Manuel Valls pour une politique plus expansionniste de la BCE : maintenant que la prise de conscience est faite, quel chemin pour y parvenir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls veut réformer la politique monétaire européenne.
Manuel Valls veut réformer la politique monétaire européenne.
©Reuters

Cap sur Francfort

Hier, Manuel Valls annonçait dans son discours de politique générale son ambition de réformer la politique monétaire européenne. Une petite révolution au sein de la classe politique française, qui a pour objectif de mettre la Banque centrale européenne au cœur de la restauration de la croissance et de la lutte pour l'emploi.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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"Et les efforts que nous faisons sur la réduction de nos déficits, sur nos réformes structurelles, sur la compétitivité des entreprises, sur le coût du travail, ne doivent pas être balayés par un niveau trop élevé de l’euro. Il est aujourd’hui 10% plus cher qu’à l’été 2012 ; ce qui évidemment pèse sur nos exportations. La BCE mène une politique monétaire moins expansionniste que ses consœurs américaine, anglaise ou japonaise. Et c’est dans la zone euro que la reprise économique est la moins vigoureuse. Ce sujet, qui va d’ailleurs être au cœur des prochaines élections européennes, je veux l’aborder très directement. Car il appartient à l’Europe d’apporter des réponses concrètes aux attentes des peuples."

Manuel Valls a prononcé ces mots lors de son discours de politique générale. L’ambition de réformer la politique monétaire européenne sonne comme une petite révolution au sein de la classe politique française. Une révolution ayant pour objectif de mettre la Banque centrale européenne au cœur de la restauration de la croissance et de la lutte pour l’emploi. Quelques phrases qui ont pourtant été ensevelies sous les commentaires relatifs aux autres réformes annoncées. Pourtant, il s’agit bien là de la modification la plus importante, sans comparaison en termes de montants avec les baisses d’impôts par exemple. Car vouloir calquer la BCE sur le modèle de la FED, de la Bank of Japan, ou de la Bank of England, implique une relance monétaire supérieure à 20% du PIB. Ce qui représente 2000 milliards d’euros pour la zone euro, ou 400 milliards pour la France. La mesure phare de Manuel Valls est bien celle-ci. Mais une telle proposition nécessite de convaincre.

Convaincre le Président

Il n’est pas acquis que François Hollande soit sur la même ligne que celle affichée par le Premier ministre. Car malgré l’article 11 du programme présidentiel du candidat socialiste, invoquant la nécessité de réorienter la BCE vers la croissance "Je renégocierai le traité européen issu de l’accord du 9 décembre 2011 en privilégiant la croissance et l’emploi, et en réorientant le rôle de la Banque centrale européenne dans cette direction", depuis, aucun mot n’a laissé supposer que le Président était bien sur la même voie. Il s’agit ici d’un test décisif, car seul un Président pleinement convaincu permettrait d’apporter le poids nécessaire à une telle réforme.

Convaincre l’opinion publique

Les récentes élections municipales ont pu mettre en évidence une perception d’impuissance de la classe politique française face aux enjeux économiques. Une reprise en main de la question monétaire doit être portée en ce sens. Si l’euro est aujourd’hui une monnaie assurant la stabilité des prix, elle doit être transformée, sur la base du modèle américain, en une monnaie de croissance et de plein emploi. L’affichage permanent d’une "réorientation de l’Europe" croissance ne pourra avoir d’effet réel qu’à ce prix, et permettra de démontrer à la population que le pouvoir est bien entre les mains du politique.

Convaincre les partisans de l’austérité

La réduction des déficits est une conséquence majeure de la relance monétaire. Car la reprise de la croissance, la baisse du chômage permettent mécaniquement la baisse des déficits et de la dette, en rapport avec le PIB. Si le PIB augmente plus vite que les déficits, le cercle devient vertueux. En réalité, l’outil monétaire est bien le support le plus efficace à une politique de réduction des déficits. Les coupes dans les dépenses étant neutralisées par l’action de la Banque centrale.

