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Manuel de survie en milieu scolaire : professeurs, comment tenir tête à votre chef d'établissement
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Bonnes feuilles

Dans un milieu scolaire de plus en plus hostile, l’auteur Daniel Arnaud donne des conseils aux professeurs, parents et enfants pour étudier correctement : ne jamais fermer les yeux, résister à la surenchère répressive, respecter une échelle de sanctions, se rendre accessible… Extrait de "Manuel de survie en milieu scolaire" (2/2).

Daniel  Arnaud

Daniel Arnaud

Daniel Arnaud enseigne le français et l’histoire-géographie en collège. Il a publié Dernières nouvelles du front, choses vues dans un système éducatif à la dérive (L’Harmattan, 2008) et participe au blog Idées républicaines sur le site du nouvelobs.com.

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« En raison des piètres résultats de leurs élèves au Bac 2012, les professeurs de lettres de l’académie d’Orléans-Tours sont appelés à surnoter l’édition 2013… Quitte à trafiquer le barème en notant l’épreuve orale de français sur 24 points au lieu de 20 42. »

Le taux de réussite au Bac est passé de 73,5 % en 1960 à 84,8 % en 2012. Mais comment ces chiffres pourraient-ils témoigner d’une hausse du niveau, alors même que les enquêtes internationales43 révèlent un recul du système éducatif français ? Ne faut-il pas plutôt chercher la cause de ce « progrès » statistique dans le fait que les correcteurs reçoivent des consignes pour noter avec « souplesse », comme on dit dans le milieu ? L’évaluation des candidats s’avère, en effet, très encadrée. Elle est « harmonisée » lors de réunions qui se tiennent avant et après les épreuves ponctuelles. Or, comme l’observait en 2008 le sénateur Jacques Legendre dans un rapport, les barèmes sont « trop souvent formulés dans des termes purement positifs ». De là à considérer que leur but ultime est de gonfler artificiellement les résultats, il n’y a qu’un pas.

Cette logique ne s’applique-t-elle du reste qu’au moment des examens ? En réalité, elle conditionne de plus en plus le quotidien des professeurs. Ainsi, en Bac professionnel, de nombreuses matières ne font plus l’objet d’une épreuve terminale, mais sont évaluées dans le cadre d’un CCF organisé par l’enseignant lui-même pendant l’année scolaire. Il n’est pas difficile d’imaginer les « incitations », pour ne pas dire les « pressions » dont il peut alors faire l’objet de la part de certaines équipes de direction afin de soigner le taux de réussite des élèves inscrits dans l’établissement. Les pouvoirs des chefs d’établissement, accrus avec les réformes successives, ne font qu’amplifier les dérives existantes, et l’administration n’hésite plus à empiéter sur les activités d’enseignement. C’est pourquoi j’affirmais, dans le cadre d’un dossier du Figaro consacré à « l’autonomie des lycées » et à l’extension des pouvoirs des chefs d’établissement : « Les chefs d’établissement représentent le principal obstacle à la transmission des savoirs. » Certains d’entre eux incitent désormais le pédagogue à baisser son niveau d’exigences, à négliger ce que retiennent vraiment les élèves, et à remonter artificiellement ses notes et ses moyennes : « Pour avoir la paix, combien de professeurs rehaussent-ils généreusement les moyennes de leurs élèves ? s’interroge Véronique Bouzou. Et combien d’entre eux se demandent à quoi servent les notes qu’ils distribuent quand celles-ci n’évaluent plus des compétences réelles mais demeurent comprises dans une fourchette “raisonnable” qui atténue les différences entre les meilleurs élèves et les autres? »

De la même manière, on comprendra que, pour des questions d’image, l’intérêt de certains principaux de collège et de certains proviseurs de lycée est de minimiser les éventuels actes à l’encontre des personnels d’éducation : s’ils peuvent éviter de les répertorier dans le fi chier SIGNA, c’est tout bénéfice pour eux. Vous exercez dans un collège dit « difficile ». Des incidents, parfois violents, dégradent régulièrement vos conditions de travail et celles de vos collègues : insolences d’élèves, insultes, etc. Un jour, un élève cherche à se venger d’une mauvaise note et jette une pierre sur votre pare-brise. Vous portez plainte. Vous en avez le droit. Votre réaction est somme toute normale. Mme Y, si c’était votre voisine ou votre amie, serait la première à vous encourager à « ne pas vous laisser faire » et à vous soutenir. Mais voilà : Mme Y, en l’occurrence, est la principale du collège où l’agression s’est produite. Son intérêt, d’abord pour la poursuite de sa carrière, est de préserver l’image de son établissement, et d’éviter que les dysfonctionnements soient connus de l’extérieur. Votre dépôt de plainte la gêne, il ne lui permet pas de s’en tenir à « régler les choses en interne », c’est-à-dire à étouffer l’affaire… En cours d’année, elle peut être en outre amenée à dialoguer avec différents partenaires institutionnels : préfet, élus du conseil général… Elle n’a vraiment pas envie de retrouver tous ces gens pour se laisser glisser au détour d’une réunion : « Il s’en passe des choses, chez vous… » Votre démarche, légitime, peut donc apparaître pour elle, du fait de sa position, comme gênante, voire menaçante. Il peut s’agir d’un événement déclencheur d’un harcèlement dont le but sera de vous mettre en cause personnellement et professionnellement (« C’est cet enseignant qui n’est pas adapté aux élèves et qui suscite chez eux de la violence ») de façon à occulter le fait que les dysfonctionnements sont bien ceux du collège dont elle est responsable…

— Comment, mais ne travaillent-ils donc pas tous dans l’intérêt de l’élève ?!

