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Manque d'influence : mais pourquoi la France n'arrive-t-elle plus à transmettre ses valeurs ?
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Soft power

L'influence de la France au niveau international est assez faible par rapport à celle des États-Unis ou de la Chine. Claude Revel explique que cela est dû au fait que notre pays a perdu au fil du temps la mission de transmission de ses valeurs. Extraits de "La France un pays sous influence (1/2).

Claude  Revel

Claude Revel

Claude Revel, ancienne élève de l'ENA (promotion Voltaire), est l'un des plus grands spécialistes français de l'influence. Professeur à Skema Business School, conseil de groupes internationaux, elle est l'auteur du livre "La France, un pays sous influences?" aux éditions Vuibert.

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La compétition mondiale nouvelle repose sur une guerre des contenus. Qu’il s’agisse de stratégie ou de politique, l’action ne peut se réduire à de la communication. Ceux qui l’oublieraient en seraient bien mal inspirés, par exemple des entreprises qui feraient du greenwashing sans programme de fond ou des Etats qui retravailleraient leur marque (rebranding) sans mettre en place une nouvelle politique. Ou encore des leaders politiques qui avanceraient des propos trop incohérents avec leur action. Les internautes se font aujourd’hui un plaisir de décrypter et diffuser des démentis en quasi-temps réel, comme les «Décodeurs » du Monde, ou d’envoyer des commentaires et des images, comme les « Observateurs » de France 24.

L’influence ne réussit qu’adossée à des valeurs. Et celles-ci doivent être cohérentes avec la réalité de l’émetteur du message. L’influence repose sur une inspiration profonde, sur l’existence d’un message structuré, partagé, sur la fierté de le transporter, de le transmettre. La capacité d’influence n’est pas seulement technique. Si le soft power américain s’est répandu aussi largement, c’est qu’il reposait sur une mission de l’Etat : les Etats-Unis ont profondément conscience de transporter des valeurs et de devoir les transmettre au monde. La notion de « mission » est omniprésente, autant au niveau de l’Etat que dans les entreprises (un mission statement existe dans tout texte émanant d’une organisation ou d’une entreprise américaines). Si les Chinois s’apprêtent à suivre le même chemin de soft power, c’est aussi parce que l’élite qui dirige le pays se sent investie de la mission de revenir à l’Empire chinois tel qu’il n’aurait jamais dû changer. On peut penser actuellement au même type d’inspiration pour des Etats islamiques, notamment le Qatar.

Et si l’Union européenne est autant chahutée par « les marchés » et les agences de notation, si elle exerce une influence beaucoup plus faible que celle des Etats-Unis sur la gouvernance mondiale, si la France de son côté est trop peu crédible dans les institutions internationales, on peut se demander si ce n’est pas dans les deux cas parce que la « mission » n’est pas définie, ou n’existe plus.

Le triomphe de l’ordre (libéralo-)moral

Tous ces processus se développent dans ce que nous avons appelé un esprit libéralo-moral. La construction de la gouvernance internationale se veut fondée sur le droit, plus exactement sur des règles, qui ne sont pas nécessairement du droit positif : normes, bonnes pratiques, codes, principes directeurs, chartes, process rendus obligatoires... mais qui toutes respectent les valeurs communes grossièrement résumées par le développement durable et la responsabilité sociale. A tout niveau il faut être compliant, c’est-à-dire conforme. Conforme à quoi ? A la bonne gouvernance. Quels sont les critères de cette bonne gouvernance ? Ceux dont les promoteurs auront été les plus influents. Aujourd’hui, ce sont les Américains, parfois alliés à d’autres. Parfois les Brésiliens, sur des terrains très précis. Demain, les Chinois ? Les Qataris ? Les Russes ? Les Européens ?

Cette « gouvernance libéralo-morale » (que l’on peut appeler «GLM» pour imiter nos faiseurs de sigles en tous genres) est elle même née d’influences remarquables. Le fondement du « projet » général est incontestablement, et très fortement, libéral. L’idée d’une interdépendance des marchés tempérée par des engagements volontaires des Etats avait été développée dès les années 1970 dans les cercles de la Trilatérale, groupement international de leaders américains, européens, japonais, dont à cette époque Zbigniew Brzezinski était le Secrétaire général (il sera plus tard conseiller aux Affaires étrangères du président Carter). L’essor fulgurant des marchés, ce que l’on a par la suite appelé « mondialisation », était prévu, anticipé même, et du coup put être formaté. Il était souligné que dans l’énorme croissance des échanges prévue il fallait que les Etats aient une sorte de règle de conduite, de conscience notamment en matière environnementale, et cela devait concerner en particulier les pays en développement. Ce thème passa à l’ONU qui se l’appropria et en fit le fameux concept de « développement durable » défini par le rapport « Notre avenir à tous » (« Our common future ») de la commission Brundtland de 1987.

Ce rapport était alimenté, entre autres, par les réflexions de la Trilatérale et de la Fondation Rockefeller. Cette nécessité de coordination des Etats pour encadrer a minima la mondialisation qui se profilait fut confirmée par la conférence de Rio de 1992 qui impulsa la mise en place des Agendas 21 des Etats et des stratégies nationales de développement durable. A partir de cette date, le développement durable devint « le » pilier de toutes les régulations internationales. C’était, plus exactement, un squelette, dont la chair fut peu à peu créée à la fois par les Etats et par les acteurs privés. Parallèlement, se dessinait un nouveau rôle attribué au secteur privé. Les engagements éthiques et citoyens étaient étendus aux entreprises et au secteur non étatique en général, car les marchés se développaient et la redistribution des cartes du pouvoir était en marche. Il fallait que ces nouveaux acteurs clés du prive´ se comportassent à peu près bien, même en l’absence de règles de droit supranationales.

La «GLM» place une grande confiance dans les entreprises privées, censées répondre au moins aussi bien que les Etats, sinon mieux, aux besoins collectifs des sociétés. On considère que la réduction de la pauvreté viendra du commerce, non seulement domestique mais ouvert aux échanges mondiaux et dynamisé par les investissements directs étrangers, IDE (privés). Les entreprises se voient reconnaître une légitimité nouvelle dans l’ordre mondial, avec en contrepartie une responsabilité sociale sous forme d’engagements volontaires.

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Extrait de "La France, un pays sous influences" aux éditions Vuibert (1 juin 2012)

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