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Macron au 13h de TF1 : ce que le Président pourrait dire à la cible visée s’il allait au bout de sa logique sur la solidarité entre générations
©LUDOVIC MARIN / AFP

Les mots (maux?) justes

La stratégie de communication de Macron cette semaine, répartie entre TF1 et BFMTV-RMC et Mediapart semble fondée sur le clivage existant entre province / inactifs / seniors, catégories que le président cherche à rassurer, et les CSP+ / catégories aisées urbaines. Cependant, si ce clivage existe, les incertitudes concernant l'avenir touchent également l'électorat macroniste et les catégories plus favorisées.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Dès lors, quelle serait l’approche économique qui permettrait de répondre aux angoisses de l’ensemble des Français du point de vue de la protection sociale ? 

Michel Ruimy : Pour bien comprendre la situation actuelle de la France, il faut saisir deux choses : le système français de protection sociale et l’environnement économique.

Il y a essentiellement deux modèles de protection sociale. Le premier, le modèle « bismarckien » dit « assuranciel », peut être succinctement caractérisé par le fait que la protection, obligatoire, se fonde uniquement sur le travail et sur la capacité des individus à s’ouvrir des droits grâce à leur activité professionnelle. Elle repose sur une participation financière des salariés et des employeurs via les cotisations sociales, qui ne sont pas proportionnelles aux risques mais aux salaires (socialisation du risque). Quant au second, le modèle « beveridgien », il couvre l’ensemble de la population, de tous les risques (universalité de la protection sociale). Les prestations uniformes se basent sur les besoins des individus et non sur leurs pertes de revenus en cas de survenue d’un risque et c’est à l’Etat que revient la gestion de l’ensemble de la protection sociale, par un financement basé sur l’impôt. Ce dernier système ne repose pas sur l’emploi mais sur l’appartenance citoyenne à la collectivité nationale. 

Ensuite, l’État-providence, apparu en France après 1945 s’est, dans un premier temps, essentiellement appuyé sur une logique « assurancielle » peu à peu complétée par une logique plus « universaliste ». Ainsi, la Sécurité sociale française se distingue par un système mixte empruntant des éléments aux modèles bismarckien et beveridgien.

Par ailleurs, cela fait plus de 40 ans que les dirigeants français sont aux abois. Le modèle social français s’est grandement fissuré du fait de la dégradation des conditions économiques (faible croissance, chômage persistant, vieillissement de la population…). Parfois, certains se mettent à invoquer des modèles étrangers. L’échec était expliqué par le fait que les Français n’étaient pas assez allemands ou pas assez anglo-saxons ou pas assez scandinaves. Or, il faut bien garder en tête que l’Europe de la protection sociale est aujourd’hui confrontée à un défi structurel majeur, celui de son extrême hétérogénéité. En matière de financement, les écarts sont considérables. Par exemple, l’Irlande affecte à la protection sociale 17% de son PIB et la Suède lui consacre 33% du sien. Cette situation conduit, en vertu du principe de libre circulation des capitaux, à des mouvements de délocalisations d’activité à l’intérieur de l’Union vers les pays « à moins disant social », mettant en œuvre une sorte de dumping social pour attirer certaines activités industrielles ou de services. Ces stratégies fragilisent les systèmes de protection sociale des pays les plus avancés sur le plan social et y produisent un accroissement des inégalités au détriment des travailleurs les moins qualifiés.

Dans ce contexte, que faire ? Devant les déficits récurrents, il reviendra à Emmanuel Macron, qui se réfère, à la fois, à la « flexisécurité » danoise et au modèle « beveridgien », d’expliquer et d’expliquer encore aux Français, que sauf à démanteler le système de protection sociale, ce qui est, au plan politique, inenvisageable, il faudra se résoudre, pour l’instant, à une plus grande fiscalité. Pour autant, le défi est aussi le retour à une croissance plus dynamique qui ouvrirait des « marges de manœuvre » en termes de rentrées de cotisations et de diminution des charges. Mais il s’agit là d’une solution qui ne se décrète pas !

Comment faire pour adapter au pays un système de solidarité intergénérationnelle qui puisse répondre aux besoins du plus grand nombre, tout en suivant la logique d'Emmanuel Macron concernant la CSG ? 

La solidarité collective est aujourd'hui fragilisée et se manifeste par des défaillances persistantes : la France compte aujourd’hui plusieurs milliers de SDF, la pauvreté touche près de 8 millions de personnes (dont 2 millions d’enfants), ce qui représente un taux de pauvreté d’environ 13% de la population totale. Si rien n’est fait, cette évolution risque de se poursuivre car elle découle du fait que la dégradation du marché du travail ne permet plus un financement général des protections sur la base des contributions salariales et patronales.

