald Trump commence en effet par taxer l’acier européen canadien et mexicain, puis se rétracte par rapport au Mexique et au Canada qui, lui, attaque la Chine, tandis que l’Europe, seule attaquée au fond, menace de répliquer et que le Royaume-Uni cherche un traitement de faveur américain... On aura reconnu les folles péripéties que nous vivons depuis quinze jours. Où tout ceci va-t-il s’arrêter ? D’autant que le Président Trump a surtout en tête la propriété intellectuelle. C’est bien autre chose que le dumping sur l’acier, et accompagne la moindre ouverture qu’il prévoit des Facultés américaines aux étudiants chinois ! Ce qu’il nomme les vols des savoirs américains recueille d’ailleurs, chez lui, un large appui politique, notamment des Démocrates, et plus largement, populaire. Donald Trump bloque ainsi l’achat de Qualcomm par Broadcom, qui est pourtant installé à Singapour. Le risque étant, pour les autorités américaines, que Qualcomm une fois racheté, cesse ses investissements dans la 5G. La voie serait alors libre pour le chinois Huawei, soupçonné par ailleurs d’espionnage au bénéfice du gouvernement chinois ! Ainsi donc, après Gary Cohn son Conseiller économique favorable aux échanges mondiaux, mais qui a accompli sa mission de baisse d’impôts, voici le Secrétaire d’Etat Tillerson, sans doute trop ouvert aux échanges lui aussi, qui prend la porte.

Ce jeu trumpien est très dangereux, mais il a sa logique. Il est dangereux parce que la croissance mondiale, même si elle va mieux, n’est jamais écrite. Elle repose beaucoup sur des règles, des relations, et surtout sur la confiance. Ainsi, la croissance de la Chine explique le tiers de la croissance mondiale, largement grâce à l’exportation, notamment vers les Etats-Unis. L’Allemagne suit et se développe aussi par l’export, avec la mécanique et l’automobile, vers les Etats-Unis aussi, et explique (seule) l’excédent courant de la zone euro. Freiner les exportations chinoises et allemandes, c’est ralentir d’abord ces deux économies, puis l’économie mondiale et surtout déstabiliser deux de ses principaux moteurs. C’est aussi déstabiliser la fragile zone euro et le bouclage financier du monde.

Le risque Trump est donc du « tit for tat », du coup par coup, de la guerre fiscale, puis douanière, puis sur les droits de propriété, puis sur les bons du trésor, qui conduirait, elle, à la récession mondiale. Les marchés n’y croient pas, à cause des risques et des fragilités de chacun. La crise mondiale n’aura pas lieu, parce qu’elle serait mondiale !

Les Etats-Unis vendent ainsi un creusement de leurs déficits jumeaux qu’ils présentent comme indispensable, et temporaire à l’échelle des enjeux mondiaux : plus de dix ans ! Mais ils ont la monnaie mondiale, le dollar, et l’armada mondiale la plus importante de tous. Rien de  comparable avec la Russie et la Chine ! Il faut donc qu’ils profitent de ce double avantage : évidemment monétaire avec le dollar, et relativement nucléaire par rapport à la Russie et la Chine. En même temps, la Chine vit une bulle du crédit, pour une bonne part de mauvaise qualité, et doit s’y atteler. C’est une de ses « trois batailles décisives » de 2018, aux côtés de la diminution de la pauvreté et de la lutte contre la pollution indiquées par le premier ministre Li Keqia. Pour lui, bien sûr, ces risques sont « maîtrisables ». Pékin promet ainsi de nouvelles mesures « en s'attaquant tant aux symptômes qu'aux causes profondes » : on aimerait en savoir plus !

Dette américaine contre dette chinoise : c’est le pari de Donald Trump, que prennent les marchés, au bénéfice de Donald Trump et du dollar. Déjà, début 2018, des « informations » avaient fuité sur un désir chinois de réduire, voire d’arrêter, leurs achats de dette américaine. Les taux longs ont monté, la bourse a pris peur et la Chine a démenti. Ouf. Et maintenant : tous les papiers et articles qui sortent sur la forte et mauvaise dette chinoise (à certaines entreprises et collectivités publiques, entreprises et ménages) vont-ils faire que la Chine (et tous les autres) continuent à acheter la bonne dette publique américaine ? C’est le pari Trump, suivi (aujourd’hui) par les marchés.

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