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LREM, UDI, LR ou abstention ? Petit guide pour ceux qui voudraient (vraiment) voter libéral aux Européennes…
©BERTRAND GUAY / AFP

Elections européennes

Parmi les 34 listes qui sont présentées aux élections européennes, seulement trois se revendiquent ouvertement d'une ligne libérale. Le sont-elles vraiment ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : Parmi les 34 listes qui sont présentées aux élections européennes, seulement 3 se revendiquent ouvertement d'une ligne libérale : la liste Renaissance / LaREM menée par Nathalie Loiseau, la liste UDI de Jean-Christophe Lagarde et la liste LR de François-Xavier Bellamy. Ces trois listes ont-elles, selon vous, les arguments nécessaires pour convaincre un électeur attaché aux idées libérales ?

Eric Deschavanne : Je vois trois critères pour juger du "libéralisme" des projets : la question des traités de libre-échange, la question de l'immigration et celle des travailleurs détachés, questions auxquelles il faut ajouter celle des réformes en faveur d'une Europe puissance plus intégrée (à laquelle on pourrait opposer la conception libérale d'une Europe réduite à la dimension d'un espace de droit et de libre-échange, dont on peut on peut souhaiter l'élargissement). Je ne suis pas certain, du reste, qu'on puisse trouver une masse de libéraux alignés sur l'ensemble de ces critères. Par ailleurs, sur la question de l'immigration, les listes les plus libérales, voire ultralibérales, sont les listes de gauche.

Entre les trois listes que vous présentez comme libérales, je ne vois pas de divergences majeures. Elles sont toutes favorables aux traités de libre-échange (nonobstant le veto LREM à des négociations avec les Etats-Unis, en raison de leur sortie des accords de Paris). Sur la question de l'immigration, la plus protectionniste, donc la moins libérale, est la liste LR, qui est par ailleurs contre tout nouvel élargissement de l'UE. LR développe en outre des positions conservatrices, à l'encontre du "libéralisme cuturel", à propos des questions sociétales et du multiculturalisme. L'UDI est le parti le plus modéré dans la volonté de réformer l'Europe dans un sens moins libéral. Ses élus siègeront dans le groupe ALDE, le groupe de centre-droit, tandis que LREM entend faire alliance avec les socio-démocrates, et LR avec les droites illibérales.

LREM

Frédéric Mas : Il y a un malentendu, entretenu par certains commentateurs autant hostiles à la formation du président de la république qu’au libéralisme qui veut que la liste Renaissance incarne de manière presque paradigmatique le « libéralisme » dans le débat public français. Le libéralisme est un courant d’idées qui fait de l’individu et de sa liberté les deux pierres angulaires de l’ordre social, ce qui se traduit politiquement par la responsabilité des gouvernants devant les gouvernés, et l’obligation de la puissance publique de protéger les citoyens et leur propriété. Nathalie Loiseau qui a été désignée comme tête de liste est un haut fonctionnaire, un de ces « technocrates » assez représentatifs du mode de gouvernance de l’État social français, qu’on retrouve à Droite comme à Gauche. Elle a pu exprimer des convictions « progressistes » sur la GPA ou le voile islamique, mais ses convictions oscillent entre le centre droit et le centre gauche, ce qui en France signifie la molle acceptation de l’économie mixte et des institutions autoritaires de la cinquième république.

On retrouve dans le programme de la liste Renaissance le même catalogue de mesures illibérales qu’ailleurs, en particulier la taxe carbone européenne. Plus encore, on a l’impression que la liste Loiseau cherche à exporter au niveau européen des solutions qui ne marchent déjà pas à l’échelle nationale, en particulier le dogmatisme climatique et le smic européen. Le dogmatisme climatique veut empêcher tout accord international avec les Etats qui n’ont pas ratifié les Accords de Paris sur le climat. En conséquence, Nathalie Loiseau ne souhaite pas d’accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, ce qui est une catastrophe économique. Instaurer un smic européen aura le même effet d’éviction et constituera une trappe à pauvreté à échelle continentale, le tout payé par le citoyen européen. On est très loin de la défense de la liberté d’entreprendre. Plus généralement, la consolidation d’une union politique européenne doublée d’un interventionnisme économique revendiqué et d’une revalorisation de la PAC place plutôt le programme de Renaissance du côté de la social-démocratie, pas du libéralisme.

Michel Ruimy : L’enjeu des élections européennes est de savoir si les populations voteront soit pour les « pro-européens » c’est-à-dire si elles sont attachées à une Europe libérale et démocratique et défendent l’idée de davantage d’intégration, soit pour les « souverainistes euro-compatibles », qui veulent réformer l’Union et qui luttent contre toute forme de fédéralisme (repli nationaliste), soit pour les « anti-Union européenne », qui considèrent que la France doit soit imposer de nouvelles négociations sur les traités actuels, soit quitter l’Union voire (dislocation progressive de la construction européenne). Pour les libéraux, le choix est évident puisque le nationalisme est incompatible avec le libéralisme.

