Manuel Valls promet "une politique monétaire plus active" : quelques explications pour les nuls <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande s’apprêterait à négocier la mise en place d’une "politique monétaire plus active" en Europe.
François Hollande s’apprêterait à négocier la mise en place d’une "politique monétaire plus active" en Europe.
©Reuters

De quoi on parle ?

Selon le Premier ministre, François Hollande s’apprêterait à négocier la mise en place d’une "politique monétaire plus active" en Europe. Au-delà des mots et des critiques, il convient de s’inspirer des recettes mises en place aussi bien au Royaume-Uni qu’aux Etats-Unis pour proposer du concret en matière de réformes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Lundi 28 avril,  Le Premier Ministre Manuel Valls écrivait aux députés afin de les convaincre de la nécessité de la mise en place du "pacte de responsabilité". A cette occasion, il déclare :

"Les économies réalisées peuvent peser à court-terme sur l’activité. J’en suis conscient. Elles doivent donc être accompagnées par une politique monétaire plus active et une politique de change plus réaliste au niveau européen. Le niveau de l’euro est trop élevé. Ce sera la démarche du Chef de l’Etat dans les négociations qui suivront le renouvellement du Parlement Européen."

Le Chef de l’Etat s’apprêterait donc à négocier une "politique monétaire plus active au niveau européen" dans l’objectif d’accompagner le pacte de responsabilité mis en place au niveau national. Une telle logique ressemble bel et bien à une stratégie macroéconomique, composée de contraction budgétaire et de relance monétaire. Une main réduit la dépense publique de l’économie lorsque l’autre main vient soutenir le secteur privé. Il s’agit, ni plus, ni moins, du "Policy mix" mis en place par David Cameron aux Royaume Uni, et qui aura permis de remettre l’économie Britannique sur les rails, de créer 485 000 emplois en 2013, et d’anticiper une croissance de 2.9% pour l’année 2014. Le cocktail est efficace.

Ce serait quoi une "politique monétaire plus active" ?

L’enjeu est ici essentiel car il est facile de se tromper.  La recherche économique a largement évolué au cours des dernières années et a beaucoup appris de la crise. SI François Hollande veut prendre exemple sur le Royaume Uni ou sur les Etats Unis, il faudra un jour ou l’autre s’intéresser au NGDPTL. (Nominal Growth Domestic Product Target Level, ou Objectif de niveau de PIB nominal). Sous ce nom insupportable se cache un redoutable outil au service de la croissance, dont les grandes banques centrales (Etats Unis ou Royaume Uni par exemple) sont doucement en train d’expérimenter les effets.

A ce jour, la très conservatrice Banque centrale européenne reste fixée à son mandat de "stabilité des prix". Il n’est pas utile de rester trois heures à expliquer que ce mandat n’a manifestement pas tenu ses promesses en terme de croissance en Europe, et ce notamment depuis 2008. Car l’objectif de cette méthode de "stabilité des prix" était bien de favoriser la croissance et l’emploi. Cet échec a bien été identifié aux Etats-Unis et au Royaume-Uni qui appliquaient jusqu’alors une doctrine plus ou moins équivalente, d’où les révisions des politiques menées depuis ces 2 dernières années. Encore une fois, cet objectif de "stabilité des prix" reposait sur la croyance qu’une faible inflation permettrait de stabiliser la croissance. L’échec est clair.

C’est quoi le NGDPTL ?

En premier lieu, il s’agit d’identifier ce qu’est le PIB nominal. Il ne s’agit de rien d’autre que du PIB exprimé en prix courants, c’est à dire que les chiffres de l’inflation ne lui ont pas été retirés. Lorsqu’une personne perçoit un salaire, disons 100 en année 1, et qu’il parvient à être augmenté à 105 en année 2, son salaire a progressé de 5% en "nominal". Parce que les économistes sont des pervers, le calcul du PIB se fait un peu différemment. Après avoir pris en compte le chiffre de la croissance nominale (le PIB a progressé de X%), les économistes vont retirer la part qui relève de l’inflation (le panier de la ménagère), disons 2% pour l’exemple, et ainsi obtenir le taux de croissance dans son sens accepté par le public. Pour notre salarié, la croissance est donc de 3% (5% d’augmentation moins les 2% d’inflation). Le PIB nominal n’est donc rien d’autre que le PIB exprimé en prix "courants".

Le "NGDPTL" consiste alors à modifier l’objectif actuel de stabilité des prix de la BCE par un objectif de PIB nominal. Disons un objectif de 4 ou 4.5%, ce qui correspond à la moyenne de la progression connue en Europe entre 99 et 2007 pour cette variable. C’est-à-dire avant que le mandat de stabilité des prix ne se soit avéré inutile et dangereux.

