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Mal payé, mal protégé, mal considéré : bienvenue dans le quotidien ingrat de la police technique et scientifique, parent pauvre de la police
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R.I.S.

Mobilisée sans arrêt depuis un an, le service scientifique et technique de la police est dans une situation difficile : toujours considérée comme une unité de bureau, elle doit cependant faire face aux contraintes du terrain, mais souffre d'un déficit de protection, d'effectif et de rémunération. Le cadre de ce service semble devoir être repensé.

Xavier Depecker

Xavier Depecker

Xavier Depecker est secrétaire national en charges de scientifiques du SNIPAT-FO (Syndicat National Indépendant des Personnels Administratifs Techniques et Scientifiques de la Police Nationale).

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Atlantico : Le travail de la police scientifique et technique a été régulièrement salué en France, d'autant plus depuis les attentats qui ont nécessité son intervention à de multiples reprises. Quel est le rôle exact de ce service de la police et quelle a été son implication concrète dans les événements de ces derniers mois ?

Xavier Depecker : Notre tâche consiste dans le fait de relever tous les indices et traces qui seraient de nature à éclairer l'enquête. Cela va de l'ADN, des prélèvements capillaires, des prélèvements de vêtements, des prélèvements d'étuis de cartouche, de téléphones portables, de papiers d'identité, des relevés de traces digitales, aux reconstitutions pour trouver une identité (par exemple au Bataclan pour retrouver les auteurs des attentats et les victimes). En fait, tout ce qui est de nature à éclairer l'enquête. Notre panel d'action est assez large. La police scientifique participe aussi aux examens légistes, gérant les photographies par exemple auprès du médecin légiste.

Vous affirmez que le statut actuel de ce service de la police serait celui d'une "sous-police". Qu'entendez-vous par là ?

Le problème est que notre statut actuel est un statut d'administratif. C'est un statut adapté à un travail de sédentaire. Cependant, ce n'est pas du tout notre cas. On se déplace tout le temps, que ce soit pour la petite ou moyenne délinquance, ou pour des affaires criminelles. Cela pose déjà un problème.

En tant qu'administratif, un policier technique et scientifique n'est pas armé. C'est un autre problème. Il faut dans ce cas faire la différence entre la délinquance et les cas criminels. Pour ce qui est des petites et moyennes délinquances (vol à la roulotte, dégradation et  cambriolage), nous nous déplaçons seuls. Nous sommes équipés d'un gilet pare-balles reçu en 2010. De sorte que l'Etat a bien pris en compte que notre tâche pouvait s'avérer périlleuse ; car nous sommes identifiés comme "flics", à part entière. Le terroriste et le délinquant ne font pas la différence. La preuve en est que même les administratifs sont concernés ; je parle évidemment de l'assassinat de Jessica Schneider. L'enquête en cours (qui n'en est évidemment qu'aux prémices) n'écarte pas la possibilité que cela ne soit pas nécessairement le commandant de police qui ait été suivi.

Il y a ensuite le cas de l'Unité Nationale d'Intervention qui se déplace sur des théâtres étrangers. Par exemple, lors de l'attentat de Grand-Bassam en Côte-d'Ivoire, l'unité était composée de personnes armées de l'antiterroriste, et trois non-armés de la scientifique. Ce genre de situation peut être très dangereuse : les prélèvements sont effectués dans des zones très étendues et ne permettent pas une protection assurée, les personnels de l'anti-terrorisme ne pouvant accompagner les personnels scientifiques car ils sont occupés à d'autres taches. Dans ce genre de situation, l'exposition est maximale, et ce n'est pas avec leurs appareils photos que la police scientifique aurait pu riposter.

Et ce problème est général : même en cas de délinquance, nos unités interviennent sur des zones potentiellement dangereuses. Si l'auteur de la délinquance revient, nous ne sommes pas armés, et nous n'avons même pas de formation d'autodéfense !

Je pense qu'il y a des impératifs financiers qui doivent expliquer le fait que l'on nous refuse un statut, au détriment de notre sécurité, du caractère traumatisant des scènes à traiter, des contraintes, de la pénibilité, de la technicité de notre métier. Je pense clairement que l'Etat connaît très bien nos problèmes, connaît les dangers du monde dans lequel on vit. Nous vivons d'autant plus mal la situation que l'Etat arrive à dégager de l'argent pour des corps bien plus nombreux, nous ne représentons que 2200 personnels. Pour les prélèvements sur zone de cambriolage, on devrait avoir un policier de la police judiciaire avec nous, car nous ne sommes pas qualifiés pour enlever des scellés. Cependant, ce n'est pas le cas. 

Quelles sont les solutions que vous préconisez ? Comment la police scientifique pourrait-elle être mieux récompensée pour son action ? Faut-il lui accorder des primes de risques comparables à celles des agents du Raid, qui risquent leur vie en cas d'attaque terroriste par exemple ?

Le RAID est une unité particulière, c'est une unité qu'on ne peut comparer avec tout autre service. Nous souhaitons avant tout disposer d'un statut à l'image de nos collègues actifs (fonctionnaires portant l'arme et/ou la tenue) et qui corresponde à nos besoins actuels. La prime de risque dont nous disposerons qu'à partir d'octobre est bien trop faible par rapport à celle de nos collègues actifs, qu'elle soit en fonction de nos salaires. Non seulement l'Etat prend le risque d'exposer ces personnels scientifiques dans des situations périlleuses (bien souvent seuls) et il a "mégoté" sur le montant de cette prime de risque. 

Il s'agirait d'une petite reconnaissance qui est aujourd'hui trop limitée par rapport à nos collègues. Des primes plus proportionnées seraient souhaitables. Beaucoup de policiers se demandent pourquoi on arme la police municipale et pas la police scientifique. Ce genre de problème est souvent soulevé au sein de la police technique et  scientifique, au point qu'on commence à penser que l'Etat attend qu'il y ait un mort chez nous pour bouger. De fait, il y a une grande frustration, un grand stress chez nous. Etant donné que nous sommes en plus très sollicités du fait de notre petit nombre (il n'est pas rare que dans certains commissariats nous ne sommes que deux ou trois) et nous devons cumuler le travail quotidien (établissement de rapport technique, traitement des scellés, photographies, données anthropométriques, prises d'empreintes digitales et génétiques, alimentation des fichiers ADN et digitales etc.) avec des sorties très régulières sur le terrain à tout moment.

A la police judiciaire de Paris, les gardés à vue dans le cadre d’affaires terroristes sont conduits par les policiers du RAID. Ces fonctionnaires, pour leur propre sécurité, sont cagoulés et restent le temps de la signalisation à côté du personnel de police technique et scientifique qui, lui, travaille non masqué, cherchez l’erreur ! 

Nos revendications sont légitimes : nous ne sommes pas des enfants gâtés. Nous faisons un beau métier, c'est certain, mais les contraintes sont très importantes aujourd'hui.

Aujourd'hui, malgré cela, je vois beaucoup de collègues qui quittent la police technique et scientifique pour d'autres postes plus sûrs et récompensés : ils entrent à l'Education nationale, dans le pénitentiaire, la douane, passent le concours de gardiens de la paix, etc. Et nous ne recrutons pas assez : aujourd'hui, nous sommes 2200 en France, dont un peu plus de 1000 en laboratoire. Cela ne fait approximativement que 1200 scientifiques sur le terrain. C'est vraiment trop peu et nos services sont trop petits, souvent constitués de deux ou trois personnes seulement. Cela donne des problèmes d'horaires importants, de repos non-respectés. Bref, d'une certaine façon, nous sommes les parents pauvres de la police.

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