Et arriva mai 68...Comment le couple Pompidou affronta une France au bord de l'implosion<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Et arriva mai 68...Comment le couple Pompidou affronta une France au bord de l'implosion
©Reuters

Bonnes feuilles

Le 2 avril 1974, Georges Pompidou s'éteint au terme d'une cruelle maladie vécue avec un immense courage. Claude, son épouse, lui survivra presque quarante ans avant de disparaître à son tour en 2007. Durant toutes ces années, les Français admirèrent l'ex-Première dame pour sa dignité, la réserve qu'elle observait à l'égard de la politique et son attachement à la mémoire de son mari. Mais la connaissaient-ils vraiment? Presque dix ans plus tard, leur fils, Alain Pompidou, adopté en 1942, a décidé de livrer pour la première fois la véritable histoire de cette mère qu'il appelle "Claude". Extrait de "Claude" d'Alain Pompidou, aux éditions Flammarion (2/2).

Alain Pompidou

Alain Pompidou

Alain Pompidou est professeur émérite de biologie médicale : il réalise ses propres brevets dans le champ du diagnostic. Après la publication de la correspondance de son père, il consacre le reste de son temps à ses archives familiales.

Voir la bio »

Mai-68 : à la croisée des chemins

Mes parents sont en Iran, lorsque le Premier ministre est informé d’un mouvement de contestation étudiant. Il n’est pas surpris car il a perçu, comme Claude, le mal-être de la jeunesse lors de la projection privée du film de Jean-Luc Godard, La Chinoise. Claude l’a également alerté sur l’instabilité qui s’installe au sein du campus de Nanterre. Elle tient cette information de l’épouse d’Olivier Guichard , dont la fille étudie dans cette faculté. D’un naturel optimiste, Georges pense que le rectorat et le ministère vont calmer les esprits et qu’il s’agit d’un feu de paille.

Mais, au fil du voyage, les nouvelles venant de Paris sont de plus en plus alarmantes. Le vendredi 10 mai, à la suite de la visite du grand Bouddha de Bamyan, en Afghanistan, mon père est prévenu, par Michel Jobert, que la situation est hors de contrôle : des barricades sont dressées, des voitures incendiées.

Préoccupé avant tout par le maintien de l’ordre, le Général ordonne la fermeture de la Sorbonne, point de ralliement des contestataires. À bord d’un petit avion militaire, mes parents rejoignent Kaboul, la capitale. Pendant le vol, ils sont pris dans un violent orage. Malgré l’excellence du pilote, Claude est effrayée. Elle est préoccupée également par la tournure des événements, car les informations deviennent de plus en plus inquiétantes. D’autant qu’en dehors de l’Élysée, où la tendance est à la répression, personne ne prend de décision du fait de l’absence du Premier ministre. Embarqués sur la Caravelle du Glam, après un vol de nuit harassant, ils sont accueillis à la descente de l’avion par des ministres déboussolés, la mine défaite. Claude se demande avec anxiété si son mari va pouvoir redresser la situation. Ils échangent quelques mots, puis se séparent : ma mère rejoint le quai de Béthune et mon père Matignon, avec Michel Jobert, Édouard Balladur et Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation nationale.

Frappée par le sérieux de la situation, Claude, cette fois, se mobilise. Elle ne dédaigne plus la télévision et suit, en direct, dans la journée, le déroulement des manifestations sur son transistor. Plus question de se retrancher derrière le filtre de la BBC. Georges est à la manoeuvre, l’issue incertaine, ma mère veut se tenir informée heure par heure. Le Premier ministre, contre l’avis du Général, décide de rouvrir la Sorbonne. Le soir de son retour, le 11 mai à 23 h 15, il intervient sur les radios. Sans résultat : les incidents tournent à l’émeute. Les étudiants, de plus en plus déterminés, sont rejoints par une partie des « intellectuels ».

L’agitation gagne les régions. Claude doit préparer leurs affaires, la crise étant suffisamment tendue pour que le Premier ministre et son épouse soient tenus de s’installer temporairement à Matignon : en fait, il s’agit pour mon père, de rester au centre du dispositif. Remarquablement secondé par le préfet de Paris Maurice Grimaud, mon père sait qu’il peut s’appuyer sur les forces de l’ordre. Celles-ci sont bien encadrées mais mal équipées pour le combat de rue.

Elles reçoivent néanmoins l’ordre de s’interposer, avec interdiction de tirer, même en l’air comme l’aurait souhaité le Général. Les troubles s’aggravent : dans la rue, une guérilla s’instaure. Informés régulièrement par Europe no 1 des positions des compagnies de CRS et de gendarmes mobiles, les contestataires sont à même de prendre les policiers par surprise. Équipés de motos puissantes, ils surgissent là où personne ne les attend et attaquent par l’arrière les forces de l’ordre disposées de manière à leur faire face.

Prête à toute éventualité pour soutenir son mari, ma mère estime que je dois également être disponible et me demande de venir la rejoindre. Je préviens le père de ma jeune fiancée, Sophie. Sachant que notre mariage est proche, il m’autorise à emmener cette dernière à Matignon, où nous nous installons. Pour autant, à ma connaissance, à aucun moment mon père n’a envisagé de nous faire rejoindre l’étranger contrairement à ce qu’a prétendu Michel Jobert dans son livre Ni dieu, ni diable. Une anecdote que ma mère nie fermement elle aussi : « Cela ne tient pas debout. Ces déclarations sont absolument fausses. Elles sont en contradiction totale avec l’attitude de mon mari pendant toute cette période que j’ai passée constamment auprès de lui. »

Le 28 mai, Madame de Gaulle est prise à partie, dans sa voiture, par des manifestants agressifs. Le lendemain matin, la situation est suffisamment grave pour que le Premier ministre fasse venir les chars à Satory. Objectif, se garder la possibilité d’entourer l’hôtel de ville de Paris au cas où une manifestation, prévue à partir de Denfert-Rochereau, dégénérerait. Le rassemblement attire du monde : opposants au régime et manifestants étudiants. Une tentative d’invasion de l’hôtel de ville, comme en février 1848, n’est pas exclue et justifie les dispositions prises.

À Matignon, nous suivons les événements tous les trois, ma mère, Sophie et moi, sans savoir comment le conflit va évoluer. Ma fiancée s’éclipse quelques heures. Le Premier ministre, lui, dans son bureau avec ses collaborateurs, n’a pratiquement pas dormi depuis trois nuits. « J’ai vu mon mari harassé, inquiet mais jamais découragé », témoignera Claude.

Nous nous trouvons dans un salon contigu, devant un plateau-repas quand, soudain, la porte s’ouvre : mon père apparaît, blême. Seul signe familier, il a la cigarette aux lèvres. Claude, bouleversée, voit pour la première fois son mari décomposé.

— Que se passe-t-il ? Tu n’es pas bien ? Assieds-toi, prends un café, dit-elle.

— Ça ne va pas…, répond-il, sans pouvoir en dire plus.

Après quelques secondes qui nous paraissent un siècle, il articule clairement : « Le Général a disparu. »

Extrait de Claude, d'Alain Pompidou, publié aux éditions Flammarion. Pour acheter ce livre, cliquez ici

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !