Lutte contre l’inflation : la BCE frappe un grand coup pour rien… en le sachant <!-- --> | Atlantico.fr
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La BCE a relevé de 75 points de base ses trois taux directeurs pour faire face à l'inflation.
La BCE a relevé de 75 points de base ses trois taux directeurs pour faire face à l'inflation.
©Fabrice COFFRINI / AFP

Stratégie efficace ?

La Banque centrale européenne a relevé ses principaux taux directeurs de 0,75 point, tout en revoyant à la baisse ses prévisions de croissance pour l’année prochaine. Le remède va-t-il se révéler pire que le mal ?

François Geerolf

François Geerolf

François Geerolf est économiste, professeur à l'Université de Californie (UCLA).

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Atlantico : La BCE a relevé de 75 points de base ses trois taux directeurs. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

François Geerolf : Cette hausse des taux pose question dans la mesure où la zone euro n’est pas dans une situation particulièrement bonne. Alors que la décision de relever les taux était connue de longue date et relativement peu critiquée jusqu’ici, je me réjouis de voir que les critiques se font aujourd’hui plus nombreuses suite à cette décision. 

Dans son communiqué, la BCE dit deux choses contradictoires : elle dit explicitement que la hausse des taux est une façon de « freiner la demande », mais tout en reconnaissant que la zone euro ralentit, avec un pouvoir d’achat miné par la hausse des prix de l’énergie. Ceci montre bien que pour la BCE également, le problème en zone Euro n’est pas celui d’une demande agrégée trop forte. A mon avis, cette décision a été prise en partie par mimétisme vis-à-vis de la Fed, qui a choisi récemment de rehausser ses taux entre 2.25% et 2.5%. Mais les Etats-Unis ne sont pas pour moi un bon point de comparaison : il y a eu aux Etats-Unis un plan de relance très important, avec en particulier des augmentations de salaires plus importantes qu’en Europe et de l’inflation dans les services et l’immobilier, ce qui ne donne pas le même cadre au moment de la hausse des taux décidée par la Fed. En Europe, la situation est particulièrement inquiétante. Les prix de l’énergie resteront à de hauts niveaux pendant un long moment. La récession nous attend l’an prochain. Dans l’ensemble, l’augmentation des taux directeurs se prête donc moins bien au contexte au sein de la zone euro qu’aux États-Unis. Dans le choix de la BCE, il y a aussi certainement la volonté de réapprécier le taux de change de l’euro et de diminuer l’inflation importée. Mais l’effet sur le taux de change n’est pas certain, notamment si la Zone Euro tombe en récession, et l’activité économique va pâtir de cette hausse. 

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La BCE succombe-t-elle à la pression des faucons allemands ?

Oui, mais il est difficile de le lui reprocher dans le cadre actuel des traités : le conseil des gouverneurs ne fait que respecter le mandat de la BCE, selon lequel la lutte contre l’inflation est l’objectif numéro un. La division nord/sud est toujours aussi prégnante. Dans les années 1960 et 70, les Allemands luttaient déjà contre l’inflation en permettant une réévaluation du mark par rapport aux autres monnaies dès que les moindres pressions inflationnistes se faisaient sentir. Pour moi, la peur de l’inflation en Allemagne a quelque chose de très particulier et s’inscrit dans une forme de culture collective qu’il est difficile de changer. Par ailleurs, la doctrine sur laquelle se base les banquiers centraux, et qui inspire beaucoup de leurs décisions, est une doctrine dite ‘néokeynésienne’, finalement très éloignée de la pensée de Keynes, et qui se rapproche beaucoup de la théorie monétariste. Celle-ci consiste à insister sur l’existence d’une boucle prix-salaires qu’on ne voit pas pour l’instant dans la zone euro, sur le désancrage des anticipations d’inflation qui aboutirait à une auto-alimentation de l’inflation, ce qu’on ne voit pas beaucoup plus. Aujourd’hui, on est bien forcés d’admettre que les banquiers centraux naviguent à vue, contrairement aux apparences, même s’il semble exister un consensus au sein des banquiers centraux. Grosso modo, ils sont convaincus que l’inflation est le fruit de leurs décisions passées, et notamment de la forte création monétaire qui a accompagné la réponse à la crise depuis 2008, mais aussi pendant le Covid-19, et veulent donc s’amender et ont l’impression d’être « en retard » par rapport à la hausse de l’inflation. 

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Christine Lagarde affirme que l’inflation est liée à la hausse des prix de l’énergie et qu’elle ne peut rien faire face à cette hausse des prix.  Pourtant, la BCE agit sur ses taux afin de faire face à l’inflation. Que doit-on en conclure ?

Je  considère qu’ils pensent qu’ils seront critiqués quelle que soit leur décision, et donc ils ont préféré faire quelque chose plutôt que de ne rien faire. Il faut voir encore une fois que sur le papier, la BCE ne fait ici que respecter son mandat, qui est de chercher à viser un objectif précis d’inflation. Mais de mon point de vue, cela n’a aucun sens dans le contexte actuel. Depuis la crise financière de 2008, nous savons pertinemment que l’ordolibéralisme et les critères monétaristes ont échoué, mais les institutions européennes ne l’ont toujours pas compris. Même s’il faut relativiser : pour la France, l’impact de la politique monétaire reste assez faible. 

À quel point se dirige-t-on vers une situation similaire aux années qui ont suivi la crise financière de 2008?

Sur les marchés financiers, les risques ne sont pas du même ordre. Il faudra voir comment les marchés vont réagir dans les jours qui viennent. Mais l’effet de la hausse des taux va au moins se voir sur les finances publiques : à cause des règles européennes, lorsque les taux augmentent, la charge de la dette augmente et restreint la possibilité de faire des déficits primaires. La BCE va faire attention à ce que les écarts (“spreads”) entre taux d’emprunt souverain ne divergent pas trop. Ce qui m’inquiète davantage, ce sont les tensions sur la dette publique et les interactions avec la politique budgétaire, même si la suspension des règles budgétaires l’année prochaine permet de relativiser ce risque à moyen terme.

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