Convaincre les partisans de la relance budgétaire

Il s’agit là de l’aile gauche du Parti  socialiste. La relance budgétaire ne peut avoir d’effets dans le contexte actuel. C’est ce que nous a appris le plan de relance européen de 2009-2010. Alors que les effets de la relance se faisaient sentir, la Banque centrale européenne a fait le choix d’en neutraliser les effets en avril 2011. Ceci pour une raison simple, le pouvoir monétaire dispose du monopole du contrôle de la "demande". Si ce monopole est transgressé par le pouvoir budgétaire, c’est bien la banque centrale qui aura le dernier mot. La relance budgétaire en devient inutile, voire dangereuse, car elle alourdit la dette sans produire les effets escomptés. De plus, l’opinion publique est aujourd’hui majoritairement réfractaire à la poursuite de l’endettement du pays.

Convaincre l’Europe

Le fonctionnement économique européen semble tourner exclusivement autour des deux règles budgétaires que sont les 3% de déficits par rapport au PIB et les 60% d’endettement d’un pays par rapport à ce même PIB. Il suffira de rappeler que la mise en place de ces règles reposait sur une hypothèse de croissance nominale (c’est-à-dire de la somme de la croissance et de l’inflation) de 5%. En effet, 3% de déficits représentent 60% d’une croissance de 5%, ce qui permet à l’endettement de se stabiliser à 60% de dettes, comme le préconise la commission européenne). Ces 5% étaient la promesse faite aux Etats de la part de la Banque centrale européenne (car oui, une banque centrale dispose du contrôle de la demande, c’est-à-dire de cette croissance nominale, il s’agit même de sa fonction).Or, depuis 2009, la croissance nominale européenne a été d’environ 1% par an en moyenne, soit 4 points de retard chaque année. Dans de telles contions de croissance, le respect des deux autres règles est simplement irréalisable pour la majorité des Etats de la zone. Afin de satisfaire aux 3% de déficits, et 60% d’endettement, la BCE doit donc respecter sa promesse.

Convaincre l’Allemagne

Il s’agit sans aucun doute de l’étape la plus décisive. Mais la vision des trois prochains graphiques permet de se faire une idée du déséquilibre actuel existant entre France et Allemagne, et permettrait de provoquer la réaction nécessaire à la situation actuelle.

Depuis la création de l’euro, la progression de la croissance française et allemande a été similaire.

A croissance égale, la France est parvenue à créer plus d’emplois que son voisin (ce qui sera sans doute une surprise pour beaucoup)

Et pourtant, le niveau de chômage en France est aujourd’hui le double de celui de l’Allemagne, alors même qu’au début de la période l’Allemagne affichait un taux de chômage supérieur.

La raison en est simple. Alors que la démographie allemande a été stable durant les 15 dernières années, la France compte 5 millions de personnes en plus sur la même période. Ce qui signifie que la France a besoin de plus de croissance que son voisin pour parvenir au plein emploi, de beaucoup plus de croissance. Et cette situation est valable pour l’ensemble de l’Europe. L’affirmation de ces faits permet de mettre évidence la nécessité de la recherche d’un intérêt général européen, en lieu et place d’un intérêt particulier qui n’est que la conséquence de la mauvaise conception originelle de l’euro. Un euro qui doit, pour être viable, être transformé en un euro de la croissance.

Le risque de la demi-mesure

Le risque majeur d’une telle réforme serait de ne pas la mener jusqu’au bout, c’est-à-dire en aboutissant au compromis habituel de la demi-mesure. Car il ne s’agit pas de mendier un petit bout de relance, mais bien de modifier les traités européens pour inscrire la croissance comme objectif prioritaire, au même titre que la stabilité de prix, dans les statuts de la Banque centrale européenne. De plus, la demi-mesure offrirait de faibles résultats qui permettraient aux opposants de se cacher dans le typique "vous voyez bien que ça ne marche pas". La négociation doit porter sur l’essentiel : les déficits doivent être respectés, la dette contrôlée, mais uniquement à partir du moment où la BCE respectera sa promesse initiale de 5% de croissance nominale par an.

Pour conclure, et pour rappel, il est aujourd’hui possible de se faire une idée de la responsabilité de la politique monétaire menée en Europe depuis 2008. En admettant que la stabilisation de la croissance nominale doit être le rôle d’une banque centrale (comme le préconise aujourd’hui le plus influent théoricien monétaire, Michael Woodford), il suffit de constater l’ampleur de la défaillance de la BCE.

La ligne rouge est la prolongation de la tendance de croissance nominale connue entre 1995 et 2008. La ligne noire est la réalité. L’écart entre ces deux courbes est la crise, une crise monétaire.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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