Mais pourquoi cet assourdissant silence des personnalités politiques musulmanes ou de culture arabo-musulmane face au hold-up de Jean-Luc Mélenchon sur un électorat en pleine radicalisation communautaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Melenchon visite une école à Amizmiz au Maroc, le 4 octobre 2023.
Jean-Luc Melenchon visite une école à Amizmiz au Maroc, le 4 octobre 2023.
©FADEL SENNA / AFP

Electoralisme

La stratégie électorale de Jean-Luc Mélenchon, consiste aujourd’hui à capter tout ou partie de l’électorat musulman.

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur est essayiste et sociologue. 

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Atlantico : “Jean-Luc Mélenchon cultive le vote musulman”, affirmait récemment Malika Sorel, ancienne membre du Haut Conseil à l’intégration. Depuis les attentats du 7 octobre 2023 organisés par le Hamas contre Israël, l’ancien leader de la France Insoumise a plusieurs fois choqué lors de ses prises de position. Peut-on parler d’une tentative de “hold-up” sur l’électorat musulman ?

Jean-Paul Gourévitch : Il importe, tout d’abord, de rappeler ce que représente l’électorat musulman qui n’est pas le même en fonction des diverses élections. Si l’on regarde les chiffres, on s'aperçoit que Jean-Luc Mélenchon a recueilli 69% du vote musulman au premier tour de l’élection présidentielle de 2022. A titre de comparaison, Emmanuel Macron n’ en a totalisé que 14% environ. Est-ce à dire que l’on peut parler d’un hold-up ? Sa progression auprès de cet électorat est indiscutable puisqu’en 2017, le leader de la France Insoumise n’aurait récolté “que” 37% de leurs  voix  qui, ajoutées à celles de Benoit Hamon, totalisent 54% des suffrages exprimés par les Français de confession musulmane. Les socialistes étant écrasés en 2022, il aurait gagné plus de 15 points entre les deux élections présidentielles, ce qui est conséquent.

Le vote musulman, comme tout autre vote, s’agence autour des propositions formulées par les divers candidats. Dans ce cadre-là, il ne faut pas penser que le vote musulman est toujours un vote pour : cela peut aussi être un vote contre. Cela signifie que Jean-Luc Mélenchon a, de fait, su rassembler des gens qui partageaient son point de vue (sa participation à la marche contre l’islamophobie aux côtés des Frères musulmans le 10 novembre 2019 constitue un symbole fort qui a pu convaincre une partie de cet électorat) mais aussi qu’une partie de ceux qui ont décidé de voter pour lui l’ont fait parce qu’ils craignaient une atteinte à leur liberté religieuse plus que par adhésion à son programme ou à sa personne à proprement parler. 

La stratégie électorale de Jean-Luc Mélenchon, consiste aujourd’hui à capter tout ou partie de l’électorat musulman. Cela n’a rien d’étonnant : celui-ci représente une force importante. Quiconque se penche sur l’histoire récente du vote musulman peut observer que ceux-ci ont voté à 95% pour Ségolène Royal en 2007 et qu’ils ont opté entre 86 et 93% (selon divers analyses contradictoires ) pour François Hollande en 2012. Sans eux, le socialiste n’aurait pas pu triompher de Nicolas Sarkozy et s’installer à l’Elysée. Enfin, les musulmans ont voté à 92% pour Emmanuel Macron au second tour, en 2022, et seulement 8% d’entre eux ont choisi Marine Le Pen. Difficile d’ignorer, dans ce cas de figure, l'importance grandissante du vote musulman aujourd’hui.

L’Oumma, l’ensemble de la communauté musulmane, en comptant  les enfants ainsi que ceux qui n’ont pas de pratique religieuse. représente, en France, environ 9 millions d’individus. Si l’on enlève les personnes en situation irrégulière, celles qui  sont en situation régulière mais n’ont pas la nationalité française et les moins de 18 ans, on en arrive à 4 à 4,5 millions de votants potentiels  et environ 2,5 millions de suffrages exprimés  soit à peu près 8% de l’ensemble. Et, du fait de la démographie française actuelle, c’est un électorat qui peut augmenter. La population musulmane grandit, dans l’Hexagone.

