Mais que signifie ce besoin de plus en plus courant qu’éprouvent les gens de se mettre nus à la télé ? <!-- --> | Atlantico.fr
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D8 va lancer un programme où les candidats seront nus
D8 va lancer un programme où les candidats seront nus
©Reuters

Le Loft version Génèse

"Adam recherche Eve" : voilà le nouveau programme de télé-réalité qui, bientôt sur D8, réchauffera vos soirées d'hiver. Les participants, quant à eux, seront déjà réchauffés : en effet, ils seront nus sur une île déserte, cherchant l'amour. Adaptation d'une émission néerlandaise, le programme surfe sur une tendance porteuse : la nudité à la télévision.

Christophe Colera

Christophe Colera

Christophe Colera est sociologue et anthropologue.

Il a écrit La nudité pratiques et significations, éditions du Cygnes 2008 et Les tubes des années 1980 (Cygnes, 2013)

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Atlantico : La chaîne D8 lancera, à partir du 3 mars, la première émission de téléréalité dans laquelle les candidats seront nus. Quelles sont les motivations qui peuvent pousser les candidats à se montrer ainsi à la télévision ?

Christophe Colera : C'est une peu comme les gens qui se rendent chez des photographes professionnels pour qu'ils fassent un portrait d'eux nus, je pense au projet parisien "Un anonyme nu dans un salon", par exemple, sur lequel j'avais enquêté. Il y a une part de narcissisme, de volonté de garder une image de son corps "naturel", une part de défi, d'aventure aussi, beaucoup comparent la sensation que provoque ce genre démonstration comme une forme de saut à l'élastique. On se jette dans le vide, pour se prouver qu'on peut le faire, avec, en plus, une petite connotation pour les femmes de prise de confiance en soi. La candidate de 24 ans, Madeleine, interrogée par le Parisien l'a dit : "J’aime le challenge, et j’ai voulu me prouver que j’étais capable de me montrer nue. Histoire d’augmenter ma confiance en moi". On peut se demander : mais alors ne serait-ce pas plus simple de faire du saut à l'élastique ? Le fait de se montrer nu devant la caméra ajoute une dimension artistique de la nudité que mettent en avant les concepteurs de ce genre d'émission, et tout le discours habituel autour de l'authenticité et de la vérité qui s'attache à la nudité : aux Etats-Unis la responsable de la supervision des programmes de la chaine VH1 qui a diffusé l'émission de TV réalité nue "Dating Naked" expliquait récemment "la nudité, c'était un truc de story telling au sujet d'une chose : la recherche de l'amour vrai et de ce qui se passe quand on perd ses inhibitions." Ca a donc à voir avec une épreuve du feu, une ordalie esthétique de soi même et de ses sentiments sur la grande scène médiatique.

Dans quelle mesure peut-on (ou pas) le comparer à du nudisme ?

Ce genre d'émission a un certain rapport avec le nudisme dans la mesure où elle cherche comme le nudisme à "adapter" la nudité à la vie de tous les jours. Donc elle mobilise des techniques du nudisme - les gens apprennent à faire la cuisine nus par exemple. D'ailleurs aux USA une émission de TV réalité nue, "Buying naked" faisait aller un couple "textile" chez des nudistes. Il y a aussi un point commun dans la volonté de minimiser la sexualité : on floute les sexes, on essaie d'éviter les érections. Il est significatif que  Xavier Gandon, le directeur des flux et des divertissements de D8 ait déclaré "L’idée n’est pas de faire de la provocation. On n’a pas plus de nudité que dans l’épisode de 'Fais pas ci, fais pas ça' chez les naturistes sur France".

L'imaginaire naturiste n'est pas loin, et cependant, ça reste très différent du naturisme, justement parce que les sexes sont floutés. Ca joue avec le voilement et le dévoilement. Comme le notait un commentateur du Boston Globe aux Etats-Unis : "Une des tensions que provoquent le fait de regarder ces émissions, c'est qu'on ne voit pas de la nudité complète, même si les gens sont nus. On voit des Barbie et des Ken et on pratique des jeux visuels avec les pixels, à essayer de voir sans cesse à travers le floutage, voir si les réalisateurs n'en ont pas oublié près des contours." Bon, dans l'émission française ce ne seront pas des Barbie et des Ken, et le public français est peut-être moins voyeur sur le floutage que le public américain, mais le seul fait qu'on floute montre qu'on reste sensible au caractère érotique de la nudité.Paradoxalement, l'original d' "Adam cherche Eve" dans sa version néerlandaise qui ne floute pas les sexes peut être plus proche d'un naturisme authentique qui désérotise complètement le corps nu, comme au paradis terrestre.

S'agit-il plutôt d'une forme d'exhibitionnisme ?

Je préfère garder ce terme pour désigner une pathologie. Les candidats, comme les gens qui vont se faire photographier nus, disent qu'être nus en public les gène et qu'ils veulent dépasser cette gène. C'est ça qui les intéresse. Donc dans cette mesure, ce n'est pas de l'exhibitionnisme pur de toute façon.

Cela traduit-il un besoin d'exister de la part des candidats ?

Comme toute candidature pour passer à la TV. Ce n'est pas spécifique au fait de se déshabiller. Je note qu'un sondage sur Internet non représentatif (donc à prendre avec précaution) du Parisien indique que 14 % des gens sont prêts à le faire. C'est un chiffre qui rejoint celui des gens qui ont eu une expérience de nudité intégrale sur la plage. Ca concerne donc quand même surtout des gens qui prêtent une attention particulière aux sensations de leur corps et pour qui le dévêtissement peut rimer avec liberté. Ce n'est pas une majorité des gens.

Faut-il y voir le reflet d'une certaine vacuité des programmes télé ?

Il paraît que les producteurs de programmes américains depuis un an sont submergés de projets d'émissions de TV réalité nues. Les professionnels du milieu reconnaissent qu'il s'agit de renouveler un peu le genre de la TV réalité qui a tendance à s'essouffler et à lasser les spectateurs. Et ça marche. L'an dernier la chaine TLC a battu des records d'audience avec son "Buying Naked", et VH1 réunissait 1 million de téléspectateurs aux Etats-Unis avec son "Dating Naked". En Espagne la version doublée du "Naked and Afraid" américain de Discovery Channel offrait à Telecinco un 16 % d'audimat... Donc ça fonctionne, en faisant un peu rêver les gens sur de beaux corps, de beaux paysages, et des fantasmes rousseauistes de retour à la pureté primitive. D'autant qu'ensuite il y a des "buzz" qui dérivent de la première diffusion (des articles sur le Net, des "best off" sur You Tube etc).

Mais il est clair que lorsqu'on déshabille les gens pour renouveler un genre, c'est que le genre lui-même est usé. Déjà l'apparition de la TV réalité, miroir des gens ordinaires, passait pour un symptôme d'épuisement de l'inspiration de la production télévisuelle. Aujourd'hui la TV réalité nue passe pour un symptôme de fatigue d'un phénomène qui était lui-même un symptôme d'épuisement. C'est un épuisement au carré en quelque sorte. Qu'on cherche à retenir l'attention du spectateur par la nudité ou par la violence, on sait que cela ne fonctionne qu'un temps. La nudité "soft" risque d'atteindre sa limite prochainement dans ce concept d'émission, un peu comme le théatre nu au début du XXe siècle ou la nudité dans la pub il y a 15 ans.

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