Marchés du pétrole : la semaine qui pourrait tout faire exploser <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine rencontre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Riyad, en Arabie saoudite, le 14 octobre 2019.
Le président russe Vladimir Poutine rencontre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Riyad, en Arabie saoudite, le 14 octobre 2019.
©AFP / SPUTNIK / Alexey NIKOLSKY

Nouvelles sanctions

Les membres de l'Union européenne se sont provisoirement mis d'accord jeudi sur un plafonnement du prix de pétrole russe transporté par voie maritime à 60 dollars le baril. Ces sanctions entraînent une inquiétude sur les marchés.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Alexandre Baradez

Alexandre Baradez

Alexandre Baradez, 33 ans, diplômé de l'ESCE (Paris/La Défense) en 2003 a d'abord évolué plusieurs années chez BNPPARIBAS puis la Banque ROBECO en gestion privée avant de rejoindre SAXO BANQUE en 2009 en tant que Sales Trader. Son expérience des marchés financiers et plus particulièrement du marché des devises lui confère rapidement le rôle d’Analyste Marchés. Interlocuteur privilégié des médias français, il délivre quotidiennement des analyses sur les marchés financiers, tendances, risques macro-économiques et participe régulièrement à des conférences dédiées aux investisseurs. En novembre 2013, il rejoint le groupe IG, leader mondial des CFD, côté à Londres au FTSE 250, en tant que Chief Market Analyst.

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Atlantico : Quelle est la situation actuelle sur le marché du pétrole ?

Alexandre Baradez : On est en train d’observer une amélioration par rapport à la situation de stress de ces derniers mois. Le WTI était même retombé à son plus bas niveau (73-74$) depuis décembre 2021 il y a quelques jours. Même chose pour le Brent qui est revenu aux prix de janvier de cette année, autour de 80$.  Sur les prix il y a eu un retour en arrière assez phénoménal, mais je ne parle pas de la structure du marché. Cela témoigne d’une stabilisation, notamment de la situation géopolitique. Les températures clémentes ont contribué à cela également. Le ralentissement mondial qui semble se dessiner joue aussi dans cette tendance. Il faut aussi mentionner une petite augmentation de charge étasunienne. Donc nous arrivons à un carrefour et les choses risquent de s’accélérer.

Les sanctions de l'UE toucheront les exportations de brut de la Russie lorsqu'elles entreront en vigueur le 5 décembre. Quelles pourraient être l’impact sur les marchés d’une telle stratégie ?

Jean-Pierre Favennec : L’Europe (UE) consomme environ 12 millions de barils par jour de pétrole. L’essentiel de ce pétrole est importé, en particulier de Russie (environ 5 millions de barils par jour en 2021 dont près de 2 millions sous forme de produits pétroliers).

Depuis de nombreux mois, la Russie a réduit ses exportations de brut vers l’Europe et considérablement augmenté ses exportations vers la Chine, vers l’Inde et quelques autres pays comme l’Egypte. Excellente situation pour ces pays importateurs car la Russie doit consentir un rabais important sur les prix (de l’ordre de 30 dollars par baril) pour trouver preneur. C’est la conséquence des sanctions qui risquent de peser sur ces transactions.

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Et si le pic de la consommation de pétrole était enfin là (et vraiment, cette fois-ci) ?

Le marché du pétrole brut pourrait donc n’être que peu affecté par l’embargo européen. Les quantités de brut qui ne seront plus prises par l’Europe iront vers la Chine, l’Inde et quelques autres pays.  En conséquence les importations de la Chine et de l’Inde depuis le Moyen Orient et l’Afrique seront moins importantes et des quantités deviendront disponibles pour l’Europe.

La situation est plus complexe pour les produits pétroliers (essence, gazole). L’Europe importe des quantités très importantes de produits et en particulier de gazole car ses raffineries sont incapables de faire face à la demande. Le gazole vient de différents pays mais surtout de Russie.

Les événements récents ont provoqué de très fortes tensions sur les marchés de produits et en particulier du gazole. Les circuits d’approvisionnement ont dû être totalement revus entrainant des augmentations très fortes des prix. Si le prix du brut (environ 85 Dollars par baril aujourd’hui) reste « modéré » par rapport aux prix observés en début d’année, le prix du gazole reste très élevé car les marges de raffinage (écart de valeur entre la moyenne des prix des produits à la sortie de la raffinerie et le prix du brut à l’entrée) ont atteint des niveaux stratosphériques : 10 à 20 dollars par baril voire plus au cours des derniers mois pour des marges qui traditionnellement ne dépassent pas quelques dollars. D’où des prix élevés à la pompe.