Dans ces conditions, les solidarités privées sont de plus en plus sollicitées en complément, et parfois en remplacement, de la solidarité collective. Le premier acteur de la solidarité privée est évidemment la famille, dans sa dimension nucléaire mais aussi dans sa forme élargie, notamment aux ascendants et descendants. Ces transferts intergénérationnels sont loin d’être négligeables dans la société française, qu’ils prennent une forme monétaire ou qu’ils se traduisent par des aides en nature ou des services. Cette fonction de protection intrafamiliale profite, par exemple, fortement aux jeunes au moment transitoire, souvent délicat, de l’entrée dans la vie active (hébergement gratuit, services domestiques…) mais aussi aux personnes âgées, notamment celles qui sont dépendantes, qui bénéficient également souvent d’une prise en charge partielle par le groupe familial. 

Il faut cependant remarquer que le volume et les formes de l’entraide familiale obéissent, en partie, à des déterminants sociaux. Les échanges intrafamiliaux sont, en effet, plus intenses dans les milieux sociaux les plus aisés, sous la forme financière, les marges de manœuvre budgétaires y étant plus larges. Dans les milieux aisés, le réseau relationnel et le « capital social » sont davantage sollicités pour la recherche d’emploi par exemple ou la mise à disposition d’éléments de patrimoine (maison de vacances).

On assiste ainsi à un glissement d’un modèle maximaliste de la protection sociale fondé sur les assurances obligatoires à un modèle minimaliste visant à apporter des secours aux plus démunis, évolution qui va dans le sens de la dualisation de la protection sociale. 

Au fondement de cette opposition entre deux modèles de protection sociale, il y a l’opposition entre deux conceptions de la solidarité. Les « dépenses de solidarité » doivent-elles se limiter à procurer un mince filet de sécurité à ceux qui sont les plus démunis de ressources et incapables de se les procurer eux-mêmes ? Ou bien la solidarité est-elle le lien qui doit unir tous les membres d’une même Société et qui suppose que chacun soit pourvu du minimum de ressources et de protections nécessaires pour exercer à part entière sa citoyenneté sociale ? Telle est la problématique. 

Ces deux dimensions sont plus complémentaires qu’antagonistes. Tout ne peut pas venir, dans ce domaine, des institutions publiques : le risque serait que les individus perdent le sens même du lien que la solidarité doit entretenir, en la déléguant à une puissance tutélaire désincarnée. Mais, à l’inverse, il existe une limite à la capacité de prise en charge privée de la détresse sociale. Devant les défis que la protection sociale doit affronter, notamment la question cruciale de son financement, une solution, qu’il convient de faire valider par tous, pourrait résider alors dans un resserrement de cette protection autour des segments de la population les plus vulnérables, en le faisant admettre par ceux pour qui ce bouclier est moins nécessaire.

Dans une approche qui semble aujourd’hui trop « technique » et pas assez « humaine », écartant parfois trop facilement les questions relatives aux inégalités, qui sont pourtant ressenties par une large majorité de Français, (selon un sondage IFOP - Synopia, seuls 17% des Français considèrent que les richesses sont équitablement partagées), 

Comment concilier performance économique et inclusion du plus grand nombre ?

Il existe aujourd’hui un « indice de développement inclusif » (IDI), publié par le Forum économique mondial, qui souhaite mesurer la performance économique d’un pays autrement qu’en fonction de la seule croissance du Produit intérieur brut, en s’intéressant à la qualité de vie des gens et à la préparation des économies pour le futur. L’intérêt de cet indicateur est que les résultats sont obtenus en examinant 12 indicateurs-clés de performance du développement inclusif, divisés en 3 piliers : croissance et développement, inclusion, équité intergénérationnelle c’est-à-dire un développement durable des ressources naturelles et financières. 

Pour 2018, sur les 103 pays étudiés, 29 sont considérés comme des « économies avancées ». Même si au cours des 5 dernières années, celles-ci ont amélioré leur score de croissance et développement de plus de 3%, elles ont stagné, en moyenne, en termes d’inclusion. Sur la période, seules 12 des 29 économies avancées ont réussi à réduire la pauvreté et seules 8 ont diminué les inégalités de revenus. 

Concernant la France, elle se positionne, au final, 18ème (Le Royaume-Uni et les États-Unis se classent respectivement 21ème et 23ème, comme en 2017) se situant au 12ème rang en matière d’inclusion, 21ème pour ce qui concerne la croissance et le développement et 24ème sur l’équité intergénérationnelle. Ceci laisse présager que l’économie française connaîtra des problèmes dans le futur. 

Des pistes d’action sont possibles.

Tout d’abord, les programmes d’assistance sociale doivent innover pour mieux protéger les enfants et aider les familles à investir pour préserver voire augmenter leur capital humain et assurer leur avenir. L’expérience internationale de transferts monétaires aux familles pauvres et vulnérables, combinée avec la fourniture de services de base de qualité (santé, éducation) a montré des résultats impressionnants en termes de diminution du décrochage scolaire, du travail des enfants ou de la nutrition.

Une autre possibilité serait de mieux connaitre les personnes concernées via un registre social pour mieux les servir au moyen d’un système d’information permettant une évaluation des besoins et des conditions socioéconomiques qui détermineraient l’éligibilité potentielle d’individus et ou familles à différents programmes et suivre l’évolution de leur niveau de vulnérabilité ou d’insertion socioéconomique. 

Beaucoup de travail reste à faire mais si la volonté y est, alors tout est possible.

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