Macron rabroué sur l’assurance-chômage : stratégie du bon flic, mauvais flic ou simple maquillage de l’inaction gouvernementale ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement joue-t-il la stratégie du bon flic et du mauvais flic ?
Le gouvernement joue-t-il la stratégie du bon flic et du mauvais flic ?
©Reuters

A quel jeu François Hollande joue-t-il ?

Le ministre de l'Economie Emmanuel Macron s'est dit, dans une interview donnée au JDD publiée dimanche 12 octobre, favorable à une réforme de l'assurance chômage. Après quoi, le Premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis s'est vivement récriminé. Étrangement, le même scénario, sur le même sujet, s'est produit quatre jours plus tôt entre Manuel Valls et François Hollande.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Dans une interview accordée au JDD publiée dimanche 12 octobre, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron s'est dit favorable à une réforme de l'assurance chômage, à la suite de quoi le Premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis n'a pas manqué de lui rappeler que ce n'était pas à l'ordre du jour. François Hollande a estimé sur la même question mercredi 8 octobre qu'il y avait "suffisament de sujets" posés sur la table, après que Manuel Valls a déclaré que la question du montant et de la durée de l'indemnisation chômage devait êre "reposée".

Atlantico:  Comment comprendre ce type de joute à distance quand on sait que François Hollande a fait le choix de reconduire Valls dans ses fonctions et de prendre Macron à l'économie ? La ligne politique et les réformes concrètes qui devaient découler de cette composition n'étaient-elles pas censées être convenues au sein de l'exécutif ?

Jean Petaux : Je peux comprendre que la logique de tout cela puisse sembler assez difficile à cerner. Les opposants systématiques à François Hollande et à l’équipe gouvernementale y trouveront matière, une fois encore, à conforter leur opinion. Mais cela n’aidera pas à décrypter la réalité. En fait il me semble que l’on peut voir trois explications possibles à ce que vous pointez dans votre présentation des faits.

1) On est en présence d’une très grande improvisation qui est la conséquence d’un amateurisme intégral. Les acteurs sont mauvais, incapables de jouer ensemble, chacun dit ce qu’il lui passe par la tête en fonction de son ambition propre ou chante les paroles qu’il a envie de chanter sur des musiques différentes, en fonction de son inspiration du moment. En français dans le texte : c’est une cacophonie.

2) Comme il est particulièrement délicat de lancer des réformes en ce moment avec une société française au bord de la crise de nerfs collective, il faut y voir plutôt des "ballons d’essai" (ou si l’on préfère des "ballons sondes") lancés pour mesurer l’état de résistance de telle ou telle frange de l’opinion. Les messages sont apparemment contradictoires, mais en réalité ils permettent d’envisager des scenarii ou des modus operandi différents pour atteindre un objectif qui est commun et unique à l’ensemble de l’exécutif.

3) Le président de la République, le premier ministre, le ministre de l’Economie se partagent les rôles, tout comme dans la moindre série policière américaine vous avez le "bad cop" et le "good cop", celui qui fait le méchant et celui qui joue le gentil. Leurs différences ne sont que tactiques au service d’une même stratégie : réussir leur mission.

En d’autres termes : quand Emmanuel Macron, dans son interview au JDD dit : "La brutalité ne marche pas, elle bloque la France – nous l’avons bien vu entre 2007 et 2012. (…) La thérapie de choc ne fonctionne qu’avec le consentement du malade. Nous devons aller vite mais sans brutalité", il se situe, me semble-t-il dans la démarche indiquée par le président de la République et par le chef du gouvernement. Il annonce des réformes et il teste celles-ci auprès de l’opinion, au risque (assumé) d’apparaître en décalage (en avance en l’occurrence) par rapport à la position exprimée au plus haut sommet de l’Etat sur tel ou tel dossier. De mon point de vue il n’y a là qu’une différence de forme et de timing, pas une différence de fond. Reste un dernier point : la position de Cambadelis, premier secrétaire du Parti socialiste. Ici je serai plus tranché : tout le monde s’en fiche et elle ne pèse aucunement sur les choix élyséens et gouvernementaux. Ce n’est pas parce que "Camba" (comme disaient ses camarades trotskystes à la grande époque…) ne représente rien d’autre que lui-même (même si c’est néanmoins le cas) c’est tout simplement que le statut du parti gouvernemental sous la Vème République (droite ou gauche au pouvoir peu importe d’ailleurs), depuis sa création le 4 octobre 1958, est d’être un parti-croupion qui ne sert pratiquement à rien et qui n’a aucune influence dans la définition de la politique engagée.

