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Lutte contre le terrorisme : la bataille de l’intelligence, le nerf de la guerre
©Reuters

Bonnes feuilles

François Thuillier publie "La révolution antiterroriste" (ed. du Temps Présent). Le terrorisme est un grand sujet de préoccupation des Français et l'un des plus traités dans les médias. Pourtant, la politique antiterroriste est mal connue et peu débattue. Or elle a radicalement changé depuis une quinzaine d'années. Et pas toujours pour le meilleur... Extrait 2/2.

François Thuillier

François Thuillier

François Thuillier a exercé de nombreuses responsabilités dans le monde du renseignement et de la lutte antiterroriste durant une trentaine d'années. Il est chercheur associé auprès du Centre d'études sur les conflits. 

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C’est la mère de toutes les batailles, celle qui d’évidence n’a pas encore été pleinement engagée. On l’a vu, l’État n’a pas réellement d’intérêt à comprendre. Dans ce cadre, la première priorité consistera à persuader qu’expliquer ce n’est en rien accepter, mais que comprendre justement c’est lutter. Et, là encore, que refuser de s’octroyer les moyens nécessaires pour saisir la manière dont on aboutit à un passage à l’acte terroriste, c’est faire preuve vis-à-vis de ce dernier d’une forme de complicité. Que refuser de doter les services spécialisés des armes intellectuelles qui leur permettraient de démanteler les logiques plutôt que les réseaux quand il est déjà trop tard, c’est faire le jeu des criminels. C’est la logique qu’avait d’ailleurs suivi le tribunal administratif de Nîmes en juillet 2016 en condamnant l’État pour faute dans l’évaluation de la dangerosité d’un Mohamed Merah (jugement cassé en appel). 

Quoi qu’il en soit, nous proposons la création d’un établissement public indépendant et pluridisciplinaire capable de peser sur notre doctrine antiterroriste et pour cela d’évaluer la menace sur la base des informations que lui fourniront les services spécialisés. Indépendant, il devra l’être vis-à-vis de ces derniers et de l’État afin de pouvoir produire une parole libre et indemne des pesanteurs et intérêts bureaucratiques. En effet, un débat devra en outre être mené sur les capacités d’analyse des services de renseignement. 

En effet, est-ce bien aux structures qui déploient capteurs humains et techniques pour recueillir des données sensibles à les analyser ensuite et juger de leur pertinence ? Un tel autocontrôle ne produit-il pas des informations édulcorées ou pire des routines dangereuses ? Un service ne préférera-t-il pas privilégier une menace qu’il connaît bien, qui le valorise aux yeux de ses concurrents, qui lui permet d’exister aux yeux de ses alliés, plutôt que de se lancer dans l’inconnu d’une nouvelle menace non encore reconnue, qui nécessiterait des changements de structures ou pire des retournements d’alliances ? 

Cette nouvelle structure regrouperait des chercheurs de disciplines différentes (pour favoriser les échanges, multiplier les angles d’analyse et éviter les baronnies) qui ne seraient pas liés au pouvoir en place. La forme d’un groupement d’intérêt public permettrait également aux professeurs d’université de continuer à enseigner et à faire de la recherche, et donc de ne pas s’aliéner financièrement. Un processus d’habilitations individuelles devrait aisément permettre de franchir l’obstacle de l’accès de ces chercheurs à des informations classifiées tout de même bien moins sensibles qu’en matière de contre-espionnage. 

La première tâche de cet organisme pourrait consister à évaluer l’ensemble de notre politique antiterroriste depuis une quinzaine d’années. Il s’agirait de mesurer les effets concrets provoqués par notre passage sous état d’urgence permanent (et ses mesures les plus emblématiques, telles les punitions collectives que constituent les fermetures de salles de prières), notre conversion à la lutte contre la radicalisation, nos interventions militaires et nos alliances diplomatiques, la parole publique et la couverture médiatique, le regroupement des services spécialisés et la formation des enquêteurs, etc., et de les placer en transparence avec les trajectoires individuelles des individus étant passés à l’acte contre nos intérêts. Ces processus d’évaluation pourraient être utilement menés avec le concours des corps d’inspection de l’administration et des instituts capables de sonder l’état de l’opinion. 

Des études de cas plus poussées pourraient en outre s’attacher à connaître des phénomènes de désistance (processus de sortie d’un parcours de délinquance) dans la violence politique tels qu’ont pu les renseigner d’autres pays et d’autres époques. De même, étudier la possibilité, selon des modèles pour l’instant purement théoriques et exploratoires, voire limités à des populations ou des territoires restreints, d’une décroissance ou d’une désinflation sécuritaire permettrait peut-être de tester d’autres types de régulation et d’absorption de la menace terroriste. 

Il est enfin temps de faire preuve d’intelligence avec l’ennemi... Et finalement de ne plus seulement le considérer comme tel. Ce combat nous emmène au-delà des anathèmes et de la morale. Il nous faut, par tout moyen disponible, acquérir nous aussi l’intelligence du mal. Or, la recherche institutionnelle se trouve en jachère depuis 2007. Les structures historiques de réflexion au sein des ministères régaliens ont été vidées de leur substance au profit d’une approche qui n’a de globale que sa superficialité et de stratégique que son idéologie. Connaître c’est lutter. Et ce n’est qu’au prix d’une lente déconstruction du passage à l’acte terroriste que nous pourrons retrouver une efficacité opérationnelle.

Extrait du livre de François Thuillier, "La révolution antiterroriste", publié aux éditions du Temps Présent

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