— À l’heure de l’« autonomie » et de la mise en concurrence des collèges et des lycées, certains se comportent davantage en managers ou en traders…

— Ce qui veut dire ?

— Qu’ils sont juste là pour soigner l’image et les statistiques, afi n de se ménager une “clientèle” et de “faire du chiffre”…

— Vous exagérez ! Encore un peu, et vous allez nous faire croire qu’ils sont comme ces banquiers qui engloutissent des milliards en bourse avant de se faire prendre…

— En effet. Ils n’hésitent pas à dissimuler les pertes culturelles et humaines dans une école qui va mal, afin d’atteindre leurs objectifs de carrière. Sauf qu’eux, ils ne se font jamais prendre. » Le coût est énorme pour la société. Un retournement des missions éducatives pouvant se traduire par une remise en cause de la « liberté pédagogique » des enseignants (alors que le professeur devrait demeurer maître dans sa classe et maître de sa notation) ; ou encore par une volonté d’autant plus marquée d’imposer une sorte de « loi du silence » autour des incivilités et des violences rencontrées tout au long de l’année scolaire. L’administration use d’un double langage à tous les niveaux. Par « 80 % de réussite au Bac », il faut comprendre « 80 % d’obtention d’un diplôme à 40 vitesses ». Par « lutte contre l’absentéisme », de la même manière, il faut entendre non pas « remettre les élèves en cours pour les instruire », mais « éviter qu’ils divaguent en tant qu’éléments incontrôlables », et peu de classe refermée… Mieux vaut saisir cette novlangue administrative afi n de savoir ce qu’on attend réellement de vous ! C’est-à-dire pas forcément enseigner, ni d’avoir les conditions pour le faire…

Conseils pour les profs

Règle n° 1 : Ne pas être naïf

Du fait de leur position, les chefs d’établissement composent au gré d’intérêts divergents : ils doivent gérer du personnel, soigner leur réputation auprès des services académiques, et répondre aux sollicitations des parents d’élèves. Le tout dans le même temps. L’intérêt public ? L’idéal républicain ? L’égalité des chances ? L’instruction c’est l’État qui la doit au peuple en fête, comme l’avait jadis affirmé le poète ? À l’usage, leurs préoccupations restent prosaïques : « Ils reçoivent quotidiennement des parents, plus enclins à attaquer un enseignant qu’à le soutenir, et qu’il n’y a pas intérêt à braquer […]. Tous, sans doute, ont leur manière, leur style de comportement, mais, malgré leurs différences, tous, sauf de très rares exceptions, manifestent le même double souci :

1° Ne jamais déplaire à l’inspection académique ni au rectorat, il y va de leur carrière ;

2° Se concilier au maximum les parents », souligne fort justement Maurice T. Maschino. Mieux vaut vous faire à cette idée : il vous faut dans ce contexte composer avec de nombreux paramètres. En d’autres termes, ne pas noter forcément des copies, par exemple, mais produire des appréciations qui vous permettront d’optimiser vos relations avec les autres membres de la « communauté éducative »…

Règle n° 2 : Gérer sa fourchette de notes

Vos élèves sont incapables d’écrire une ligne en français correct ? Tout ce qui remonte à avant leur date de naissance fait partie pour eux de la préhistoire ? Tant pis ! Vos moyennes ne doivent jamais refléter de niveau catastrophique. Si elles sont trop basses, cela vous sera reproché en conseil de classe par le chef d’établissement trader. Il vous sommera d’expliquer vos « mauvais résultats » (à la place de vos élèves)… Alors n’hésitez pas, si vous voulez qu’on vous laisse tranquille, à vous de fixer des « notes planchers » : quelle que soit la copie, ne descendez pas en dessous de 5 ou de 6, mais « valorisez » le moindre début d’ombre d’ébauche de reflet de réflexion… Il vous restera ainsi de la marge pour mettre de très bonnes notes aux quelques élèves qui les méritent vraiment, tout en déjouant la vigilance de votre supérieur. Et appliquez les mêmes principes quand vous corrigez des examens…

Règle n° 3 : Bien choisir ses mots

Le chef d’établissement trader, plus qu’un autre, n’aime pas les vagues. Rien ne doit venir écorner l’image qu’il veut donner de son collège ou de son lycée. Aussi devez-vous apprendre à faire passer le message tout en minimisant les éventuelles difficultés que vous rencontrez. Un énergumène se montre insupportable ? Vous écrirez dans son bulletin « élève dynamique et volontaire, bien qu’un peu dissipé ». Il monopolise l’attention au détriment des autres ? Préférez la formule « bonne participation en classe, qu’il faut cependant mieux canaliser », etc. L’essentiel est de continuer à pouvoir dire un certain nombre de choses utiles, sans pour autant vous mettre en porte-à-faux vis-à-vis de vos supérieurs.

Extrait de "Manuel de survie en milieu scolaire", Daniel Arnaud, (Max Milo Editions), 2013. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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