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Lynchage de Yuriy : les victimes d’agressions trop souvent prises au piège de la lenteur judiciaire
©Thomas SAMSON / AFP

Aide aux victimes

Non seulement les politiques pénales ou éducatives en vigueur ont accentué la montée de la violence en se refusant à punir efficacement les agresseurs, mais la France a aussi un bilan catastrophique en matière d’indemnisation et de soutien apporté aux victimes.

Gérald Pandelon

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Mathieu Bourdet

Mathieu Bourdet

Maître Mathieu Bourdet est Avocat à la Cour, inscrit au Barreau de Rouen.

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Atlantico.fr : Le passage à tabac du jeune Yuriy pose la question de l’aide aux victimes d’agressions de ce type. Quel est actuellement l’accompagnement (médical, psychologique, juridique) proposé à une victime d’agression ? Combien de temps dure-t-il ?

Mathieu Bourdet : En droit français, il y a le principe de la réparation intégrale des préjudices. On indemnise tout le préjudice à condition de le prouver. Cette preuve est compliquée à apporter. En cas de dommages corporels, le recours à l'expertise médicale est très important. Toutes les juridictions appliquent la nomenclature Dintilhac qui permet de ventiler les postes de préjudices : souffrances endurées, préjudice esthétique, déficit fonctionnel permanent, etc. J’ai par exemple un client qui s'est pris un coup de couteau dans la cuisse. Il y a un poste de préjudice qui s'appelle frais de véhicule adapté et qui permet de prendre en charge le surcoût d'une voiture avec un pédalier inversé et une boîte automatique. 

Gérald Pandelon : Le passage à tabac du jeune Yuriy est devenu un acte qui, en dépit de son extrême violence, relativement banal. Pour avoir rédigé et publié l'année dernière un ouvrage consacré au narcobanditisme des cités, l'auteur de ces quelques lignes ne peut que déplorer le caractère assez habituel, pour ne pas dire désormais quotidien, de ce type d'événements; C'est, à ce titre, peu dire que de reconnaître que notre Etat connaît un grave délitement, une crise majeure d'autorité, d'efficacité et de vision pour en sortir, en dépit des efforts déployés. En outre, s'agissant de la question de la réparation due aux victimes, le dispositif d'ensemble se heurte, d'abord, aux lenteurs judiciaires, ensuite, aux manoeuvres dilatoires de la personne condamnée en vue d'échapper à ses obligations financières. C'est ainsi que les délais peuvent être allongées et, par conséquent, entre la condamnation définitive et l'obtention d'une indemnisation pour la victime, cette dernière devra parfois attendre 3 ans. Ce qui signifie qu'entre l'audience de premier ressort qui aura condamné le prévenu, lequel aura souvent par stratégie personnelle relevé appel car le contentieux est suspensif en matière pénale, puis les délais post-sentenciels lui permettant de récupérer les sommes objet de la condamnation, la victime pourra attendre près de 5 années. je rajoute que dans ce laps de temps, la personne condamnée aura eu largement le temps d'organiser son insolvabilité ou de fuir vers d'autres pays qui seront parfois réticents à faire exécuter une décision rendue dans un autre pays, en l'occurence en France. Autrement dit, la personne condamnée pourra, en pratique ne jamais payer. 

Est-il aisé d’obtenir compensation/indemnisation après une agression ? Est-ce un processus automatique ou faut-il s’adjoindre l’aide d’un avocat ?

Mathieu Bourdet : La victime ne peut pas savoir seule comment chiffrer son préjudice. Et bien souvent elle ne sait même pas quoi demander. Elle ne pense pas forcément à son préjudice psychologique par exemple. J'ai pu obtenir pour une victime de l'attentat du Bataclan des expertises psychologiques qui lui ont reconnu 17% de déficit fonctionnel permanent (ce qui est très élevé car le déficit fonctionnel permanent ne va pas au-delà de 20 % pour l'impact psy). Si la victime n'est pas assistée d'un avocat, elle va arriver seule à la barre avec ses souffrances. Pour les magistrats, ce n'est qu'une affaire parmi d'autres. Ils n'ont pas le temps de creuser les souffrances et de questionner la victime. Heureusement, certains magistrats ont une certaine bienveillance et font un renvoi sur les intérêts civils afin de renvoyer la question de l'indemnisation à une audience dans 3 mois. Ce qui permet dans l’intervalle de contacter un avocat pour constituer un dossier et chiffrer les préjudices. 

