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Un drapeau portant le prénom de Lola, lors d'une manifestation organisée à Paris le 20 octobre.
Un drapeau portant le prénom de Lola, lors d'une manifestation organisée à Paris le 20 octobre.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Débat politique volé

Le meurtre de la petite Lola a suscité émotion et polémique dans le pays.

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Serait une récupération politique le fait de chercher à tout prix à imputer à l’organisation de la société des drames purement privés ou relevant de fatalités circonstancielles. L’exploitation d’un drame singulier, étranger à toute causalité politico-sociale, serait même éhontée si la recherche d’un motif politique à ce drame ne visait qu’à désigner un bouc émissaire.

En revanche, c’est le propre de chaque famille politique que de « décoder » la trame de nos jours à la lumière d’une grille causale constituant sa représentation du monde. Il n’y a pas lieu de s’en offusquer, dès lors que ce « décodage » n’est pas un artifice démagogique. Ainsi de la réaction des acteurs politiques à un drame qui défraie l’actualité : un tel drame les mobilise légitimement lorsqu’ils ont des raisons de penser que la mauvaise organisation de la société a contribué à sa survenance. 

Le but ultime de la politique n’est-il pas de faire ce qu’il est possible de faire au niveau de la société tout entière, et plus particulièrement de ses lois, pour que les hommes soient plus heureux ou, disons, moins malheureux ? Prévenir le malheur, lorsque les causes de celui-ci se trouvent, au moins en partie, dans les lois (ou dans leur mauvaise application) est au cœur de l’action politique. Face à un malheur singulier, que seul explique la maladie ou un hasard catastrophique, la compassion est seule de mise. Lorsque le malheur a aussi des causes générales et que quelque chose peut être fait pour épargner de futures victimes, le politique est pleinement dans sa mission en évoquant, sans désemparer, les conséquences que la société doit tirer du drame pour éviter sa répétition. En pareil cas, s’en tenir à la compassion, se taire sur les causes générales qui ont favorisé l’irréparable, relèverait, de la part du politique, de la non-assistance aux futures victimes. Et c’est ce silence qui serait moralement condamnable.

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Dans cette atroce affaire, comment nier les facteurs généraux qui ont participé au drame ? Si la meurtrière, une Algérienne sans papier, avait été reconduite dans son pays, Lola n’aurait pas été massacrée.  Et comment ne pas relever, au travers de ce drame, le dysfonctionnement de notre législation sur le séjour des étrangers ? Un dixième seulement des étrangers en situation irrégulière fait l’objet chaque année d’une obligation de quitter le territoire et un dixième seulement de ces OQTF est exécuté. Un pour cent seulement de ceux qui se trouvent irrégulièrement en France est donc effectivement éloigné du territoire de la République chaque année… Pour les Algériens, la proportion est infinitésimale.

Et, parmi les étrangers en situation irrégulière (dont on peut estimer le nombre à près d’un million), se trouvent des marginaux au profil dangereux. Le risque d’atteinte aux personnes et aux biens s’en trouve significativement accru. C’est déjà vrai des étrangers en général (et pas seulement des sans-papiers), comme le relève le ministre de l’intérieur : leur poids dans la délinquance est deux fois supérieur à leur poids dans la population totale. On parle ici des étrangers au sens strict et non de toutes les personnes issues de l’immigration : aucune statistique sérieuse n’existe quant au poids de ces dernières dans la délinquance. 