Sur le plan purement idéologique et discursif, diriez-vous que François Hollande fait preuve de cohérence ? Pourquoi ?

Au risque de surprendre et d’apparaître à contre-courant de l’opinion dominante, je dirai en effet que François Hollande fait preuve de cohérence à la fois idéologique et rhétorique. Encore faut-il préciser "cohérence par rapport à quoi ?". En l’espèce cohérence par rapport à sa trajectoire, cohérence par rapport à son "ADN" politique. Pour ce qui concerne son idéologie, François Hollande a toujours été un homme de centre-gauche, social-démocrate ou social-libéral peu importe. Ses premiers engagements politiques significatifs, au PS, il les vit dans ce que l’on nomme à l’époque (fin des années 80, début des années 90) les "Transcourants". Ils se reconnaissaient dans la figure de Jacques Delors au sein des clubs "Témoins". On a vu plus marxiste !!!... Il s’agit, en d’autres termes, de cadres-militants (souvent parisiens et jeunes députés élus en 1988) qui refusent alors de se positionner dans une des écuries internes au PS et de prendre parti dans la bataille fratricide entre Jospinistes et Fabiusiens. Ils sont souvent d’ailleurs assez proches des idées et des thèmes défendus par Michel Rocard mais ils ont le rocardisme honteux parce qu’à l’époque, du vivant du "Sphinx" (Mitterrand) s’afficher rocardien c’est courir le risque, en se dévoilant, d’être immédiatement condamné pour crime de "lèse-président". François Hollande est alors une sorte de social-libéral  marrane. Tels ces Juifs portugais ou espagnols obligés d’abjurer leur foi en trois jours en 1492 et qui continuèrent à pratiquer clandestinement leur judaïsme, dans une conversion au christianisme de pure façade et de circonstance. Rien de nouveau d’ailleurs sous le soleil socialiste, pour paraphraser "L’Ecclésiaste". Entendant François Mitterrand faire sa longue péroraison sur la nécessaire rupture avec la capitalisme pour être un "vrai socialiste", à la tribune du Congrès d’Epinay en 1971 quand fut créé le PS tel qu’on le connait aujourd’hui, Guy Mollet, qui s’y entendait en vacheries et qui connaissait surtout "son" Mitterrand, eut ce mot fameux : "François Mitterrand n’est pas devenu Socialiste, il a juste appris à le parler". Ce qui, avec le recul, quand on connait la "suite du film" s’est révélé plutôt exact…

François Hollande, lui aussi, a donc appris à "parler socialiste" pendant de nombreuses années. Pas plus… Il l’a fait toujours avec énormément de talent, avec un art oratoire largement au-dessus des rivaux socialistes de sa génération. Il l’a fait aussi bien plus intelligemment que d’autres tels que Mélenchon qui ne parvint jamais à convaincre autre chose qu’une poignée de militants et de cadres socialistes, tant ses actes et ses pratiques étaient en totale inadéquation avec ses envolées. Il le fit avec bien plus de conviction apparente que Fabius, trop lisse, trop hautain, trop "techno" pour parler à la base socialiste. Il le fit avec bien plus d’empathie qu’Aubry, trop raide, trop abrupte et trop triste pour faire rêver les sympathisants socialistes. Il le fit avec bien plus de ruse que Strauss-Kahn trop facile pour être honnête et trop jouisseur pour le cacher… .

En réalité François Hollande est assez archétypal d’une catégorie de dirigeants français, au fil du "roman national", que l’on désigne sous le terme de "réformateurs". Ils sont généralement très impopulaires quand ils gouvernent, même s’ils sont désirés avant et regrettés après. Dans un pays qui adore se payer de mots et cultive le simulacre de Révolution avec une ferveur digne de l’adoration du Veau d’or mais qui se dépêche, quand celle-ci arrive, de se réfugier dans les bras d’un homme providentiel appelé à siffler très vite la fin de la récréation en renvoyant tout le monde au travail (Napoléon Bonaparte par exemple), les "réformateurs" sont considérés comme des dirigeants manquant d’ambition et des "gagnepetits". On préfère le "grand homme" qui tutoie les sommets quitte à s’en lasser très vite (de Gaulle par exemple). François Hollande n’est certes pas de Gaulle ou Mitterrand. Il ne porte pas une vision messianique de la France. La notion de grandeur du "pays des droits de l’homme" doit sans doute le faire un peu marrer, parce qu’il est trop lucide pour se la jouer et raconter cette histoire au pays. Mais, pour autant, il n’entend pas laisser le pays s’enfoncer dans la crise. C’est peut-être là qu’il rencontre ce qui peut apparaître comme une aporie, une contradiction indépassable : comment redresser un pays qui se vit comme à terre et abattu ? comment redonner confiance à la société française sans lui raconter une histoire qui la fasse rêver ? comment concilier le mythe d’un redémarrage et la réalité d’une situation bloquée ? Pas simple en effet.

