Marché de l’électricité : vers une crise du couple franco/allemand ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Europe est confrontée à une crise énergétique.
L'Europe est confrontée à une crise énergétique.
©John MACDOUGALL / AFP

Crise énergétique

La crise liée au gaz russe et aux conséquences de la guerre en Ukraine va pousser l'Allemagne et la France à revoir leurs politiques et leur choix en matière énergétique.

Jean-Claude Werrebrouck

Jean-Claude Werrebrouck

Jean Claude Werrebrouck, a été professeur de sciences économiques à l'université de Lille 2.
Il est l'auteur de Banques Centrales : Independance Ou Soumission ? paru en octobre 2012 aux éditions Yves Michel.

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Les prochains mois seront décisifs pour nombre de branches qui gourmandes en énergie se doivent aussi de renégocier leurs contrats d’approvisionnement avec nombre de fournisseurs d’électricité dont beaucoup ne sont que fort marginalement producteurs de la précieuse denrée. Bien sûr Il existe des usines très impactées, par exemple celles consacrées à la production d’aluminium dont  l’électricité engendrait 30% du cout de production. Mais il existe aussi des entreprises de services à faible marge qui sont aussi très concernées, par exemple toute la grande distribution. Au total pour nombre de branches, l’alignement du prix de l’électricité sur les couts variables des centrales au gaz, fera que la hausse des couts de production sera considérable.

« L’exception ibérique » comme contournement des règles du marché unique

Dans ce contexte on peut comprendre que ce qu’on appelle « l’exception ibérique » puisse exercer de puissants attraits sur un MEDEF inquiet pour ses administrés. Cette exception mérite d’être connue et précisée car  Espagne et Portugal ont de fait obtenu la possibilité de sortir des règles du marché unique. Concrètement le prix du gaz acheté par les centrales est plafonné de telle sorte que le prix de l’électricité offert par les dites centrales soit lui-même plafonné (67 euros le MWh). Si maintenant d’autres producteurs d’électricité, quelle que soit la technologie utilisée, vendent à prix plus élevés sur le marché, 90% de la différence est prélevée par l’Etat. Ce mécanisme complexe aboutit par conséquent à un véritable contrôle des prix et donc une sortie de la règle du marché unique.

Si Bruxelles a accepté ce qui est maintenant appelé une « exception ibérique », c’est probablement en raison de l’argument de la compensation entre subventions et prélèvements, mais c’est surtout en raison du fait qu’il n’existe que très peu d’interconnexions avec le reste du réseau européen et que les avantages correspondants, réduits par la technologie, sont aussi réduits par l’écrémage d’un surplus résultant d’une différence de prix entre l’Espagne et le reste de l’Europe. En effet, Il n’est pas très intéressant pour les producteurs espagnols de venir concurrencer les producteurs européens, puisque la rente qu’ils pourraient percevoir, déjà amincie par la faiblesse de l’interconnexion, serait de toute façon écrémée à 90% par le Trésor espagnol. L’interconnexion qui est une condition fondamentale du bon fonctionnement du marché unique est ici, de fait, techniquement et juridiquement inexistante. Cela s’est confirmé au cours de l’été après la mise en place du dispositif le 15 juin dernier. Ainsi les ventes d’électricité vers la France, traditionnellement moins de o,5% de la production espagnole, ont certes augmenté mais n’ont pas dépassé les 4%. Preuve que la mesure espagnole est globalement efficace et preuve aussi que pour bien gérer la situation il faut d’une façon ou d’une autre ne pas laisser l’interconnexion hors de tout contrôle.

L’élargissement de l’exception à une France largement interconnectée

Face à cette exception, l’Etat français est amené à s’interroger. Ce que nous appelons souvent les fournisseurs alternatifs sont en déliquescence et sollicitent bruyamment l’élargissement de l’ARENH, un dispositif aboutissant à leur subventionnement par EDF qui lui-même est dans une position très difficile. Le MEDEF, qui lui représente les utilisateurs, exige une solution d’urgence face au tsunami du renouvellement des contrats qui aboutiront à un désastre économique (recul de la production ou/et fermeture d’établissements). L’Etat français ne peut plus accepter de peser sur L’ARENH et ses conséquences, tant sur EDF que sur ses actionnaires minoritaires, et se trouve invité à peser sur Bruxelles. L’Etat français, face au désastre dont il est historiquement responsable, est ainsi condamné à enfin se battre.

Pour autant une « exception » ibérique ne peut ici se reproduire sans modification beaucoup plus radicale des règles du jeu en raison de la très large interconnexion. Si l’on adoptait la solution ibérique, la fuite d’électricité vers le reste de l’Europe serait considérable à un moment où les centrales nucléaires sont en déficit de production pour des raisons d’entretien voire de réparation….A moins que l’on rétablisse un contrôle aux frontières avec par exemple un monopole public pour les exportations…on serait très loin des règles européennes. C’est pourtant l’intérêt bien légitime de la France et cela correspond à cette interconnexion large qui fait miraculeusement défaut pour l’Espagne et le Portugal. Si l’Espagne s’autonomise depuis le 15 juin sous l’effet du bouclier d’une interconnexion quasi inexistante, la France ne dispose d’aucun bouclier et doit le construire en rétablissant ses prérogatives de puissance publique au niveau de l’interconnexion. 

L’Allemagne aimerait sans doute bénéficier de l’interconnexion large mais il est clair que cela aboutirait à une redistribution irréaliste : de l’argent public français s’écoulerait vers l’Allemagne. C’est l’Allemagne qui – en raison de ses choix géopolitiques- est devenue fragile. La solidarité se conjugue avec la responsabilité et donc « l’exception ibérique » doit devenir la règle au prix du retour d’un Etat qui garantit à ses frontières – certes dans la solidarité- la reconstruction d’une indépendance énergétique.

Nous verrons dans quelques semaines ce que seront les choix du gouvernement français. 

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