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Manuel Valls en position de rebattre les cartes après une 1ère mobilisation en demi teinte contre la loi El Khomri
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Atlantico Business

Les manifestations n'ont pas obtenu le succès espéré par les leaders syndicaux ou redoutés par le gouvernement… Moralité, il va falloir avancer.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La journée de mercredi peut permettre à Manuel Valls de rebattre les cartes. Le tsunami social promis par certains leaders de la gauche opposés à sa politique et par les syndicats qui réclament le retrait total du projet de loi El Khomri et si possible le départ du Premier ministre, ce tsunami qui devait ressembler à celui qui avait condamné le CPE présenté par Dominique de Villepin en 2006, ne s’est pas produit.

Les syndicats n’ont pas mobilisé comme ils l'espéraient, surtout ils n’ont pas mis la jeunesse de France dans la rue.

Alors le soufflé n‘est pas retombé. La grogne contre François Hollande, la colère d’avoir été trompé par rapport aux promesses de la campagne électorale, le découragement des élus de gauche, l’énervement des personnels des services publics, tout cela peut encore se coaguler et provoquer des vagues de fond qui pourraient tout remettre en cause, mais c’est assez peu probable.

Contrairement à ce que pensent les militants les plus anciens, le contexte actuel n’a rien à voir avec celui qui avait fait exploser la France en mai 1968. Contrairement à ce qu’auraient voulu les leaders syndicaux, on n’est pas en 2006…

Manuel Valls n’est pas Dominique de Villepin, le CPE n'avait rien à voir avec le projet de réforme du Code du travail et les conditions économiques ont tellement changé en dix ans.

On ne fait pas manifester des jeunes d’aujourd’hui comme des vieux d’il y a dix ans. Les conditions, les ambitions, les projets, les perspectives ont complètement changé.

La majorité des étudiants ont évidemment d’autres projets. La mobilisation n’a pas été à la hauteur des attentes de leurs organisateurs.

Cette affaire qui secoue la France et qui finit d’hypothéquer la fin du quinquennat de François Hollande a été gérée avec trop de malentendus et trop de contradictions, trop de flou dans la mécanique proposée. 

La première série d’incompréhensions porte sur le contenu même de la réforme. Tout le monde a compris que la loi El Khomri allait dans le bon sens. Ifaut être de très mauvaise foi pour ne pas reconnaître que la complexité du Code du travail freine désormais la gestion du personnedans les entreprises qui ont besoin de flexibilité.

On le sait depuis des années et personne n'avait oser le dépoussiérer. Et pourtant, la France est le pays en Europe où le chômage est le plus élevé, le pays où la durée du chômage est la plus longue et le pays où le chômage touche avec le plus de violence les jeunes. 

Tous les pays qui en Europe ont fait des réformes de flexibilité ont renversé leur courbe de chômage. L'Espagne et l’Italie ont créé 500 000 emplois en dix huit mois. Tous les pays qui en Europe ont mixé avec intelligence la flexibilité pour l'entreprise et la sécurité pour les salariés sont au plein emploi. L’Autriche, l'Allemagne, les pays scandinaves, la Grande-Bretagne.

Alors tous ces pays ne sont pas des modèles sociaux paradisiaques, mais leur population active est intégrée et leurs budgets publics et sociaux ne croulent pas sous les dettes.  

La loi El Khomri n'a évidemment pas été assez expliquée. C’est vrai qu’elle pourrait être amendée, oui, mais on ne peut pas dire qu’elle soit à contrecourant de l'histoire.

Ce qui était à contre-courant de l'histoire, c’est d’avoir repoussé la loi Villepin il y a dix ans sous prétexte qu’elle organisait la précarité pour les jeunes. Le refus de retenir le CPE n’a pas amélioré la situation. La preuve, le chômage des jeunes a explosé, les politiques de formations sont un désastre.

Avoir expliqué aux lycéens qui leur fallait manifester comme leurs aînés d'iy a dix ans n’était pas responsable.

D’autant que cette génération digitale savait bien que le système a besoin de souplesse dans l'organisation du travail. Ils y sont prêts. Le succès de Uber leur appartient, celui de Blablacar ou de Airbnb aussi. Ces types d'organisation sont le pur produit de cette génération.

Cette génération qui, plus que d'autres, sait bien que leur terrain d’activité n’a pas de frontière et qu’ils ont besoin de liberté.  

Les étudiants dans leur majorité ont bien compris qu’il y avait quelque chose de flou dans le débat et quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. Ne parlons pas des explications des leaders lycéens qui étaient pathétiques et dont le seul mérite était de faire un exercice grandeur réelle.

La deuxième série d'incompréhensions provient du comportement des syndicats traditionnels.