Même si les politiques se taisaient, le commun des mortels rattacherait l’assassinat de Lola à une séquence significative, enregistrée dans la mémoire collective. Des actes criminels odieux ont été en effet commis, au cours des années récentes, par des étrangers en situation irrégulière : le meurtre du père Olivier Maire à Saint-Laurent-sur-Sèvre ; l’attentat à la basilique Notre-Dame de Nice ; l’assassinat de deux jeunes filles à Marseille ; l’attaque au couteau contre une mère et sa fille à Bayonne ; il y a quelques jours, la tentative d’assassinat de l’imam libéral Chalghoumi à Drancy…. Les « sans-papiers » apparaissent en outre de façon fréquente dans la chronique, parfois sanglante, des refus d’obtempérer. Comme le dit Céline Pina (Figaro du 20 octobre), la récurrence de ces actes de violence et l'identité de certains de leurs éléments les font passer de la rubrique des faits divers à celle des faits de société. Et ceux-ci renvoient à un phénomène général qui appelle une réaction politique. 

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Au-delà des corrélations statistiques, le lien entre immigration non contrôlée et dégradation de l’ordre public saute aux yeux. Il suffit d’assister à une audience de comparutions immédiates ou de visiter une prison. Il n’est donc ni surprenant, ni choquant, que la majorité de nos compatriotes (et pas seulement à droite !) voit, à propos de l’assassinat de Lola, une nouvelle preuve de l’incapacité de notre Etat à maîtriser l’immigration. Le contraire relèverait de la cécité volontaire. Et que certaines formations politiques fassent écho à cette inquiétude n’a rien de scandaleux. 

Pourquoi alors tant d’acteurs politiques et de commentateurs fustigent-ils l’indécence de ceux qui font un rapprochement entre le drame de Lola et la question migratoire ?  

C’est plutôt le fait de se scandaliser de ce rapprochement qui pose un problème de décence. L’appel à la décence relève ici de la volonté de refouler une interrogation angoissante, de consolider un tabou, de faire taire celui qui aurait l’inconvenance de voir l’éléphant dans le salon. Dans l’état actuel des choses, en effet, la question migratoire est à la fois un casse-tête gouvernemental (pour des raisons matérielles, humaines, diplomatiques et juridiques devant lesquelles l’Etat se sent désarmé) et un champ de mines politique (l’immigration étant devenue la dimension principale de nos affrontements idéologiques). D’où la tendance à l’esquiver, que ce soit par le déni des faits, par le refus de nommer et de mesurer, ou par la propension à imposer le silence lorsque la réalité vient crever la bulle des bienséances. Pour une bonne part de nos élites dirigeantes, pensantes et sermonnantes, l’indécence, s’agissant d’immigration, n’est pas dans la nudité du roi, mais dans le fait de s’écrier « Le roi est nu ! ». Il s’agit aussi, pour ceux qui font profession de dénoncer la « xénophobie de l’extrême droite », de préserver leur fonds de commerce politique et leur confort intellectuel. Bien entendu, cette discrétion systémique éveille les soupçons de beaucoup de nos concitoyens qui y voient l’aveu d’une démission, voire d‘une complicité. Ce n’est sûrement pas la réponse appropriée à la conscience qu’ils ont de se trouver en état d’insécurité matérielle et culturelle…. 

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Que des politiques interpellent d’autres politiques à propos de l’affaire Lola, que l’opposition joue son rôle, que l’on se demande sans fausse pudeur comment faire en sorte que cela « ne se reproduise pas » n’a donc rien de scabreux. Le sont en revanche les dénonciations stéréotypées d’une « surexploitation politique » qui servirait l’agenda nauséabond d’une extrême droite toujours plus fantasmée. Pathétiques sont à cet égard les « éléments de langage » débités à l’unisson par nos ministres pour couper court au débat. Le comble de l’indécence est de faire dire à des parents éplorés et dépassés par les évènements qu’ils exigent calme et recueillement et réprouvent tout questionnement politique autour de leur chagrin. 

Venant du bord opposé, est également déplacée la véhémence ad hominem contre tel ou tel responsable qui, tout en ayant sa part de responsabilité dans l’impuissance contemporaine en matière de maîtrise de l’immigration, n’en a pas moins hérité d’une situation depuis longtemps dégradée. La peur de prendre le taureau par les cornes ne date pas d’hier.

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