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Manif pour Tous, le retour : que reste-t-il du seul vrai mouvement citoyen de masse qui ait émergé en France ?
©Reuters

Disparition progressive

Si la Manif pour Tous a incontestablement été le grand mouvement social de ces dernières années en France, son incapacité à perdurer dans le temps après le vote de la loi Taubira pose question, alors que le mouvement se rassemble une nouvelle fois à Paris ce dimanche.

Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Plus de trois ans après le vote de la loi Taubira autorisant entre autres le mariage entre personnes de même sexe, la Manif pour Tous organise une nouvelle manifestation publique dans les rues de Paris ce dimanche. Si la nébuleuse Nuit Debout a également fait parler d'elle ces derniers mois, dans quelle mesure peut-on dire que la Manif pour Tous a été le grand mouvement citoyen de ces dernières années ?

Roland HureauxNe serait-ce que par les effectifs : 1 million et demi d'un côté , quelques centaines de l'autre. Le fait que les premiers, bien élevés, ne cassent rien et que les autres cassent tout ce qu'ils  peuvent ne devrait pas altérer le comparaison. Si on valorisait la violence , on pourrait dire aussi bien que le terrorisme constitue une manifestation encore plus importante. N'est comparable à la Manif  pour tous que celle qui a suivi l'attentat de Charlie. Tout le monde a dit qu'elle était plus nombreuse encore mais comme la police a refusé de compter , on ne sait pas. Et elle avait, elle, l'appui massif de médias. Un autre critère est l'attitude du pouvoir. Compréhensive vis-à-vis de Nuit Debout malgré sa violence. Terriblement  répressive vis-à-vis de La Manif pour tous malgré sa non-violence : rafles ,fichages, mises en garde à vue, procès iniques. Cela prouve que la loi Taubira touchait à des choses beaucoup plus profondes que la Loi El Khomery , légère il faut bien le dire dans sa substance. D'ailleurs la première est libertaire, la seconde libérale. Beaucoup de gens pensent que les deux sont liés. Les gens de la Nuit Debout , prisonniers de réflexes archaïques , de type marxiste, ne veulent pas le reconnaitre. 

A lire aussi sur notre site : "Manif pour Tous, trois ans plus tard : le sondage qui montre que même chez les catholiques et les sympathisants de droite, l’adhésion au mouvement s’essouffle"

Erik Neveu : Je répugne comme chercheur à distribuer des médailles du "plus grand" mouvement. Mais sans ambiguïté La Manif pour Tous aura été, en France, comme les mobilisations de l'après "Charlie", celles contre la Loi El Khomri avec Nuit Debout un mouvement-repère du siècle naissant. Plus que sur une place hiérarchique, on peut se fixer sur ses singularités : une mobilisation impressionnante et répétée venant plutôt du peuple de droite – même si le sondage réalisé pour Atlantico introduit quelques nuances. Ce fut aussi une mobilisation qui exprimait un vrai trouble et fédérant un éventail remarquablement large de participants. On a parfois insisté sur des composantes intégristes, même homophobes et elles existaient. Mais ne voir que cela est sans doute passer à côté de l'essentiel. On peut regretter que les chercheurs en sciences sociales n'aient pas été aussi nombreux à suivre ce mouvement qu'ils ne le sont à analyser l'altermondialisme. Disons-le simplement : il reste une part d'énigme à élucider. Le mouvement a exprimé avec force des émotions, une vraie alarme autour de questions comme le 'genre', le lien familial.

Et cette intensité émotionnelle ne saurait être disqualifiée comme n'exprimant qu'un extrémisme. Il faudrait donc aller voir plus finement le profil social des manifestants, les réseaux divers par lesquels ils se mobilisent, les thèmes premiers qui les motivent, ce qui déclenche chez eux de forts sentiments d'indignation, de trouble... et ces raisons varient entre manifestants. On peut formuler des pistes de réflexion. L'une porterait sur le recul au sein du monde chrétien du poids de ceux qu'on nommait "cathos de gauche" et leur discours. L'autre constaterait que jamais l'écart en fut plus grand entre ce que sont les comportements sexuels et affectifs réels, les visions de la féminité et de la masculinité dans la France de 2016 et le discours de l'église catholique sur ces questions. Cela qui provoque en réaction ce qu’Irène Thery appelle un 'effet panique' mais aussi un désir de réaffirmer ce qui est non négociable dans la doctrine chrétienne.

Le "mariage pour tous" n'a-t-il pas été aussi un catalyseur ? Tous nos concitoyens ont-ils les mêmes ressources financières, cognitives, psychologiques pour gérer des conjugalités plus instables, des recompositions familiales, s’accommoder de couples "pas comme les autres" ? Pour des groupes qui subissent de plein fouet l'insécurité de l'emploi, le déclassement (réel ou ressenti), qui ont le sentiment de vivre dans un monde où les repères et les institutions solides s'évaporent, la réforme n'était-elle pas vécue comme une menace sur la dernière institution sécurisante : la famille hétérosexuelle faisant naître la génération suivante ? Le sondage Atlantico suggère en tout cas que l'audience du mouvement est spécialement forte chez les personnes âgées, les ruraux, les travailleurs indépendants. La Manif pour Tous reste un moment politique qui, plus que célébrations ou dénigrements, demande un effort de compréhension qui est encore en bonne part devant nous.