Chercher à conquérir cet électorat a donc du sens, sur le plan politique. Cela s’est confirmé  lors des récentes élections municipales et législatives. Prenons l’exemple de la Seine-Saint-Denis, où la majorité de la population est musulmane : la NUPES a fait carton plein. 12 élus pour 12 circonscriptions. 

Sabrina Medjebeur : Depuis le Think Thank Terra Nova de 2012, en France, comme partout en Europe et en Amérique du Nord, l’électorat de la gauche est en mutation. La coalition historique de la gauche centrée sur la classe ouvrière est en déclin suite à la mutation sociologie de sa lecture économique, à savoir que le secteur ouvrier a disparu au profit de la tertiarisation de l’économie qui a donc plongé les ouvriers des classes populaires dans un chômage et une disqualification sans précédent. À l’instar d’autres hommes politiques de gauche, Jean-Luc Mélenchon s’est emparé de ce « nouveau prolétariat » qui doit être guidé par une idéologie culturelle dite progressiste. Comme un entrepreneur identitaire, il a fait le pari, que, pour obtenir les 400 000 voix manquantes aux dernières élections présidentielles il fallait affoler les quartiers en les serinant de l’existence de violences policières et d’une islamophobie d’état. Ses prises de positions factieuses et sécessionnistes sont en totale adéquation avec son objectif. « Peser » électoralement veut dire pour lui, agiter la violence combinée à la vanité communautaire. Malika Sorel, un des meilleurs « scanners » de la société française a tout à fait raison.

Lors de l’élection présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon a pu notamment compter sur le vote musulman. A quel point a-t-il réussi à convaincre les musulmans de France ? Faut-il lire, dans l’adhésion que l’ancien candidat continue à récolter, une certaine forme de radicalisation communautaire à l'œuvre dans l’Hexagone ?

Jean-Paul Gourévitch : Pour répondre à cette question, il faut intégrer la double perspective qu’elle soulève. Convaincre les musulmans de voter pour soi, quand on est Jean-Luc Mélenchon, c’est les convaincre que le projet politique que l’on propose est celui qui correspond le mieux à leurs aspirations… Mais aussi qu’en votant pour LFI, l’électorat musulman se préserve d’autres candidats qui pourraient être considérés comme une menace pour sa liberté religieuse.

Faute d’élection récente, il est très difficile de dire à quel point Jean-Luc Mélenchon est aujourd’hui suivi. Nous n’avons pas de vote récent et précis sur lequel se fonder … au mieux disposons-nous des intentions de vote, mais ce n’est pas suffisant pour affirmer à quel point celui-ci peut  amplifier l’adhésion de l’électorat musulman. Il y a divergences sur ce sujet. Il est évident pour  certains analystes , que les islamistes radicaux travaillent la communauté musulmane pour l’attirer vers Jean-Luc Mélenchon. D’autres soutiennent, au contraire, que le vote pour Jean-Luc Mélenchon illustre avant tout, au sein de l’électorat musulman, une certaine défiance à l’encontre des autres candidats et de notre système politique actuel et une crainte que leur liberté religieuse soit menacée.

L’analyse politique – et même électorale, en l'occurrence – ne peut se fonder que sur les résultats des votants (fussent-ils blancs ou nuls, ce qui ne représente pas une partie très conséquente des suffrages exprimés par l’électorat musulman, comparativement au reste de la population française) ou de l’abstention. Lorsque l’on regarde les courbes de l’abstention au sein de la population musulmane, on observe qu’elle concerne 38% environ des électeurs potentiels à l’élection présidentielle. En revanche, du côté des élections municipales, le score diffère grandement : ils étaient 61% à s’abstenir en Île-de-France et 70% en Seine-Saint-Denis. Ces gens-là ne sont pas allés voter pour la gauche, quand bien même la gauche – et cela inclut de facto la France Insoumise – a très largement gagné ce département.

Concernant la deuxième partie de votre question, je suis assez réservé. Nous ne savons pas, en l’état, si les outrances (verbales ou comportementales) vont peser dans l’adhésion des couches populaires ou de la population musulmane. On peut théoriquement penser que, Jean-Luc Mélenchon prenant le parti de la Palestine (schématisons !), le vote des musulmans devrait très largement se porter sur lui pour l’avenir. Ceci étant, nul ne saurait dire combien de musulmans iront voter, combien opteront pour le vote blanc ou nul, combien s’abstiendront. Il faut donc faire preuve d’une prudence extrême.