Ainsi, si le PIB vaut 100 EUR en année 1, la BCE va fixer un objectif de 104 EUR ou de 104.5 EUR pour l’année suivante. Si la croissance est supérieure ou inférieure à l’objectif fixé, la Banque centrale fera comme si cet objectif avait tout de même été atteint et fixera un nouvel objectif pour l’année suivante. C’est-à-dire 104.5 plus une nouvelle année de croissance de 4.5% soit 109.2025 EUR pour être précis. Ainsi, si la croissance en année 1 est décevante, la Banque centrale indiquera qu’elle soutiendra l’activité de manière encore plus forte l’année suivante pour obtenir le résultat escompté. A l’inverse si la croissance en année 1 est plus forte que prévu, la croissance sera soutenue plus faiblement l’année suivante, toujours dans un objectif de stabilisation autour de cet axe de 4.5%. D’où l’intitulé de "niveau".

Qu’est-ce que ça change ?

Au total depuis 2008, la croissance du PIB nominal européen aurait été supérieure de 20 points  avec un "objectif de niveau de PIB nominal" par rapport à ce qu’il a été avec l’objectif d’inflation. (20 points qui se répartissent entre 10 points de croissance et 10 points d’inflation). Une telle réforme a pour objectif de stabiliser le développement économique autour de ces deux variables principales que sont l’inflation et la croissance. La plupart du temps, inflation et croissance évoluent ensemble, autour de 2% de croissance et 2% d’inflation. (Ce qui nous donne un total de 4% en "nominal", tout va bien) Mais il existe des exceptions. Première exception : A la fin des années 90, la croissance française était en plein boum, plus de 3% en 98 avec une inflation qui s’écrasait sous la barre des 1%. (Ce qui donne toujours un nominal de 4%, c’est encore parfait). Deuxième exception : lorsque la croissance s’écroule mais que l’inflation reste à son niveau de 2%, nous avons un sérieux problème. Et c’est exactement ce qui s’est passé à l’automne 2008. Dans un tel cas, et étant donné que les 4% ne sont pas tenus en l’espèce, la Banque centrale se doit de réagir immédiatement pour que la croissance nominale atteigne son niveau de 4%. Depuis 2008, ce niveau n’est pas atteint en Europe. Pour l’année 2013, la croissance nominale n’a été que de 1.5% contre 4 à 4.5% si un objectif de PIB nominal avait été pris en compte.

L’élégance de cette "technique" est de permettre le "partage" des crises lorsqu’elles surviennent. Alors qu’un objectif d’inflation permet de protéger la capital au détriment du travail, l’inflation est restée très faible en Europe depuis 2008 et protégé le capital, par contre le chômage a explosé. Par contre un objectif de PIB nominal aura l’obligation de prendre la protection du capital et du travail avec équité. La beauté de la réforme repose sur la possibilité de joindre l’objectif de stabilité des prix, et l’objectif de croissance dans une seule et même mesure.

La Banque centrale a-t-elle les moyens de contrôler le PIB nominal ?

En réalité, il s’agit même de sa fonction. Le pouvoir monétaire dispose de la capacité de contrôler ce que les économistes appellent la "demande agrégée". La demande agrégée est la somme de la croissance et de l’inflation, ou plus précisément inflation et croissance sont les deux composantes de la demande,  c’est-à-dire que la "demande" est le synonyme du PIB nominal. Nier la capacité d’une banque centrale de contrôler la demande, c’est donc nier son pouvoir de contrôler l’inflation. Si la zone euro est parvenue à contrôler l’inflation depuis 1999 avec une précision d’horloge suisse à 2% en annuel, c’est bien parce que la BCE contrôle la "demande" européenne. Sinon la terre est plate.

Par quels moyens ?

Une Banque centrale dispose de tous les outils nécessaires pour accroitre, ou réduire, l’offre de monnaie. Elle est ainsi en capacité de créer de la monnaie de manière illimitée. Il s’agit là d’une arme de dissuasion massive pour quiconque viendrait douter de son pouvoir. Grâce à cette menace qui pèse sur l’ensemble des acteurs économiques, la Banque centrale est respectée pour ce qu’elle dit. Voilà pourquoi, lorsque Mario Draghi indiquait en 2012 que tout serait fait pour sauver l’euro "whatever it takes", le marché a obéit. Dans un souci de vulgarisation, le professeur d’économie canadien Nick Rowe parle ici d’effet "Chuck Norris". Parce qu’il n’est pas besoin de déployer toute sa force pour inciter les acteurs économiques à suivre l’ordre qui est donné. La Banque est crédible dans sa menace. Voilà également pourquoi la BCE est parvenue jusqu’à présent a parfaitement stabiliser l’inflation au rythme de 2% en rythme annuel. Alors, que la BCE adopte un objectif de niveau de PIB nominal ou un objectif de stabilité des prix, le résultat est le même : le marché obéit.

Y a-t-il un risque d’inflation ?