Le mouvement de la Manif pour Tous a eu un écho retentissant tout au long du débat sur la loi Taubira, mais il s'est fait plus discret ces deux dernières années. Comment peut-on expliquer cela, alors qu'un sondage IFOP pour Atlantico montre que 24% des Français se disent proches des valeurs de ce mouvement, contre 31% en 2014 ? Quelles sont les raisons qui pourraient expliquer pourquoi le mouvement n'a pas "pris" davantage au sein de la société et du monde politique français ?

Erik Neveu : Le défi de tout mouvement social c'est de s'installer dans la durée. Ses phases d'activité intense sont terriblement consommatrices de temps, d'énergies et d'affects. Tourner à plein régime est une réussite qui se prolonge rarement au-delà de quelques mois ou semestres. Dans le cas de la "Manif pour Tous" on peut suggérer trois explications plus spécifiques. L'une tient à des dissensions internes. Elles sont visibles dès le vote de la loi Taubira, avec le départ de la porte-parole la plus en vue Frigide Barjot en désaccord avec des sensibilités plus proches d'un catholicisme intégriste qui, lui-même, ne fédère pas tous les chrétiens mobilisés. La coloration extrême-droitière du "Printemps français" qui s'emploie à pérenniser le mouvement ne facilite pas la relance d'une mobilisation dont le succès devait à une capacité d’agréger des groupes, individus et motivations assez diverses, pas toujours nettement politisées.

Une telle convergence ne peut advenir sans la part de flou, d'auberge espagnole, des grands mouvements qui font se côtoyer des sensibilités plurielles dans le sentiment qu'elles ont plus de valeurs et de demandes partagées que d'incompatibilités. La durée de vie d'un mouvement dépend aussi en bonne part de son armature organisationnelle. Si celle-ci a été très efficace en 2013 pour organiser des manifs centrales, les ramifications au niveau des villes et départements étaient inégalement développées, peu ont maintenu une activité visible et soutenue. Ajoutons enfin qu'existent toujours des effets d'"agenda". Le vote de la loi clôt un moment mobilisateur. D'autres enjeux – dont le terrorisme de groupes islamistes internationaux- déplacent l'attention, sans doute aussi les investissements militants d'une part des cadres du mouvement.

Roland HureauxPardonnez -moi : je suis quelque peu sceptique sur ces sondages. Tout dépend de qui pose la question, comment,  à qui, quand ? Spécialement dans une question hautement idéologisée comme le mariage homosexuel. La population sondée est, il est vrai ,  tributaire de l'actualité : le sujet était plus brûlant en 2013-2014 qu'aujourd'hui . Mais l'enjeu revient à la surface    à l'approche des prochaines échéances électorales. Le soufflet était retombé parce que les gens, surtout les adversaires de la loi, pensaient qu'il n'y avait rien à faire : Hollande était encore là pour quelque temps et il n'y avait rien à attendre de lui.

N'oublions pas non plus que la question du statut  des homosexuels ( à peine 2 %  des Français) est un combat de minorités  sensibles  à  un enjeu qui est plus  symbolique que financier. La population dans son ensemble est plus préoccupée par des sujets comme le chômage,  l'ordre public et même l'immigration. Il y a des liens entre ces différents sujets mais le public ne les perçoit guère. Le démantèlement par Hollande de notre système d'allocations familiales institué ( par la gauche !)  en 1945 est passé inaperçu , alors qu'il se situe dans le prolongement de la loi Taubira ;  il intéresse pourtant beaucoup plus de monde. Il sera aussi en arrière-plan de la manifestation de ce jour. Le mouvement LMPT a d'abord été réveillé, il faut bien le dire,  par la primaire de la droite où ,à part Poisson et  Fillon, personne ne veut remettre en  cause la loi Taubira, ce qui exaspère beaucoup de gens qui ont manifesté en 2012-2013 avec le soutien de presque toute la droite.

D'autre part, le pouvoir socialiste, sentant que ses jours sont comptés se prépare à faire voter à la sauvette dans les derniers mois qui lui restent des mesures , dont certaines sont gravissimes comme une ouverture à la GPA, destinées à compléter le bouleversement sociétal qui constituait son programme. Le socialiste Erwan Binet a dit que "la Manif pour tous" avait empêché la gauche d'aller jusqu'au  bout de la révolution  sociétale qu'elle envisageait. Mais certains ne désespèrent pas de passer outre. C'est aussi cela qui a réveillé la vigilance de beaucoup des marcheurs de La Manif pour tous.

