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Les libéraux sont très mal représentés politiquement, en France — Photo AFP
Les libéraux sont très mal représentés politiquement, en France — Photo AFP
©LUDOVIC MARIN / AFP

Seul dans l'isoloir

Les élections européennes approchent et, pour les libéraux, le choix risque d'être difficile. Petits rappels utiles avant de se rendre dans l'urne en juin.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Les élections européennes approchent à grand pas. Plusieurs listes s’y présentent, parmi lesquelles celles de Valérie Hayer, celle de François-Xavier Bellamy. Qui, parmi les candidats, fait figure de héraut du libéralisme ? Peut-on dire qu’il s’agit d’une mouvance politique bien représentée en France ?

Raul Magni-Berton : Le libéralisme est un peu dilué en ce moment dans l'offre politique. Le libéralisme était assez bien représenté dans les groupes classiquement centristes et au sein du parti Les Républicains. Le libéralisme n'a jamais été très fort en France. Il y a eu des représentants du libéralisme dans les partis de centre droit. Lorsque Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir avec En marche, il a annoncé beaucoup de mesures libérales. Il a attiré beaucoup de personnes d'inspiration libérale. Mais finalement ce parti a été très interventionniste. Emmanuel Macron a produit une dette assez importante. En termes de libéralisme politique, il a été assez autoritaire dans ses réactions. Au final, Emmanuel Macron a été très décevant pour tous les libéraux. Mais de l'autre côté, le parti Les Républicains a perdu la composante libérale qui est partie vers Macron. Les soutiens du parti LR ont donc tendance à voter davantage pour des candidats qui sont conservateurs. Les conservateurs sont restés et soutiennent toujours Les Républicains. Un vide s'est créé entre les deux.

Pierre Bentata : Aucun parti ne fait figure de héraut du libéralisme. Aucune formation politique en France n'a de propositions qui seraient globalement libérales. Il peut y avoir des exceptions avec des propositions chez Les Républicains et défendues par François-Xavier Bellamy. La position chez LR est plus indécise quand il s'agit d'être moins véhément que les autres partis sur le libre-échange par exemple. Il y a des positions chez Raphaël Glucksmann qui pourraient se rapprocher d'un certain libéralisme, notamment sur le rôle des institutions, en demandant que l'Assemblée nationale agisse davantage comme une sorte de contre-pouvoir effectif par rapport à la Commission européenne. 

Dans le programme de Renaissance, il est très difficile de savoir quelles sont les mesures libérales envisagées par la liste de la majorité présidentielle dans le cadre des européennes. 

En prenant en compte les positions sur l'immigration, sur les institutions, sur le libre échange et sur la fiscalité notamment verte, il n'y a aucun parti qui ait une orientation ne serait-ce qu'un peu libérale.

Aux européennes, comme les programmes sont moins denses, il n’y a que des grandes idées générales… dont les grandes tendances ne sont pas libérales. La situation actuelle cristallise une position mais qui se vérifie autrement le reste du temps dans les programmes de tous nos partis à toutes les élections. Emmanuel Macron avait, notamment pendant son premier quinquennat, un programme qui pouvait ressembler à quelque chose de potentiellement libéral. Mais cela reposait sur beaucoup trop de contradictions et globalement, il n'y a aucun parti qui pourrait avoir un programme qui soit en même temps socialement axé sur les valeurs et économiquement libéral.

Quel serait un programme libéral aujourd'hui pour les européennes ?

Raul-Magni Berton : Parmi les enjeux des élections européennes pour la future Europe, il y a toujours eu ce débat entre ceux qui veulent que l’Europe agisse comme une puissance presque nationale et ceux qui, au contraire, veulent une Europe qui soit en capacité d’agir grâce à une suite de traités. Il y a aussi ceux qui ne veulent pas de l'Union européenne. Les trois quarts sont compatibles avec le libéralisme. Les ordo-libéraux rêvent d’une Union européenne qui demanderait à ce qu'il y ait une puissance publique qui assure la concurrence. Telles sont donc les sources d’inspiration classiques en termes de libéralisme au sein de l’UE. Cela repose aussi sur la garantie des règles de marché mais tout en étant rassuré par une puissance publique forte. 