La stabilité de la croissance nominale était atteinte entre 99 et 2008, avec ce même chiffre de 4 à 4.5%. L’inflation est restée parfaitement contenue pendant cette période. Ce sera la même chose avec l’objectif de PIB nominal justement parce que le chiffre total reste compris entre 4 et 4.5%. Le seul bémol à apporter est que l’inflation sera plus importante dans le cas où une crise du type de 2008 venait à frapper à nouveau. Une inflation de 3 à 3.5% serait alors envisageable pour une ou deux années afin de contenir la crise. C’est le prix que l’Europe n’a pas choisi de payer en 2008 et qui a donc été payé par les 19 millions de chômeurs en Europe. Mais il est structurellement impossible de voir l’inflation progresser à un rythme supérieur, justement parce que la limite "haute" de l’objectif est de 4 à 4.5%, en prenant en compte la croissance ET l’inflation.

C’est sérieux ?

Cette théorie a été fortement mis en avant dès 2009 par le professeur Scott Sumner aux Etats Unis. D’abord isolé, l’universitaire a été rejoint par des économistes de premier plan. La première fut Christina Romer (alors première conseillère économique de Barack Obama) en 2011, Jeffrey Frankel de Harvard, Jan Hatzius chef économiste de Goldman Sachs etc…jusqu’à la consécration par Michael Woodford, réputé macro-économiste le plus influent au niveau mondial. Suite au discours prononcé par le même Woodford en aout 2012, les choses se sont accélérées aux Etats-Unis, qui ont appliqué peu à peu des évolutions à leur politique monétaire pour s’approcher du "NGDPTL". De la même façon au Royaume Uni, ou le nouveau gouverneur de la Bank of England, Mark Carney, est un fervent soutien à l’objectif de PIB nominal. Cette théorie n’est pas très présente en Europe continentale, et c’est un euphémisme, mais elle remplit les papiers de recherche économique anglo-saxonne. Le Japon a également pu s’en inspirer dès la fin 2012, date à laquelle Shinzo Abe (qui deviendra Premier ministre quelques semaines plus tard) évoquait la mise en place d’un objectif de PIB nominal au Japon.

Un assouplissement quantitatif européen ne suffirait pas ?

Non. Au contraire d’un remaniement PERMANENT de l’objectif de la Banque centrale européenne, un assouplissement quantitatif ne peut avoir qu’un effet temporaire. En effet, si l’objectif d’inflation reste le même, l’assouplissement quantitatif (c’est-à-dire le rachat d’actifs par la banque centrale) ne permettra que de remplir l’objectif fixé, soit 2% d’inflation. Objectif qui, comme nous l’avons déjà évoqué, n’a pas permis de prémunir l’Europe de la crise. Il est donc impératif de modifier l’objectif de la Banque centrale de façon permanente afin d’obtenir un rétablissement…permanent.

Et les réformes structurelles dans tout ça ?

Afin de rendre une telle réforme efficace, il appartient à François Hollande d’apporter des gages à ses partenaires européens. Ces gages doivent être la mise en place de réformes structurelles, et il n’est pas imaginable de se contenter de coups de rabots dans le budget de l’état. Avec  près de 25% de dépense publiques consacrées aux prestations sociales, la France se trouve 5 points au-delà de ses partenaires européens. C’est bien ici que l’effort doit être mené. Il s’agit notamment de repousser l’âge légal de la retraite en uniformisant les différents régimes, de réformer le droit du travail pour aller vers le contrat unique, pour ne pas parler des nécessaires réformes fiscales (A la baisse). Alors qu’une nouvelle politique monétaire permettrait de rétablir fortement l’emploi, les réformes structurelles permettront d’améliorer considérablement  le potentiel de croissance du pays, et de baisser drastiquement les déficits. Moins de chômage, moins de prestation à payer et plus de marges de manœuvres budgétaires. Ce que le budgétaire enlèvera de sa main, le monétaire le rendra, mais au secteur privé. Le cas des Etats Unis est un parfait exemple. En cumulant l’austérité budgétaire et la relance monétaire, le pays est parvenu à faire passer son déficit de 6.9% en 2012 à 4.2% en 2013, soit une baisse de 50% en une année. Pour 2014, ce même déficit atteindra 3%. Malgré le régime, la croissance a pu atteindre 2.4% et est anticipée à 3.1% pour 2014. Le chômage recule à 6.7% de la population active. Retour de la croissance, baisse du chômage, et baisse des déficits ; la boucle est bouclée.

Si François Hollande propose de mener de vraies réformes structurelles dans le pays, en guise de monnaie d’échange à l’échelon européen pour obtenir une révision du mandat de la BCE, un accord doit être possible. Dans un tel cas, un objectif de niveau de PIB nominal est aujourd’hui la solution la plus convaincante pour permettre à l’Europe de sortir de la crise tout en lui offrant la possibilité de se réformer structurellement et ce, sans impact sur l’emploi et la croissance.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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