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Lutte contre les séparatismes : qui fait mieux que la France (et comment) ?
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Moyens d'action

Emmanuel Macron présente, ce vendredi 2 octobre, aux Mureaux, son plan d’action contre les "séparatismes". Quels sont les cas de figures de lutte contre les séparatismes à travers le monde ? Y-a-t-il des pays qui font mieux que la France dans ce domaine ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico.fr : Aujourd’hui, vendredi 2 octobre, le président de la République va prononcer son discours contre le séparatisme. Ce concept a une longue histoire politique qui tient ses racines en Angleterre et a encore toute son actualité aujourd’hui même au-delà de la France. Quels sont les cas de figures de lutte contre les séparatismes à travers le monde ? 

Guylain Chevrier : Le modèle anglo-saxon du multiculturalisme, domine largement l’Europe et de façon générale les pays développés. Cela n’est pas si surprenant dans la mesure où, dans beaucoup de pays où il existe peu ou prou un culte d’Etat ou une place privilégiée donnée à leurs religions historiques, le christianisme en première place, avec leurs propres réseaux d’hôpitaux, de centres sociaux, de clubs sportifs, syndicats, les autres groupes issus d’immigration récentes n’ont pas d’autre choix que de s’autoorganiser. Au début des années 2000, le gouvernement Néerlandais qualifiait lui-même de préoccupante la situation en matière d’intégration à l’issue de plusieurs évaluations. Rappelons-nous des déclarations de Madame Merkel ou de Monsieur Cameron lorsqu’il était Premier ministre en Grande-Bretagne, expliquant chacun que le multiculturalisme était un échec. On en voit les fractures profondes au pays de l’oncle Sam. Le chacun sa communauté d’abord, n’est pas très favorable, avec ce que représente la logique communautaire de contrôle sur les individus, à se sentir épris d’intérêt général, alors que le clientélisme politique renforce encore ce jeu de cases. Il y a d’ailleurs l’idée de changer la donne côté anglais face à la difficulté de plus en plus grande sous ce système de faire une société unie. La cohésion sociale est mise à rude épreuve par la montée des affirmations identitaires partout, mais on se défend mieux lorsque l’on veut voir les problèmes, et la France avec sa laïcité ne peut pas ne pas les voir, puisqu’elle ne reconnait aucune minorité. Elle pose au moins le jeu sur la table.

Si on voulait prendre quelques exemples, il y a le cas du printemps arabe et des enjeux de la place du religieux dans des sociétés maghrébines où la religion se confond encore avec l’Etat. Le mouvement Hirak par exemple est porteur du slogan ni dictature militaire ni islamisme, parce que c’est la citoyenneté par laquelle la voie de la liberté peut venir et donc, du politique détaché de l’influence religieuse. Le Liban au lendemain de ses meurtrissures, suite au drame qu’il vient de connaitre, avec une crise économique et sociale majeure, est en mal de réponse de l’Etat, ce qui n’est pas étranger à son caractère confessionnel, alors que l’on cherche des solutions au-delà. Il n’y en a pas dans l’addition des différents intérêts particuliers des cultes et des factions politiques qui s’y rattachent. On voit donc que cet enjeu d’un Etat laïque et donc, non-inscrit dans le multiculturalisme, traverse la notion même de projet politique, et engage l’avenir de ces sociétés. L’Afrique bouge, du Soudan à l’Ethiopie au regard des libertés, mais ce sont des prémisses avec beaucoup de risques et d’incertitudes. Un continent où on trouve fréquemment dans des constitutions une référence à la laïcité sinon à la liberté de conscience, mais où on se confronte à bien des conflits ethniques, avec des religions très influentes sur les sphères de l’Etat. Sans compter encore trop souvent une corruption qui n’aide pas à installer une confiance dans les institutions, nécessaire pour aller vers un contrat social solide, capable de convaincre, préalable à l’adhésion d’une laïcisation de l’action publique.

S’il y a un exemple éloquent c’est ce qui se passe en ce moment au Québec, terre du multiculturalisme, qui s’est doté de la Loi sur la laïcité de l’Etat ou loi 21, qui dispose que « L’État du Québec est laïque », adoptée le 16 juin 2019. Elle est la première loi à reconnaître le caractère laïque de l'Etat et à interdire le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité coercitive, ainsi qu'aux enseignants du réseau scolaire public. Il faut bien voir qu’il s’agit là d’une rupture avec un multiculturalisme canadien caractérisé par une hostilité aux principes républicains. Cette loi est d’ailleurs contestée devant les tribunaux canadiens par des forces hostiles, avec une partie qui est loin d'être gagnée. Mais quel bel exemple !

Y-a-t-il des pays qui font mieux que la France ? 