Les libéraux classiques, au contraire, pensent que l'Europe nécessite d’être régulée.

Au sein de l'Union européenne, toutes les pistes libérales seront étudiées. Au niveau national, l’objectif demeure la réduction des dépenses de l'État avec la réduction de la dette et la nécessité de responsabiliser davantage les choix individuels. Les chantiers sont nombreux pour ces domaines.

Pierre Bentata : La France est confrontée à un paradoxe car il serait possible d’avoir un programme libéral en faisant la synthèse des propositions des anciens partis de gouvernement, en faisant la synthèse LR et PS. Si on regarde sur les mœurs, sur l'immigration et sur l'ensemble de l'ensemble de la position universaliste du point de vue moral et social du PS et qu'on le combine avec les plus radicaux à droite sur le programme économique, il serait possible d’avoir un programme libéral. 

L’expérience d’un vrai programme libéral a été expérimentée avec le projet d'Alain Madelin lorsqu'il s'est présenté. C'était un vrai programme libéral. 

Il faudrait avoir un parti qui soit davantage pour de l'autonomie au niveau économique, qui considère que l'État intervienne moins. Le but n'est pas d'avoir moins de fiscalité, de lutter contre l'impôt et contre la dépense, l’objectif doit être un État qui soit plus désengagé pour laisser plus d'autonomie à l'initiative privée.

Il serait possible d’avoir cela économiquement et en même temps quelque chose de très ouvert, avec une tolérance sur les frontières, un système beaucoup plus fédéraliste au niveau européen, sans qu’il soit question de sortir de l'Europe, mais qui qui réfléchisse aux questions écologiques en termes d'initiatives privées, d'innovation, de progrès et qui soit favorable à intégrer, sans nier les valeurs fondamentales de liberté et d'égalité, l'ensemble des demandes des minorités. 

Il n’y a aucune tendance qui laisse à penser que les partis défendent cela. L’exception serait David Lisnard qui représente un libéralisme avec une sorte de conservatisme sur les valeurs.

Le manque de représentation de l’idéologie libérale signifie-t-il que, au regard des électeurs libéraux, tous les candidats devraient se valoir ? Les têtes de listes sont-elles toutes aussi opposées au libéralisme les unes que les autres ?

Raul Magni-Berton : Le problème est qu’il existe différentes nuances du libéralisme. Concernant le libéralisme politique, il va s’attacher à la défense des libertés civiles, des droits à la liberté d'expression. Il y a aussi le libéralisme économique qui consiste à plébisciter le commerce et la production.

Sur ces deux aspects du libéralisme, certaines formations politiques sont meilleures que d’autres. Concernant l'aspect économique, il est possible de se tourner vers la droite. Certaines mesures de l'extrême droite, notamment la baisse de la TVA, peuvent aussi être compatibles avec une approche libérale. 

Pour le libéralisme politique, certains électeurs seront tentés de se tourner vers les partis de gauche.

Pierre Bentata : Il n'y a pas du tout d'égalité en termes de vision du libéralisme ou d'adéquation avec les positions libérales entre les différents partis. Si on regarde les positions de LR par exemple, sur les institutions, certaines propositions tendent vers quelque chose qui ressemble à la doctrine classique du libéralisme, un équilibre des pouvoirs à la Montesquieu, une volonté d'avoir en fait davantage de représentativité. Ce phénomène existe aussi dans le parti de Glucksmann sur les institutions, avec plus de pouvoir qui serait accordé aux citoyens avec la possibilité d’organiser des référendums. 

Sur les positions concernant le libre-échange, LR est un peu moins illibéral que les autres formations politiques.

Concernant l'immigration, Glucksmann représente le plus une position qui serait libérale. 

En revanche, les écologistes sont pour une sorte de fiscalité globale avec un ralentissement de l'initiative privée. Le RN et LFI sont pour une forme d'Etat planificateur au niveau européen tout en étant contre l'Europe avec un blocage de l'ouverture.