A l'inverse, assume-t-il vraiment son discours dans la réalité ? L'enterrement de l'écotaxe est-il le dernier exemple en date d'une certaine difficulté à suivre un cap politique déterminé au préalable ?

François Hollande a horreur du conflit dit-on. Je crois plutôt qu’il cherche, jusqu’au bout à l’éviter. Il pratique l’art de l’esquive et préfère contourner les obstacles que les bousculer. Au rugby il est dans une posture d’ailier, de trois-quart aile qui zigzague au milieu des "gros" en cherchant à passer dans le chas d’aiguille de la défense adverse. Je pense qu’il assume parfaitement son discours mais il cherche plutôt à l’adapter à un impératif : ne pas faire exploser le pays, ne pas provoquer une catharsis qui échapperait à tout contrôle. On peut parfaitement considérer qu’avec de tels prolégomènes la moindre réforme sera très vite mort-née. Mais il me semble qu’il faut plutôt essayer de "dézoomer", d’élargir la focale et de faire en sorte de regarder vers la cible à atteindre plutôt que de considérer chacun des bords tirés comme indiquant la destination finale. On dit souvent que l’idiot regarde le doigt qui montre la Lune au lieu de regarder effectivement la Lune. J’invite les observateurs à essayer de regarder l’astre de la nuit, au lieu de se fixer sur le doigt…

Ces allers et retours permanents entre le président et les membres du gouvernement condamnent-ils ce dernier à l'inaction, ou au moins à l'inefficacité dans les réformes menées ? Qu'est-ce que cela laisse présager pour la suite du tandem Hollande-Valls ?

On peut effectivement craindre que la peur des conséquences des réformes paralyse les intentions de réforme elles-mêmes. Ce serait la pire des options pour les dirigeants en place. Elle pourrait d’ailleurs se traduire par une crise au sommet de l’Etat entre "attentistes"  et "activistes". Mais si une crise devait survenir entre le président de la République et le premier ministre elle serait évidemment et également nuisible à l’un et à l’autre. Hollande et Valls sont exactement dans ce que l’on peut appeler le "dilemme du prisonnier" (du pouvoir…). Leur sort est lié. Si l’un se dissocie de l’autre, de par la volonté de l’un ou de l’autre (ils peuvent être amenés à se séparer sous la pression de résultats électoraux par exemple, mais il s’agirait là d’une contrainte exogène) il tombera en entraînant l’autre dans sa chute.

Pour autant dans la forme ils peuvent diverger et se compléter. Je suis souvent frappé de constater, quand on interroge les acteurs politiques sur une partie de leur passé, de constater qu’ils ont un ressenti, un vécu, souvent différents de ce qu’ils ont donné à voir à l’extérieur. Parfois même contradictoires avec la représentation que les observateurs, même les plus avisés, ont pu avoir. Si Pompidou et Chaban se sont peu appréciés (les notes de Georges Pompidou publiées par son fils Alain l’ont montré abondamment), ils ne se sont pas détestés. Si Giscard et Chirac se sont amplement détestés (ils le montrent encore dans leurs soutiens différenciés pour la primaire à l’UMP, le premier pour Sarkozy, le second pour Juppé), ils ont aussi conclu des alliances de circonstance, tout au long de leur parcours politique, y compris après leur rupture spectaculaire de 1976. En réalité quand l’intérêt politique commande, (même l’intérêt personnel le plus narcissique), il arrive que les breuvages de la réconciliation (ou de la trêve armée) les plus amers soient mutuellement absorbés. Il est toujours temps, ensuite, de reprendre sa liberté de parole, et d’action… Regardez Fillon par rapport à Sarkozy…

Propos recueillis par Gilles Boutin

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