Du reste, il est indéniable qu’il y a, au sein de la communauté musulmane, des ferments radicaux qui gagnent en puissance. C’est vrai à la fois sur le plan national mais aussi à l’international. La situation actuelle, qui se caractérise par des conflits ouverts, entraîne mécaniquement une radicalisation des opinions. D’autre part, des campagnes de la droite ou de l’extrême droite ont parfois pu surfer sur la défiance envers le monde musulman, ce qui n’a fait  que conforter la population musulmane dans son rejet des candidats issus de ces familles politiques ainsi que de la majorité.

Sabrina Medjebeur : Il contribue largement à une radicalisation qui n’est qu’éphémère. Je m’explique. Tout d’abord, les habitants des quartiers populaires ne sont pas un bloc monolithique et il l’a bien compris. Il a fait le pari sur les plus conservateurs et violents d’entre eux. Ensuite, son logiciel dit progressiste n’arrivera jamais à imprégner ses « cibles », parce que, d’une part, ils ne sentent pas concernés par l’écologie (certains ont plusieurs voitures et ne cultiveront jamais le culte de la trottinette), d’autre part, parce que le capitalisme prédateur que la NUPES combat, ces habitants veulent se l’accaparer (le trafic de drogues sert aussi à s’acheter des Rolex, des vêtements chez Gucci et rouler en Porsche Cayenne) et qu’enfin l’idéologie transgenriste ne sera jamais audible chez les français de confession musulmane ultra-orthodoxe et ultra-conservatrice.

A quel point Jean-Luc Mélenchon surfe-t-il sur la crispation actuelle ?

Jean-Paul Gourévitch : Dans une situation de conflit, ceux qui ne prennent pas parti sont, de facto, dévalués. Comme le dit le proverbe, “il faut choisir son camp” face à une situation aussi conflictuelle que celle que nous connaissons aujourd’hui, Si nous étions dans une situation d'apaisement, les outrances de Jean-Luc Mélenchon choqueraient une grande partie du corps électoral, y compris du côté de ceux qui lui sont favorables. 

L'hystérisation actuelle l’encourage, au regard des gains électoraux qu’il pourrait engranger, à appuyer là où ça fait mal. Il attise donc les ferments de la rancune, de la contestation. Je n’utilise pas le mot « haine » qui n’est pas scientifiquement approprié. Il joue un rôle d’allumeur, de détonateur, en somme.

Sabrina Medjebeur : Jean-Luc Mélenchon agit comme un chef de tribu mécontent, heurté par son résultat aux dernières élections législatives et donc dans ses fragilités narcissiques. Il agit donc dans la surenchère. Au-delà de sa doctrine qui fait la primeur du chaos sociétal consacrée dans son dernier ouvrage « Faîtes mieux, vers la Révolution citoyenne », c’est la seule méthode qui lui reste pour exister politiquement, son propre parti la NUPES étant en pleine implosion. Le conflit israélo-palestinien lui a servit de vitalité personnelle pour asseoir son ambition politique, n’hésitant pas à cristalliser toutes les passions identitaires et communautaires qui ont menacés un grand nombre de français de confession juive. Il le savait et l’a fait à dessein. Il savait qu’en homologuant la lecture victimaire des rapports sociaux et cuturels entre français de confession musulmane et juive, il allait déclencher à nouveau la crispation du rapport dominé/dominant qui n’existe que dans son esprit et celui de ses soldats qui n’entretiennent qu’une lecture racialiste de la citoyenneté.  On en retient que ce personnage n’a rien de républicain, il n’a rien compris à ce qu’est la République, à savoir qu’elle place la citoyenneté au-dessus des contingences ethniques et religieuses. Il ne le sait pas ou il ne le sait que trop bien car elle lui permet au nom du droit à la différence et de l’exaltation de la liberté de conscience de dresser SA République des « Arabes » contre celle des « Juifs ».