D'abord, ils se sont retrouvés divisés comme jamais entre les partisans d'une réforme emmenés par la CFDT et les partisans de conserver le statu quo et le Code du travail tel qu’il est. Ce qui est perturbant, c’est que les premiers qui travaillent à un compromis sont très présents dans les entreprises privées et qu’ils savent bien qu'il y a des blocages à l'embauche qu'il faut faire sauter. Quant à ceux qui rejettent tout changement, ils sont plutôt représentés dans la fonction publique et les entreprises publiques où leurs salariés sont protégés par un statut. La loi ne les concerne pas.

Ajoutons à cela que les syndicats sont confrontés à une concurrence nouvelle.

La loi El Khomri leur retire un quasi-monopole de la négociation puisqu’elle fait descendre beaucoup d’accords au niveau des entreprises et ouvre la voie au référendum de personnel.

Pour les syndicats installés depuis des lustres, c’est mortifère et on comprend qu’ils se battent. Comme des chauffeurs de taxis pour protéger leur droit de place.

Donc en réalité, les syndicats ne se battent pour les salariés du privé, ils ne se battent surtout pas pour les chômeurs. Ils se battent pour protéger leur fonds de commerce.

La façon dont ils ont radicalisé leur position et mélanger les motifs de grève en invitant les cheminots et des personnels enseignants ou hospitaliers signifie clairement qu'ils veulent coaguler le mouvement contre le Gouvernement qui est déjà très fragile.

Les salariés ne sont pas dupes. Les chômeurs encore moins. Il y en avait très peu dans les manifestations hier, c’est bien le signe qu'ils attendent une réforme et qu’ils ne voient pas pourquoi des fonctionnaires seraient mieux placés pour les défendre. Les chômeurs n'ont pas manifesté parce que les chômeurs attendent une réforme qui bougerait un peu l'organisation du travail.

Tout cela a donné un spectacle syndical assez flou et quand c'est flou, c’est qu’il y a un…loup.  

La troisième série d'incompréhensions est purement politique. Le président de la République élu sur un programme de gauche, avec des promesses radicales non tenues faisant aujourd'hui une réforme que même la droite n'avait pas osé faire… C'est peut-être courageux, mais pour les électeurs de gauche c’est surtout incompréhensible ; d’autant moins que le Président n'a rien expliqué. Il a laissé son Premier ministre foncer dans ces brouillards de gauche avec d'autant plus de détermination que lui, lors de la campagne présidentielle, il n’a jamais promis un paradis social. Compte tenu de la réalité et des perspectives, son programme était plutôt de dire la vérité des faits et des chiffres. Le programme Valls-Macron était plutôt de sortir le pays de ses illusions socialistes et de le brancher sur la modernité du monde.

La majorité s’est fracassée sur cette dissonance idéologique, elle est tombée en miettes quand on s’est aperçu que la loi El Khomri allait servir de marqueur entre ceux qui regardent devant et ceux qui conduisent dans le rétroviseur.

Un marqueur aussi des ambitions politiques dans la perspective de 2017. Manuel Valls et Emmanuel Macron sont évidemment sincères dans leur ambition de réformer le pays, mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’à 18 mois d'une présidentielle où tous les coups seront permis, ils n’aient pas d’ambitions personnelles.

C’est vrai pour certains membres du Gouvernement, c’est aussi vrai pour quelques leaders de la gauche qui se sentent mieux dans la critique systématique que dans la louange d'un Président finissant. Pas question de prendre une part de responsabilité dans un bilan aussi désastreux.

Tout cela a créé un climat extrêmement flou dans la non-préparation de la loi El Khomri… Et quand c’est flou c’est qu'il y a un loup. Comme disait Martine Aubry quand elle avait encore le sens de la formule.

Martine Aubry n’est évidemment pas plus claire. Elle casse, elle essaie de tuer, mais elle part dans tous les sens. L'exercice dans lequel elle excelle, c’est la leçon de morale. Elle porte le saint-suaire du Parti socialiste, elle explique que son conservatisme des valeurs de gauche est une vraie modernité. Du coup tout le monde rigole.

Les jeunes de gauche, (ceux qui n’avaient pas voté Hollande puisqu’ils n'avaient pas l’âge) ont massivement signé la pétition virtuelle. Sur Facebook et sur Twitter, ils étaient chez eux.

Mais quand sur le terrain ils se sont aperçus que leurs aînés de gauche leur ont expliqué que la morale était forcément de s’aligner sur la ligne du parti telle que la définissait Martine Aubry, ils ont commencé à traîner des pieds. Pour eux, la gauche c’est aussi d’être efficace et de trouver du boulot. 

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