Par ailleurs, en conséquence du « big bang » électoral qu’a généré la dernière élection présidentielle, une proportion non négligeable de Français semble aujourd’hui en proie au doute quant à leur identité politique et aux repères politiques classiques. Environ 20% des Français ne savent pas comment la Droite et la Gauche devraient se définir du point de vue des idées. Parallèlement, l’identité de La République en Marche paraît encore plus éclatée, laissant ainsi deviner le caractère « attrape-tout » du mouvement qui a permis à Emmanuel Macron d’être élu il y a deux ans.

Outre les exemples nombreux donnés par Fréderic, l’illustration en est donnée, au plan national, avec les réponses données aux mouvements des « Gilets jaunes ». L’initiative de donner du pouvoir d’achat aux Français marque surtout, au bout de 18 mois, la fin de l’ère libérale de M. Macron. Histoire de s’assurer la paix sociale et faire mentir ceux qui l’accusent de n’être qu’un banquier, il est entré dans une « ère » keynésienne (interventionnisme de l’Etat dans l’économie), comme ses prédécesseurs, en laissant dériver les finances publiques au risque de ne pas respecter ses engagements de campagne.

Alors que le Président avait au début de son mandat dessiné dans des discours importants une vision prospective et inspirée pour l’Europe, le projet de sa candidate est banalement social-démocrate, mâtiné d’un peu d’écologie. Impôts, dépenses publiques et normes sociales, le cocktail est un peu chargé…

Selon le dernier sondage du 22 mai, la liste LRME-MoDem est donnée à 22,5% derrière la liste Rassemblement national (24%).

UDI

Frédéric Mas : Il est assez difficile de distinguer clairement la différence entre ce que propose la formation de monsieur Lagarde et celle de madame Loiseau. Il s’agirait d’une différence sur le degré de fédéralisation de l’Union Européenne, qui est l’un des chevaux de bataille du centrisme français depuis des décennies. Dans un meeting récent, monsieur Lagarde a fustigé « l’ultralibéralisme » qui détruirait les emplois français et l’Europe d’aujourd’hui, obnubilée par la « concurrence libre et non faussée ». Se plaçant dans l’héritage de Jacques Delors, il se moque de ses adversaires qui taxent à tout va ou veulent, comme Nathalie Loiseau, instaurer un smic européen, mais il milite pour la taxation des GAFA, qui promet, comme l’a très bien vu Laurent Alexandre, de nous transformer en nains numériques (tout en détruisant des emplois européens).

Plus encore, en réformant le mode de financement de l’UE en passant directement par la fiscalité plutôt que sur les contributions des Etats, l’UDI propose d’apporter une pierre de plus à l’édification d’un Super-État et au mépris du consentement des gouvernés. J’ai du mal à ne pas voir ici une stratégie supplémentaire pour édifier une grande bureaucratie continentale sans consentement populaire, puisque les peuples européens votent mal, si on s’en tient à ce qu’en disent leurs élites. Là encore, s’il y a des traces de libéralisme dans le programme de l’UDI, l’ensemble reste du côté de l’Europe de Jacques Delors, c’est-à-dire de la social-démocratie.

Michel Ruimy : En effet, la présence de cette liste (Les Européens) aux élections européennes résulte de volonté de se différencier de la liste Renaissance du Président. Notamment, ce parti souhaite que ses sympathisants votent pour la reconstruction d’une nouvelle Union européenne. Pour cela, il fait campagne sur une proposition atypique : remplacer les contributions nationales au budget de l’UE par trois taxes extérieures : une sur les transactions financières, une sur les touristes extra-européens et une taxe carbone.

Pour autant, l’Union des démocrates et indépendants refuse que ses bulletins de vote soit utilisé ou interprété comme un soutien au chef de l’État. Un clin d’œil voire un paradoxe. L’UDI est membre du parti européen de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (ADLE)... tout comme les probables futurs élus du parti présidentiel La République en marche (LREM), qui ont récemment reçu le soutien de l'ADLE et de Guy Verhofstadt, chef de file de ses eurodéputés.

Selon le dernier sondage du 22 mai, cette obtiendrait 1,5% (stable) des intentions de votes.

LR

Frédéric Mas : On retrouve dans le discours de François-Xavier Bellamy le ton catastrophiste qui associe la mondialisation au déclin économique et à la panique morale écologique qui s’est répandue ces dernières années. Il semblerait que le chef de file des Républicains cherche un équilibre entre conservatisme et libéralisme pour faire pièce à la fois au Rassemblement national et à la liste Renaissance. Pourtant, comme Monsieur Lagarde, le leader de droite fustige le « grand méchant marché », l’horrible libre-échange qui détruit les frontières et dissout les peuples. Ses déclarations récentes sur le localisme et l’agriculture de proximité témoignent d’une méconnaissance inquiétante du rôle du marché dans la production des biens et des services tout comme dans l’amélioration du niveau de vie des citoyens les plus modestes. Ce ne serait pas très important s’il n’était pas le leader de la troisième formation politique du pays. Cette espèce de nostalgie romantique pour le monde d’avant la seconde révolution agricole du 18e siècle, qu’on retrouve dans les courants réactionnaires contemporains méconnaît purement et simplement le rôle de l’innovation capitalisme dans l’amélioration globale de la condition humaine, ce qu’a très bien montré Angus Deaton dans The Great Escape. On peut se rassurer un peu en estimant que la formation de monsieur Bellamy rejoindra le PPE, dont la plateforme programmatique est tout de même nettement plus libérale.

