Aide aux victimes
Lynchage de Yuriy : les victimes d’agressions trop souvent prises au piège de la lenteur judiciaire
Non seulement les politiques pénales ou éducatives en vigueur ont accentué la montée de la violence en se refusant à punir efficacement les agresseurs, mais la France a aussi un bilan catastrophique en matière d’indemnisation et de soutien apporté aux victimes.
Gérald Pandelon
Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020).
Mathieu Bourdet
Maître Mathieu Bourdet est Avocat à la Cour, inscrit au Barreau de Rouen.
Atlantico.fr : Le passage à tabac du jeune Yuriy pose la question de l’aide aux victimes d’agressions de ce type. Quel est actuellement l’accompagnement (médical, psychologique, juridique) proposé à une victime d’agression ? Combien de temps dure-t-il ?
Mathieu Bourdet : En droit français, il y a le principe de la réparation intégrale des préjudices. On indemnise tout le préjudice à condition de le prouver. Cette preuve est compliquée à apporter. En cas de dommages corporels, le recours à l'expertise médicale est très important. Toutes les juridictions appliquent la nomenclature Dintilhac qui permet de ventiler les postes de préjudices : souffrances endurées, préjudice esthétique, déficit fonctionnel permanent, etc. J’ai par exemple un client qui s'est pris un coup de couteau dans la cuisse. Il y a un poste de préjudice qui s'appelle frais de véhicule adapté et qui permet de prendre en charge le surcoût d'une voiture avec un pédalier inversé et une boîte automatique.
Gérald Pandelon : Le passage à tabac du jeune Yuriy est devenu un acte qui, en dépit de son extrême violence, relativement banal. Pour avoir rédigé et publié l'année dernière un ouvrage consacré au narcobanditisme des cités, l'auteur de ces quelques lignes ne peut que déplorer le caractère assez habituel, pour ne pas dire désormais quotidien, de ce type d'événements; C'est, à ce titre, peu dire que de reconnaître que notre Etat connaît un grave délitement, une crise majeure d'autorité, d'efficacité et de vision pour en sortir, en dépit des efforts déployés. En outre, s'agissant de la question de la réparation due aux victimes, le dispositif d'ensemble se heurte, d'abord, aux lenteurs judiciaires, ensuite, aux manoeuvres dilatoires de la personne condamnée en vue d'échapper à ses obligations financières. C'est ainsi que les délais peuvent être allongées et, par conséquent, entre la condamnation définitive et l'obtention d'une indemnisation pour la victime, cette dernière devra parfois attendre 3 ans. Ce qui signifie qu'entre l'audience de premier ressort qui aura condamné le prévenu, lequel aura souvent par stratégie personnelle relevé appel car le contentieux est suspensif en matière pénale, puis les délais post-sentenciels lui permettant de récupérer les sommes objet de la condamnation, la victime pourra attendre près de 5 années. je rajoute que dans ce laps de temps, la personne condamnée aura eu largement le temps d'organiser son insolvabilité ou de fuir vers d'autres pays qui seront parfois réticents à faire exécuter une décision rendue dans un autre pays, en l'occurence en France. Autrement dit, la personne condamnée pourra, en pratique ne jamais payer.
Est-il aisé d’obtenir compensation/indemnisation après une agression ? Est-ce un processus automatique ou faut-il s’adjoindre l’aide d’un avocat ?
Je prends le cas d’un de mes clients victime d'un braquage avec un gros préjudice psychologique. J’ai demandé à faire une expertise médicale à dominante psychologique. L'expert a considéré qu’il fallait des soins futurs : des séances chez un psychiatre et un psychologue pendant 2 ans. Les séances chez le psychiatre sont remboursées par la sécurité sociale. Mais pour les séances chez le psychologue, la victime peut se retrouver en difficulté. Qui paye ? La plupart du temps les agresseurs sont insolvables. Sous certaines conditions vous avez parfois la possibilité d'aller devant la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI). L'avocat va faire en sorte de mobiliser le fonds de garantie à l'amiable ou en contentieux pour que son client soit indemnisé. C'est un mécanisme qu'on a la chance d'avoir mais qui ne fait aucun cadeau. En tant qu'avocats on se retrouve à argumenter devant le fonds de garantie comme on le ferait face à une compagnie d'assurance. Chaque poste de préjudice doit être bien justifié. Ce n'est pas une indemnisation à la louche.
- - Si le montant attribué par le tribunal est inférieur ou égal à 1 000 €, la victime sera intégralement payée.
- - Si le montant est supérieur à 1 000 €, le SARVI adresse à la victime une provision correspondant à 30 % du montant desdits dommages et intérêts et sommes avec un minimum de 1 000 € et un maximum de 3 000 €.
Cette somme sera versée par le SARVI dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande d'aide au recouvrement. Si la somme versée ne correspond qu'à une avance, le SARVI payera le complément dû, en fonction des sommes qu'il aura pu obtenir du condamné et après déduction de ses frais de gestion.
L’Etat et la justice en font-ils assez à l’égard des victimes d’agression dans l’accompagnement psychologique et juridique ? Ou les victimes sont-elles obligées de se tourner vers une aide associative ?
Mais le problème principal est la lenteur des procédures. Je ne jette la pierre ni aux policiers ni à la justice. Ils croulent sous des monceaux de dossiers. Il y a certes des procédures pour accélérer le traitement des dossiers comme la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Mais si les prévenus sont jugés plus rapidement, les victimes, elles, ne trouvent pas leur place. En effet, c'est une procédure où le prévenu et son avocat vont discuter directement avec le procureur (ou un substitut) pour trouver un accord sur une peine. Dans un deuxième temps, la peine est homologuée (ou pas) par un juge du siège. La victime n'a donc pas son mot à dire avant l'audience d'homologation. Et le procureur ne connaît pas forcément l'ampleur du préjudice pour la victime et ne peut donc pas ajuster sa proposition de peine. La victime découvre la peine le jour de l'audience et ne va pas la comprendre. D'autant qu'on n’a pas en France cette culture américaine de la peine dure et punitive comme il peut y avoir dans le système anglo-saxon. Ça aussi, les victimes ne le comprennent pas toujours.
Les missions des psychologues pourront être les suivantes :
- Soutien psychologique des victimes d'infractions pénales et d'accidents collectifs, limité dans le temps (au maximum jusqu'au procès ou durée équivalente). Il s'agit non seulement des victimes directes mais aussi des victimes indirectes ou collatérales (par exemple les parents d'enfants assassinés). Ce soutien psychologique reste seulement centré sur les conséquences directes de l'infraction ou de l'accident ;
- Explicitation et accompagnement des victimes aux différentes étapes de la procédure pénale et notamment au procès d'assises.
- Accueil et orientation des proches des victimes (parents, conjoints, frères et soeurs..) ;
- Rédaction d'attestations à la demande des victimes ;
- Orientations thérapeutiques.
Ces missions seront souvent complétées par :
- des debriefings psychodynamiques collectifs pour des groupes constitués de victimes (salariés d'une entreprise, urgentistes..) ;
- des groupes de parole.
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