Je prends le cas d’un de mes clients victime d'un braquage avec un gros préjudice psychologique. J’ai demandé à faire une expertise médicale à dominante psychologique. L'expert a considéré qu’il fallait des soins futurs : des séances chez un psychiatre et un psychologue pendant 2 ans. Les séances chez le psychiatre sont remboursées par la sécurité sociale. Mais pour les séances chez le psychologue, la victime peut se retrouver en difficulté. Qui paye ? La plupart du temps les agresseurs sont insolvables. Sous certaines conditions vous avez parfois la possibilité d'aller devant la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI).  L'avocat va faire en sorte de mobiliser le fonds de garantie à l'amiable ou en contentieux pour que son client soit indemnisé. C'est un mécanisme qu'on a la chance d'avoir mais qui ne fait aucun cadeau. En tant qu'avocats on se retrouve à argumenter devant le fonds de garantie comme on le ferait face à une compagnie d'assurance. Chaque poste de préjudice doit être bien justifié. Ce n'est pas une indemnisation à la louche.

Gérald Pandelon : Compte tenu de la complexité des procédures, il faut nécessairement s'adjoindre les services d'un avocat. Brossé à grands traits, lemécanisme existant est toutefois le suivant. Sur un plan psychologique, même si la victime pourra être accompagnée et, par ailleurs, assisté par son avocat au cours de toute la procédure, cette dernière ressentira, à juste titre, une profonde injustice car, en dépit des condamnations intervenues, elle pourra ne jamais obtenir réellement réparation. La procédure est toutefois la suivante. Les victimes, parties civiles, disposant d'une décision définitive leur accordant des dommages et intérêts ainsi qu'éventuellement le remboursement partiel ou intégral des frais de procédure pourront demander à bénéficier d'une aide au recouvrement au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). Elles peuvent obtenir cette aide à la condition de ne pas pouvoir obtenir d'indemnisation par la CIVI (article 706-3 et 706-14 du Code de Procédure Pénale). La CIVI est compétente pour quelques infractions limitativement énumérées, notamment lorsque l’auteur de l’infraction n’a toujours pas réglé ni les dommages et intérêts ni sa participation aux frais de la victime dans un délai deux mois à compter du jour où la décision concernant les dommages et intérêts est devenue définitive (délai d'appel passé). La demande d'aide au recouvrement doit être présentée dans le délai d'un an à compter du jour où la décision est devenue définitive. Passé ce délai, la saisine du fonds de garantie est irrecevable sauf accord pour un motif légitime. En cas de refus opposé par le fonds, la victime peut être relevée de la forclusion par le Président du tribunal de grande instance qui statue par ordonnance sur requête. La démarche pour saisir le SARVI est simple. Il suffit de remplir un formulaire "demande d'aide au recouvrement". Ce formulaire est à la disposition des justiciables par téléchargement, il est également disponible auprès des tribunaux de grande instance (guichet unique de greffe, greffe du juge délégué aux victimes, bureaux d'exécution), les points d'accès au droit, les associations d'aide aux victime. Le fonds de garantie se chargera lui-même d’effectuer toutes démarches visant à obtenir de l’auteur de l’infraction le paiement des sommes dues. 
  •  - Si le montant attribué par le tribunal est inférieur ou égal à 1 000 €, la victime sera intégralement payée.
  •  - Si le montant est supérieur à 1 000 €, le SARVI adresse à la victime une provision correspondant à 30 % du montant desdits dommages et intérêts et sommes avec un minimum de 1 000 € et un maximum de 3 000 €.

Cette somme sera versée par le SARVI dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande d'aide au recouvrement. Si la somme versée ne correspond qu'à une avance, le SARVI payera le complément dû, en fonction des sommes qu'il aura pu obtenir du condamné et après déduction de ses frais de gestion.

L’Etat et la justice en font-ils assez à l’égard des victimes d’agression dans l’accompagnement psychologique et juridique ? Ou les victimes sont-elles obligées de se tourner vers une aide associative ?