Michel Ruimy : Galvanisés par leur nouvelle star François - Xavier Bellamy, Les Républicains ont repris du poil de la bête. Mais cette euphorie passagère masque les tiraillements idéologiques et les guerres de chefs qui agitent toujours la Droite. Le parti est en train de devenir l’UDF d’autrefois : il y a de plus en plus de clubs et de chapelles, et de moins en moins de militants.

Le programme de la liste est sur une ligne libérale-conservatrice. Relégué en troisième position dans les sondages, loin derrière le Rassemblement national et la majorité présidentielle, Le LR revient aux fondamentaux : le contrôle de l’immigration (fin de l’élargissement européen et la défense des frontières), la maîtrise de la dépense publique, la défense de la « civilisation » européenne (défense des « racines chrétiennes contre les islamistes » (L. Wauquiez)).

Malgré deux années compliquées depuis 2017, le parti se remet en « état de marche ». Toutefois, sa campagne reste relativement inaudible à côté du duel progressistes - nationalistes installé par LREM. Actuellement, le parti de droite est celui qui y compte le plus de députés européens en poste. Après un début de campagne jugé prometteur par de nombreux observateurs, la liste les Républicains emporterait 14% des intentions de vote. Le parti de Laurent Wauquiez pourrait perdre ainsi des sièges dans l’hémicycle européen.

La dernière possibilité reste l’abstention, que certains libéraux considèrent comme la seule véritable solution. Cela vous semble-t-il viable ?

Frédéric Mas : Du point de vue libéral, il n’y a pas de solution idéale, parce qu’il n’y a pas de liste libérale. Toutes comportent des mesures interventionnistes, comptent sur la fiscalité pour financer la redistribution d’argent public et finalement exporter le modèle politique français à échelle continentale, comme si notre modèle colbertiste à bout de souffle pouvait offrir une alternative à l’Europe d’aujourd’hui. On peut donc comprendre l’abstention surtout quand ce sont de vieilles solutions sociales-démocrates qu’on nous vend comme « libérales » : face à la montée du populisme et à ses solutions démagogiques, la seule alternative qu’on nous propose est de faire comme avant, c’est-à-dire de ne rien faire de notable. Un certain discours cherche à culpabiliser les abstentionnistes : oui, mais si vous ne votez pas, vous laissez les mains libres aux antilibéraux. Seulement les libéraux doivent-ils voter contre leurs convictions et endosser la responsabilité morale d’avoir voté pour des gens qui, de toute manière, n’appliqueront en aucun cas leur éthique de la liberté ?

Michel Ruimy : L’abstention est toujours très élevée lors des élections européennes. Elle pourrait atteindre plus de 55% (après 57,6% en 2014 lors du quinquennat Hollande et 59,4% en 2009 à l’époque Sarkozy). Une raison serait que les Français, étant habitués au scrutin majoritaire, se posent toujours la question de savoir qui a gagné. Dans une élection à la représentation proportionnelle, il n’y a pas de vainqueur, mais seulement des listes obtenant plus ou moins de sièges. Les 79 députés français seront noyés parmi les 705 sièges du Parlement européen.

Transformer cette élection en un challenge purement national manque donc de pertinence. Quant à en faire un référendum pour ou contre Macron, cela n’a rigoureusement aucun sens. Il importe peu que la liste LREM arrive en première ou seconde position. Le nombre de députés obtenu n’en sera probablement pas affecté. Dans ces conditions, utiliser le scrutin européen comme vote de protestation anti-Macron relève de l’enfantillage. Cependant, les élections européennes françaises auront pour résultat européen final d’accentuer le poids des anti-libéraux, qu’ils se revendiquent « progressistes » ou « nationalistes ».

Devant le nombre important de listes, l’abstention ne peut être qu’un refuge confortable face à une réalité qui, elle, ne l’est jamais. Une abstention protestataire serait puérile alors que les enjeux européens sont considérables. Par exemple, faut-il nous unir face aux puissances mondiales que sont les États-Unis et la Chine ou devons-nous rester de petits pays dépendants et impuissants, n’ayant aucune capacité d’action géostratégique ?

Eric Deschavanne : L'absention peut être justifiée, indépendamment de la question du libéralisme. Quels que soient les convictions et les projets, leur caractère libéral ou illibéral, le fait est que, jusqu'à preuve du contraire, le parlement européen ne pèse pas sur le cours  de la construction européenne. C'est du reste un problème : il n'existe pas d'élections qui permettent aux peuples européens d'infléchir la politique européenne. D'où l'importance un peu fantasmatique que l'on donne au référendum de 2005. Les élections les plus décisives restent les élections nationales mais leur effet est forcément limité en raison du fonctionnement technocratique de la politique européenne.

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