Alexandre Baradez : Pour l’instant, il y a des stocks de pétrole. Et la situation géopolitique dure depuis plusieurs mois, il y a eu des adaptations. En tout cas, cela ne semble pas paniquer le marché. On arrive à un point important dans nos rapports avec la Russie mais le marché ne semble pas s’en préoccuper, nous sommes à des niveaux d’années normales, parfaitement compatibles avec la croissance. Peut-être le marché croit-il que nous n’allons pas vraiment arrêter nos importations de pétrole russe. Nous, européens, voulons fixer un plafond sur les prix du pétrole, même si nous sommes divisés sur le sujet. La Russie a dit qu’elle ne livrerait plus en cas de prix capés. Mais le pétrole et le gaz sont des revenus importants de la Russie. La Russie a assez peu de leviers sur la question à l’heure actuelle. Derrière les annonces officielles, il y a aussi les canaux officieux, les contournements via un tierce partie, etc.

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Crise énergétique mondiale : quel jeu joue vraiment l’OPEP ?

Pour le Financial Times, la semaine qui vient pourrait bouleverser le marché mondial du pétrole. Qu’est-ce qui pourrait provoquer cette situation ? Partagez-vous ce constat ?

Jean-Pierre Favennec : Il y aura sans doute un certain bouleversement des circuits d’approvisionnement. L’Europe devra importer du brut de destinations plus lointaines que la Russie (Afrique, Moyen Orient ..). Les conséquences en termes de coût seront vraisemblablement limitées car les coûts de transport ne dépassent en général pas quelques dollars par baril. Bien entendu toute autre pourrait être la situation s’il y avait tension sur les disponibilités en navires. Mais la demande de pétrole est pour l’instant relativement faible du fait des menaces de récession qui pèsent sur la planète. Il est symptomatique de constater que la réduction des quotas de production décidée par l’OPEP+ le 5 octobre (2 millions de barils par jour soit 2% de la demande mondiale – diminution la plus forte jamais décidée par les pays producteurs) ne s’est pas traduite comme l’on s’y attendait par une augmentation des prix. Au contraire le prix du brut n’a cessé de baisser depuis.

Les opérateurs ont sans doute largement anticipé la nouvelle situation. Cependant le marché des produits pourrait connaitre des tensions et les prix de certains produits pourraient augmenter.

A quel point le prix du pétrole est-il sensible aux aléas géopolitiques ?

Jean-Pierre Favennec : Il faut rappeler que les prix extrêmement élevés que nous connaissons, en Europe en particulier, remontent à 2021. Entre le début et la fin 2021, avant l’invasion de l’Ukraine, le prix du gaz naturel a été multiplié par 6 et le prix de l’électricité, extrêmement volatil, atteignait fin 2021 le prix actuel.

Ces augmentations de prix tiennent simplement à un manque de capacités de production et à un fonctionnement des marchés européens, au moins pour l’électricité, qui est à revoir.

En 2022 l’invasion de l’Ukraine par la Russie nous rappelle que la Russie est un pays clé sur la scène énergétique (10 % de la production mondiale de brut, 18 % de la production mondiale de gaz,  une production importante de charbon). 2022 marque le retour de la géopolitique sur la scène énergétique.

Une réunion de l’OPEC + est prévue dimanche. Quelles pourraient en être les conséquences ?

Alexandre Baradez : La réunion est en visioconférence, donc traditionnellement, il n’y a pas de grosses annonces dans ces situations. Mais la dernière réunion de l’OPEC + avait annoncé une réduction importante de sa production. Même s’il faut savoir que souvent, la mise en œuvre est loin d’être totale. Le fait que le marché continue de baisser peut aussi être le signe que l’OPEP anticipe aussi un ralentissement économique. Un responsable américain a expliqué hier que les Etats-Unis allaient refaire leur stock stratégique de pétrole et que pour cela ils attendaient le baril à 70 $ pour le WTI, alors qu’il est aujourd’hui remonté à presque 85$. Les autorités veulent une augmentation de la production. Et la menace plane de taxer les superprofits. Ils font pression sur les producteurs pour augmenter la production. Les Etats risquent de ne pas tolérer un pétrole à 90 ou 100 $. Donc il y a une volonté politique et elle devrait être suivie d’effet.

Jean-Pierre Favennec : Rien n’est écrit, mail il est peu probable que des mesures concernant la production de pétrole soient prises. Une nouvelle réduction de la production serait une véritable déclaration de guerre aux pays consommateurs, y compris les pays les plus pauvres qui souffrent d’un montant élevé de la facture pétrolière.

Le prix actuel du brut, bien qu’un peu inférieur au prix souhaité par l’OPEP + est cependant nécessaire à la plupart des pays producteurs pour équilibrer leur budget.

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