Mathieu Bourdet : Les victimes souffrent beaucoup du manque d’accès à l’information. L’enquête est couverte par le secret, même l’avocat n’y a pas accès. Mais ce qu’on peut faire, nous, c’est faire « pression » sur le parquet pour lui demander l’état d’avancement de la procédure. La plupart du temps, on nous invite à reformuler notre demande 3 ou 6 mois plus tard. J'ai eu le cas d'un homme qui était mort alors qu'il était à son travail. Silence radio du parquet pendant 2 ans. J'ai envoyé un courrier en rappelant que j'avais des ayants droit qui n'arrivaient pas à faire leur deuil parce qu'ils ne connaissaient pas les circonstances précises dans lesquelles leur proche avait trouvé la mort deux ans auparavant et que je ne savais plus quoi leur expliquer. J'ai reçu un courrier du procureur qui m'a promis de relancer la brigade de gendarmerie pour qu'elles puissent accélérer leurs investigations.

Mais le problème principal est la lenteur des procédures. Je ne jette la pierre ni aux policiers ni à la justice. Ils croulent sous des monceaux de dossiers. Il y a certes des procédures pour accélérer le traitement des dossiers comme la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Mais si les prévenus sont jugés plus rapidement, les victimes, elles, ne trouvent pas leur place. En effet, c'est une procédure où le prévenu et son avocat vont discuter directement avec le procureur (ou un substitut) pour trouver un accord sur une peine. Dans un deuxième temps, la peine est homologuée (ou pas) par un juge du siège. La victime n'a donc pas son mot à dire avant l'audience d'homologation. Et le procureur ne connaît pas forcément l'ampleur du préjudice pour la victime et ne peut donc pas ajuster sa proposition de peine. La victime découvre la peine le jour de l'audience et ne va pas la comprendre. D'autant qu'on n’a pas en France cette culture américaine de la peine dure et punitive comme il peut y avoir dans le système anglo-saxon. Ça aussi, les victimes ne le comprennent pas toujours.

Gérald Pandelon : Il serait, à mon sens, inexact de dire qu'en la matière l'Etat n'en fait pas suffisamment car le problème est ailleurs, dans les lenteurs judiciaires et dans l'attitude de la personne condamnée. Le soutien psychologique proposé par une association d'aide aux victimes peut prendre diverses formes: un accueil psychologique auprès des victimes directes et indirectes, des debriefings collectifs et des groupes de parole. Le psychologue met aussi en place des partenariats et participe activement à la vie instituionnelle de l'association. Ce professionnel pourra également animer des formations, effectuer des communications et représenter l'associationauprès de partenaires extérieurs. Dans une volonté de professionnalisation du réseau, l'INAVEM aide et forme les psychologues. 

Les missions des psychologues pourront être les suivantes :

  • Soutien psychologique des victimes d'infractions pénales et d'accidents collectifs, limité dans le temps (au maximum jusqu'au procès ou durée équivalente). Il s'agit non seulement des victimes directes mais aussi des victimes indirectes ou collatérales (par exemple les parents d'enfants assassinés). Ce soutien psychologique reste seulement centré sur les conséquences directes de l'infraction ou de l'accident ;
  • Explicitation et accompagnement des victimes aux différentes étapes de la procédure pénale et notamment au procès d'assises.
  • Accueil et orientation des proches des victimes (parents, conjoints, frères et soeurs..) ;
  • Rédaction d'attestations à la demande des victimes ;
  • Orientations thérapeutiques. 

Ces missions seront souvent complétées par :

  • des debriefings psychodynamiques collectifs pour des groupes constitués de victimes (salariés d'une entreprise, urgentistes..) ;
  • des groupes de parole. 

Quelles sont les pistes d’amélioration pour le suivi des victimes ?

Mathieu Bourdet : Il faudrait raccourcir les délais de traitement des procédures et donc donner plus de moyens à la justice. Une avocate de mon cabinet était hier devant le tribunal correctionnel pour une affaire qui date de 2014 et dont l'enquête s'est terminée en 2016... Si la victime a eu la chance de tourner la page, cela n'a plus de sens de se retrouver devant un juge pour expliquer ce qui s'est passé cinq ans auparavant. Le système judiciaire n'est pas mal fait pour les victimes mais pêche par sa lenteur. 
Gérald Pandelon : Il faudrait que les victimes puissent bénéficier d'un appel général dans l'hypothèse d'une relaxe prononcée au bénéfice d'un prévenu ; or, lorsqu'une personne mise en cause devant les juridictions pénales est renvoyée des fins de la poursuite, le plaignant n'est pas recevable à interjeter, sur l'action publique c'est dire la condamnation infligée, appel, ce qui est fort injuste et bénéficie parfois à des personnes qui, en cause d'appel, auraient pu être lourdement sanctionnées. 

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