Un certain nombre de figures politiques de confession musulmane ou de culture arabo-musulmane ont préféré ne pas dénoncer la situation à l'œuvre. Comment l’expliquer ? Peut-on parler de faute politique ?

Jean-Paul Gourévitch : Il existe deux formes de silence. Il y a ce que l’on pourrait appeler le “silence complice” : je me tais parce que, au fond, je soutiens un camp sans l’assumer ouvertement. Il y aussi un silence que je qualifierais de “réfléchi” : je ne prends pas parti parce que les deux points de vue m’apparaissent soit recevables, soit erronés.

Je ne saurais dire dans quel type de silence les responsables du culte et de la communauté musulmane se sont installés  aujourd’hui. Il est indéniable que les autorités musulmanes n’ont pas  dans leur très grande majorité participé à la marche contre l’antisémitisme et qu’elles ont, en même temps proclamé qu’elles auraient pu y participer s’il s’était  agi d’une marche contre tous les racismes ou si le Rassemblement National ne défilait pas. Il ne m’appartient pas de dire si c’est là le fruit de la prudence ou de la dissimulation.

Concernant les élus de confession ou de culture arabo-musulmane, j’aurais également du mal à répondre : je ne suis pas certain du degré de connaissance que nos élus peuvent avoir de l’Islam, de l’appropriation ou du rejet qu’ils ont de ses valeurs. Nombreuses sont nos figures politiques qui n’hésitent pas à disserter de la religion musulmane sans jamais avoir lu le Coran, par exemple.

Sabrina Medjebeur : Il est vrai que l’on a pas entendu de personnes politiques de confession musulmane s’exprimer au nom de l’humanité. Ce qui s’est passé le 7 octobre aurait du obliger l’ensemble du corps politique à dénoncer cette barbarie émanant d’une organisation terroriste islamiste. L’islamisme étant le cancer de l’islam qui prolifère à travers le monde, de Gaza, en passant par Berlin ou New-York. Certains en France ont préféré se taire au nom certainement de cette logique de séquestration clanique qui ne vous permet pas de vous extirper de la transcendance ummique. Le prix de la singularité est très lourd à payer. On vous menace, on vous conspue, on vous frappe. Regardez ce qui s’est passé avec la mère d’Amine El Bahi. chroniqueur sur Cnews. Il s’en sont pris à sa mère, la rouant de coup, en hurlant « voilà la mère du traître ! ». Voyez où nous en sommes dans cette République soit-disant fraternelle.

La fonction politique les emprisonne malheureusement. On le voit depuis 40 ans en France. Les français de toute confession et origines attendent une réelle prise de conscience liée à un diagnostic clair afin d’apporter des mesures politiques pragmatiques. Cela nous paraît, nous observateurs et analystes politiques bien onirique tant la France est dans un « pronostic vital engagé » pour reprendre les mots de Pierre Brochand, ex-directeur de la DGSE.

Quid des autorités du culte ? A quel jeu jouent-elles, selon vous ?

Sabrina Medjebeur : Les autorités du culte calquent leurs méthodes sur celles des élus clientélistes. Chacun y voit ses intérêts de boutique. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-Heddine Hafiz s’est offusqué de la montée des actes « anti-musulmans » comparativement à ceux antisémites bien plus importants selon les chiffres de Gérald Darmanin et s’est désolidarisé de la marche contre l’antisémitisme en raison, certainement, de l’influence des autorités algériennes, mais souffrant également d’une sorte de « diminution dans la concurrence victimaire » qui n’existe que dans son esprit. L’imam de la mosquée de Paris, Abdelali Mamoun a carrément, lui, au micro d’Apolline de Malherbe sur RMC, questionné la démonstration des preuves des actes antisémites. Chacun y va dans la surenchère de la diatribe victimaire mais comme dans un marché, il y a une offre et une demande. Peut-on se demander ce que souhaite cette demande ? Que la lutte contre l’antisémitisme doit disparaître ? Au profit de qui ? Dans quel but ? Ce sont ces questions que le président de la République doit résoudre mais il a fait le choix du silence. La peur et la violence que subissent les français de confession juive ne sont pas suffisamment « inacceptables » et « inexcusables » pour lui fin de « marcher auprès d’eux.

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