Sans chauvinisme, non, et pour cause, nous avons été le plus loin dans la séparation des Eglises et de l’Etat mais aussi de la sphère civile et de la religion. La laïcité est un principe politique d’organisation de l’Etat, elle irrigue l’ensemble de l’édifice normatif à différents égards mais aussi, les pratiques sociales et culturelles. Le principe d’égalité de traitement de tous devant la loi n’est rendu possible qu’en raison du caractère laïque de l’Etat, indépendant des cultes et donc, ne voyant ainsi que des citoyens à égalité de droits. Malgré bien des campagnes de dénigrement de la laïcité, accusée d’être le barrage d’un droit à la différence tout en fabriquant ainsi des discriminations, à nous considérer d’abord comme des égaux nous nous mélangeons plus qu’ailleurs, ce qui est sans doute l’une des meilleures parades contre le racisme et le risque de séparatisme. Il faut protéger cette égalité et cette laïcité de l’Etat qui en est indissociable, tout particulièrement dans les services publics, contre un risque de dérive que l‘on connait, de non-respect en certains endroits de l’obligation de neutralité religieuse des agents. Ce qui est évoqué dans l’un des axes de la future loi dite contre « le séparatisme ». La laïcité est une valeur largement partagé en France, elle trône dans toutes les enquêtes d’opinion autour de 70 à 80% de soutiens, et reste même majoritaire, malgré les confusions qui dominent, chez les 18-35 ans. Rappelons ici les quinze années de flottement de la laïcité à l’école, entre le premier voile dans un collège à Creil en juin 1989 et la loi du 15 mars 2004 y réaffirmant la neutralité religieuse des élèves. Ne serait-ce qu’à travers ce dernier exemple, on peut voir combien la laïcité reste un combat politique majeure. La montée de la radicalisation religieuse n’est pas moins un enjeu capital, qui est le point culminant du télescopage entre le sentiment religieux et la société, qu’il faut désamorcer avant. Processus dans lequel le séparatisme et l’enfermement communautaire constituent des étapes que l’on connait bien, les endoctrineurs pouvant agir librement derrière les murs du communautarisme. Mais attentions au danger qui consiste en l’illusion que ce serait d’abord dans l’accompagnement de nos concitoyens de confession musulmane, par le biais de leur culte et de son organisation, que les choses pourraient se jouer. Erreur réitérante, alors qu’il s’agit de le faire par le biais de la citoyenneté, de la responsabilisation, et de la participation à l’ensemble des domaines de la vie de notre société, par l’intégration dans toutes ses composantes.

Les situations sont-elles réellement comparables ?

Difficile de comparer un pays comme le Pakistan où on peut mourir pour avoir blasphémé, l’Iran qui est une théocratie ou encore l’Arabie saoudite qui est une monarchie confondant son pouvoir avec la religion, avec des sociétés qui sont réellement dans un processus de longue date de sécularisation, et donc d’une prise de distance avec le sacré, les Eglises laissant bon gré mal gré au profane, l’exercice de libertés civiles, politiques, voire économique et sociale, et donc en concédant aux rapports entre l’Etat et les individus. Les sociétés développées sont confrontées à la nécessité de leur propre évolution en la matière, car le multiculturalisme pourrait devenir un facteur de frein au développement, alors qu’il est déjà facteur de divisions voire d’affrontements, même s’il peut apparaitre aux yeux de quelques-uns comme le moyen de diviser pour mieux régner. Là aussi, il y a des limites.

On sait que le statut des femmes, leur infériorité par exemple dans certaines cultures les condamnent à l’analphabétisme, alors que l’éducation est un puissant facteur de développement. Une forte fécondité liée aux croyances religieuses, qui interdisent la contraception, peur appauvrir la population, la croissance démographique étant supérieure à la croissance économique. On voit comment la laïcité recouvre des enjeux bien concrets. Cela étant, rien n’est immuable. Il y a dans le monde un mouvement qui tend malgré tout vers une certaine laïcisation des rapports sociaux qui passe par un rôle d’apaisement porté par l’Etat, se dégageant de l’influence de telle ou telle culte ou pensée religieuse, pour être dans une position d’impartialité permettant de régler des conflits communautaires, ethniques, jusqu’alors indépassables par une autre voie. La démocratie, c’est d’abord que l’Etat représente non des groupes ethniques, religieux, mais l’intérêt général, par son élévation au-dessus des différences, et qu’ainsi, les représentants du peuple puissent le représenter véritablement. Rien de mieux qu’un Etat laïque pour cela. La laïcité reste dans l’ordre de la liberté, de l’émancipation de l’individu au regard de bien des archaïsmes, l’avenir du monde, mais le chemin n’est pas tout tracé et le séparatisme, comme on appelle aujourd’hui ce risque de fragmentation sociales sur fond de divisions communautaires, n’est pas moins en embuscade.

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