Pour un électeur libéral attaché à ses principes, qui serait le choix du “moins pire”, compte tenu des candidatures actuelles ?

Raul Magni-Berton : Dans la tradition libérale, du point de vue politique, il y a une importance particulière donnée aux contre-pouvoirs.

En France, les contre-pouvoirs tendent à se concentrer. Lors de la dernière présidentielle, les candidats avaient multiplié les promesses et s’étaient engagés à prendre des mesures concrètes. Ils parlaient comme quelqu'un de tout puissant. Ces aspects sont importants car la France tend à prendre un tournant illibéral alors que les pouvoirs sont en réalité concentrés dans les mains quasi exclusives du gouvernement.

Les libéraux peuvent se tourner vers des coalitions qui sont colorées de centre gauche ou régionalistes. Les libéraux sont très attachés à l'autonomie des territoires. Il s’agit d’une revendication importante, notamment pour contrer les pouvoirs, pour créer de la concurrence fiscale.

La droite républicaine tente de se repositionner et de rallumer la flamme du libéralisme.

Pierre Bentata : Un trio de tête se dégage et cela va ensuite vraiment dépendre  de la sensibilité plus ou moins sociale ou économique qui va être attachée derrière une idée libérale. Si ce qui fait le cœur du libéralisme ou de la position libérale est avant tout l'initiative économique, en se disant que c'est le laisser faire économique ou la possibilité d'avoir une liberté économique qui entraîne ensuite les autres libertés, alors les électeurs à la fibre libérale pourront se tourner du côté de LR ou du côté du parti d'Emmanuel Macron. 

Si c'est une position libérale qui défend davantage les institutions en se disant que c'est au niveau européen que l'on va pouvoir recréer quelque chose qui promeut la liberté, le choix du vote sera différent.

L'entourage de Bellamy pose question à droite sur le plan libéral. Certaines figures restent fascinées par les états autoritaires, comme De Villepin, Mariani, Raffarin, Fillon.

Comment permettre une meilleure représentation du libéralisme dans les scrutins à venir ?

Raul Magni-Berton : Les institutions peuvent tenter de faire prévaloir le libéralisme mais aucune institution ne permet d'assurer la représentation libérale.

Certains pays ont des institutions et donc des pratiques qui sont très libérales tout en n’ayant pratiquement pas de partis libéraux. Les institutions libérales sont celles qui décentralisent un maximum le pouvoir. Plus le pouvoir est décentralisé, plus il sera libéral, mais pas seulement, territorialement aussi l’évolution aura lieu au sein des institutions. Il n'y a pas de recette magique en revanche pour que des partis libéraux émergent.

Pierre Bentata : Cette question est essentielle aujourd'hui. Pour les défenseurs des libertés, il faut cesser le dogmatisme qui a été celui des libéraux de la génération précédente. Il y a des points de rencontre et de convergences avec des partis qui ne sont historiquement pas des partis libéraux. Sur le plan intellectuel, il n'y a pas grand chose sur l'aspect social et sur le plan des valeurs qui différencie une position libérale de la position de gens qui sont des socialistes historiques comme Elisabeth Badinter ou Caroline Fourest. Or, il y a une forme de recherche de pureté chez les libéraux en France qui fait qu'on ne va pas se mélanger. On ne va pas aller dialoguer avec ces gens-là. Une deuxième chose importante est le fait de revendiquer et d'assumer le terme libéral. Cette expression est devenue une insulte. Il faut absolument lui redonner son vernis et son lustre et en rappelant que ces positions libérales, en réalité, sont les positions qui sont dans la droite lignée de la philosophie des Lumières et que les gens qui ne sont pas libéraux sont des anti-Lumières. 

Il faut remettre une dose de libéralisme et remettre une dose de liberté avant d'en arriver au moment de la crise. 

Le libéralisme est devenu complètement méconnu en France. Quand on parle de position libérale, les gens ne savent pas ce que c'est. Personne ne sait d'ailleurs que, au départ, cette pensée vient de la France et que Adam Smith lui-même est le père du libéralisme classique. Adam Smith disait qu'il avait été influencé par son voyage en France.

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