Mais où passent les œuvres d’art rendues par l’Occident aux pays africains ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Allemagne a rendu 20 objets pillés au Nigeria, en décembre 2022, plus de 100 ans après leur vol lors du pillage d'un ancien royaume par les forces coloniales britanniques.
L'Allemagne a rendu 20 objets pillés au Nigeria, en décembre 2022, plus de 100 ans après leur vol lors du pillage d'un ancien royaume par les forces coloniales britanniques.
©AFP / KOLA SULAIMON

Restitution de joyaux culturels

A la veille d'une tournée en Afrique, Emmanuel Macron a annoncé lundi "une loi cadre" pour "procéder à de nouvelles restitutions" d'œuvres d'art "au profit des pays africains qui le demandent".

Jean-Paul Demoule

Jean-Paul Demoule

Professeur émérite de protohistoire européenne à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Jean-Paul Demoule a créé puis présidé l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Il est l'auteur de chroniques rédigées pour la revue Archéologia, à l'origine de ce livre, et a récemment codirigé Une histoire des civilisations (La Découverte/Inrap).

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Atlantico : Emmanuel Macron a annoncé la création prochaine d’« une loi-cadre » pour « procéder à de nouvelles restitutions » d’œuvres d’art « au profit des pays africains qui le demandent ». Que sait-on actuellement des œuvres d’art détenues en Occident et qui ont été restituées à leurs pays d’origine ?

Jean-Paul Demoule : Aujourd’hui, peu sont encore concernées. La France a rendu en 2002 à l’Afrique du Sud le corps de Saartjie Baartman, dite « la vénus hottentote » et, en 2021, 26 objets d’Abomey au Bénin, pillés en 1892, parmi lesquelles se trouvent le Trône du roi Behanzin, mais aussi les statues anthropomorphes représentant les derniers d’Abomey, Ghézo, Glélé, Behanzin. Il a fallu à chaque fois une loi particulière, car les collections des musées français sont dites inaliénables. Ces dernières restitutions font suite au rapport remis en 2018 par l’historienne de l’art Bénédicte Savoy et l’universitaire sénégalais Felwine Sarr, commandé par le président Emmanuel Macron et intitulé Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle. 

Quant aux Allemands, ils ont rendu aux Turcs quelques objets archéologiques de la période hittite et les Anglais ont restitué des objets au Nigéria, mais en revanche, ils refusent toujours de rendre les marbres du Parthénon à la Grèce, qui a pourtant aménagé au pied de l’Acropole un musée spécialement construit pour les recevoir.

Ces restitutions ont rencontré beaucoup d’oppositions, notamment des conservateurs de musées qui ont argué que leurs musées étaient « universels », mais aussi des galeries d’art, car la remise en cause des conditions d’acquisition de nombreux objets ethnographiques et archéologiques poserait évidemment beaucoup de problèmes. On a objecté aussi que les pays d’origine n’avaient pas toujours de bonnes conditions de conservation. C’est pourquoi les objets d’Abomey doivent être reçus dans un espace spécial encore en aménagement.

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Que sait-on de leur utilisation dans les pays où les œuvres ont été restituées ?

Dans le cas particulier du Nigeria, il semble qu’une partie des objets aient disparu, donc aient été revendus clandestinement. Ces phénomènes de pillage et de corruption ne sont néanmoins pas propres à ce pays, car de nombreux musées les subissent, notamment lors des guerres, comme en Irak, en Syrie, en Lybie ou en Afghanistan, ou à l’occasion de changements brutaux de régimes, comme dans les Pays de l’Est. Le commerce illégal des antiquités est le troisième en importance au niveau mondial, après le trafic d’armes et celui de drogues. Les objets pillés ou détournés sont souvent stockés provisoirement dans des ports-francs, inaccessibles au public et même aux autorités, et reçoivent ensuite de faux papiers. 

Dans le cas des restitutions officielles, ces opérations se font de manière très légale. Il est possible aussi de considérer certains objets comme des prêts à long terme, dont le pays d’origine reste propriétaire légal, mais qui permettent leur exposition dans un autre pays.

Ces œuvres d’art avaient-elles plus de valeur lorsqu’elles étaient en Occident ?

C‘est un problème ancien. Les Anglais affirment par exemple que les marbres du Parthénon sont mieux protégés de la pollution à Londres qu’à Athènes, mais certains musées européens ont beaucoup souffert des deux guerres mondiales. Par ailleurs, ces œuvres, du moins celles qui ne sont pas dans des musées, alimentent aussi le marché de l’art.

Il y a sans doute plus de touristes qui les voyaient en Occident, mais pour lesquels il s’agissait avant tout de curiosité culturelle. En revanche, beaucoup de ces objets possèdent pour leurs pays d’origine une véritable valeur identitaire, et parfois religieuse. On considère qu’entre 85% et 90% des objets du patrimoine africain se trouvent aujourd’hui en dehors de l’Afrique. D’après moi, ces objets font, plus généralement, partie du patrimoine commun de l’humanité, d’autant qu’il y a parfois une grande distance temporelle entre les sociétés qui les ont fabriqués et les nations modernes sur le territoire desquelles ils ont été trouvés. Ils devraient donc pouvoir circuler librement dans le monde, à l’occasion d’expositions temporaires par exemple, afin que chacun puisse en profiter. 

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