La traduction politique de la Manif pour Tous, Sens Commun, a apporté son soutien à François Fillon dans le cadre de la primaire de la droite et du centre. L'ancien Premier ministre est-il d'après vous le candidat le plus à même de porter les revendications de la Manif pour Tous ? À quoi peut-on s'attendre, politiquement et juridiquement parlant, en 2017 en cas de non-réélection de François Hollande ? La loi Taubira pourrait-elle être abolie ?

Erik Neveu : Le fait qu'un candidat dont les chances d'être simplement en finale de la primaire sont ténues soit l'appui politique de Sens Commun, peut être un indicateur du côté "encombrant" de la reprise des revendications de ce mouvement. Dire "en cas de non-réélection de François Hollande" est une clause de style qui fait désormais rire tout le monde. La loi Taubira pourra donc juridiquement être abolie. Il est infiniment douteux qu'elle le soit. Le mariage pour tous -donc pour être clair son ouverture aux couples homosexuels- est une réforme qui, si elle soulève des passions, a d'abord l'acquiescement de deux tiers des Français, le vrai 'sens commun' est peut-être dans ce chiffre. Comme pour le PACS, la droite se rangera devant une évolution sociétale qui n'est en rien une singularité française. L'intransigeance sur des questions comme l'adoption par les couples homosexuels ou le refus de la GPA pourront rester des marqueurs de différence affirmés sur ce terrain des mœurs et de la sexualité.

Roland Hureaux :  "Sens commun"  (je crois avoir été le premier à dire que le mariage homosexuel était d'abord une offense au sens commun, plus  qu'à la morale !)  a été fondé par des membres actifs de La Manif  pour tous qui ont fait le pari de l'engagement politique concret. Pour être efficace, ont-ils dit, entrons dans un parti qui a des chances de gagner, aidons le  à gagner et  tentons de l'influencer pour  qu'il prenne en  compte  le jour venu notre point de vue " . C'est une démarche respectable et parfaitement logique. François Fillon a dit qu'on ne pouvait pas  abroger la loi Taubira mais qu'il fallait la "réécrire". C'est mieux que Juppé et Sarkozy qui ne veulent pas la remettre  en cause et a fortiori que  Le Maire qui, comme NKM,  s'était abstenu au moment du vote.

Ayant  fait dès le départ le choix du réalisme, les gens de Sens Commun   s'en  sont tenus au quartet qui tenait  la corde  en début de campagne et Fillon leur est apparu comme le moins mauvais choix. Seul des candidats à la primaire Jean-Frédéric Poisson   s'est prononcé pour une  abrogation totale. Mais il apparaissait en début de campagne comme un outsider pas vraiment  dans le jeu. Sa bonne prestation lors du débat télévisé de jeudi  le met ans le jeu . Vat-t-il continuer sur cette lancée ?  Cela pourrait influencer les choix des uns et des autres. Comme la manifestation de ce jour, selon son ampleur pourrait aussi modifier les choix des candidats. 

À quoi peut-on s'attendre, politiquement et juridiquement parlant, en 2017,  en cas de non-réélection de François Hollande ? Tout dépend de qui sera le vainqueur, ce qui reste encore une énigme. La loi Taubira pourrait-elle être abolie ? C'est plus qu'une question politique, c'est une question philosophique. Juppé a dit récemment qu'on ne pourrait pas revenir "en arrière" . Ce qui suppose qu'il y a en cette matière un avant et un arrière et donc un sens de l'histoire. La théorie du sens de l'histoire  en a pris un coup quand le communisme qui professait lui aussi être dans le sens de l'histoire et avait convaincu beaucoup de gens , même parmi ses adversaires, qu'il l'était , s'est effondré en 1990. Le fait est qu'on est alors  "revenu en arrière" : Léningrad  s'appelle à nouveau Saint-Pétersbourg selon la prophétie du général de Gaulle !  Une remise en cause complète de la loi Taubira est sans doute inséparable d'un retournement de paradigme analogue à celui qui s'est produit en Russie en 1990.  Ce retournement adviendra  un jour  en Europe occidentale ,  mais est-ce avec l'élection française de 2017 ? Après ou peut-être avant ? Ce dont je suis sûr , c'est que nous sommes à la fin d'un cycle inauguré, pour faire simple, en mai 68 . 

Nous sommes sans doute aussi , c'est lié ,  à la fin du cycle néo-conservateur américain incarné par Hillary Clinton et qui a réussi l'exploit de mettre en guerre civile pas moins de 9 pays dans le monde. Si cette dernière est élue, il faut s'attendre à une apothéose: en matière de guerre, on voit ce que cela peut vouloir dire . La dite candidate, comme presque tous les démocrates,  est à fond sur  les thème libertaires  et transhumanistes qui ont inspiré la loi Taubira . Obama a sans doute forcé la main de Hollande pour qu'il fasse voter la loi Taubira envers et contre tout.  Leur ennemi numéro 1 est Poutine qui fait "avancer"   la Russie dans l'autre sens. A vous de voir qui a aujourd'hui le vent en poupe : Clinton et Hollande ou Poutine ? 

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