LR : ces pièges pour la droite qui se cachent derrière l’abstention<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme marche le long d'un mur sur lequel le mot "abstention" a été tagué, le mardi 16 mars 2010 à Caen.
Un homme marche le long d'un mur sur lequel le mot "abstention" a été tagué, le mardi 16 mars 2010 à Caen.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Elections régionales et départementales

L’analyse des motivations de l’abstention record du 1er tour des régionales et des départementales montre que 45% des abstentionnistes ne souhaitent la victoire d’aucune liste, limitant singulièrement les réserves de voix d’une droite qui a plutôt fait le plein dès le 1er tour.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L’Ifop, en collaboration avec TF1 et LCI, vient de publier son sondage « jour du vote » concernant le premier tour de ces élections marquées par un taux d’abstention record. En quoi permet-il tout d’abord de mieux définir ces abstentionnistes ?

Christophe Boutin : Ce sondage, particulièrement riche en effet, montre que la campagne électorale – ou son absence - n’a pas réussi à intéresser les Français. L’intérêt de nos concitoyens (24%) est en effet inférieur de 15 points à celui manifesté pour les élections européennes de mai 2019, alors pourtant que cette élection intéresse peu les Français, et de 17 points à celui pour les élections municipales de mars 2020, en pleine crise du coronavirus - et s’il a été naturellement plus grand chez ceux qui sont allés voter, il ne se situe jamais chez ces derniers qu’entre 50 et 60 %. Dans le détail, on voit ensuite se dégager des groupes qui vont correspondre aux abstentionnistes : les personnes les moins intéressés étaient les jeunes de 25 à 34 ans (16%), presque 20 points derrière les plus de 65 ans (35%). L’âge sera en effet pour cette élection le critère de distinction majeur, le niveau d'éducation, le revenu mensuel ou le lieu de résidence ne conduisant qu’à des écarts de quelques points. Reste le critère de la proximité politique, avec un différentiel de 28 points entre ceux qui ont été le moins intéressé par la campagne, proches d'EELV (20%), et les plus intéressés, proches des Républicains (48%).

Quant au vote proprement dit, le différentiel est toujours important, de presque 30 points, entre les âges des votants - 18 % pour les moins de 35 ans, 47 % pour les 65 ans et plus. Encore faut-il préciser, car si la jeunesse de gauche est venue voter - les moins de 35 ans représentent 42 % du vote de gauche et écologiste – ce n’est pas le cas à droite, ou cette même catégorie ne représente que 15 % du vote pour le RN. Là encore, l’âge est la catégorie qui aboutit aux différences les plus importantes : en termes de profession exercée le différentiel n'est que de 17 points, de 6 en termes de niveau d'éducation.

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En termes cette fois de proximité politique, les proches de LFI (26%) se sont le moins déplacés, avec ceux des écologistes, ceux qui sont le plus rendus aux urnes étant les proches de LR (50%) et de LREM (42%), quand les sympathisants du RN ne se déplaçaient qu’à 34 %, soit sensiblement le taux d'abstention relevé en France. D’autres critères confirment cela : 32% des électeurs d’EELV aux élections européennes de 2019 se sont déplacés, entre 37 et 39% pour les anciens électeurs de LFI, du PS et du RN, mais 52 % des électeurs de LREM et 58 % de ceux de LR. On peut apercevoir une réalité proche en tenant compte du vote de 2017 : les anciens électeurs de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ne se sont déplacés qu'à 25 et 29 %, alors que les anciens électeurs de Benoît Hamon se sont déplacés à 40 %, et ceux de François Fillon à 52 %.

De manière intéressante, dans ces élections locales où les postes étaient tenus par des représentants des partis de gauche et de droite d’avant la bourrasque de 2017, et qui, pour une part d’entre eux, se représentaient, on voit clairement se dessiner ici la fameuse « prime au sortants », accentuée encore par le poids d’un électorat âgé qui a comme principale préoccupation d’éviter les remous indésirables qui lui feraient courir des risques. Une prime qui ne pouvait bénéficier qu’aux PS et LR, moins à LFI et au RN, dont les élus sont cantonnés à des rôles secondaires, et bien sûr, par définition, pas à LREM.

Mais quelles sont les raisons invoquées par les abstentionnistes ? Certains commentateurs ont évoqué une campagne mal faite, trop tardive, ne portant pas assez sur les enjeux locaux. Est-ce bien la principale raison ?

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Écartons tout de suite un élément, l’impact de la crise sanitaire sur l’abstention : 8 % des abstentionnistes expliquent qu'ils ne sont pas venus voter à cause du risque Covid - contre 36 % aux municipales de 2020 -, et 70 % disent que leurs motifs n’ont rien à voir avec la crise sanitaire. Alors, simple problème d’information d’une campagne mal ficelée ? À cause d'une campagne plus courte, certains Français se sont sans doute décidés plus tardivement que d'habitude, mais cette décision tardive concerne plus les électeurs de gauche que ceux de LR ou du RN, souvent décidés depuis plus d’un mois. On notera par contre que les sources d'information principales ont été les professions de foi des candidats et la presse quotidienne régionale (qui gagne 5 points par rapport aux élections européennes de 2019), au détriment des journaux télévisés (-6 points) ou des émissions politiques télévisées (-7 points). Même si la conjugaison avec les élections départementales induisait sans doute ce retour à une information de proximité, les chiffres restent intéressants quand on les lie aux motivations.

Les premières raisons invoquées par l’ensemble des abstentionnistes est simple : « parce que ces élections ne changeront rien à votre situation personnelle » (40%) et « parce que ces élections ne changeront rien à la situation de la région » (35%). Il y a bien sûr ensuite des différences entre les familles politiques. Ainsi, ce sont bien les deux items placés en première place par les électeurs de Marine Le Pen en 2017, quand, pour les anciens électeurs de Jean-Luc Mélenchon, leur abstention serait expliquée par les items « pour manifester votre mécontentement à l'égard des partis politiques » et « parce qu'aucune liste ne défend ou représente vos idées ». Il y a chez les premiers la lassitude de Sisyphe devant des efforts perçus comme inutiles, alors que l’on ressent chez les seconds comme un doute qui touche leur propre camp.

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C’est un mélange des deux pour les anciens électeurs de Benoît Hamon, qui retiennent « les élections ne changeront rien à votre situation personnelle » et « aucune liste ne défend ou représente vos idées », ou chez ceux de François Fillon (« aucune liste ne défend ou représente les idées » et « les élections ne changeront rien à la situation de la région »). Par contre, l’abstention des anciens électeurs d'Emmanuel Macron serait d’abord justifiée selon eux « parce que ces élections ne les intéressent pas » - et c’est bien la seule fois où l’on peut trouver un lien direct avec le déroulement de la campagne -, et ensuite « parce qu’elles ne changeront rien à leur situation personnelle ».

Sentiment d’impuissance généralisé donc, curieusement moins important chez les 18-24 ans (29 %) et chez les 65 ans et plus (35 %), et plus forte dans les autres tranches d'âge - elle culmine à 45 % chez les 50-64 ans. De manière plus classique par contre, ce sont les titulaires du baccalauréat, typiques de la zone intermédiaire, qui sont les plus nombreux à penser que leur situation ne pourra pas s'arranger avec ses élections (52 %), comme aussi les revenus modestes, et l’on retrouve ici des marqueurs de cet électorat du RN qui s’est largement abstenu.

Une abstention qui touche donc les partis de manière différente, mais que nous dit ce sondage de l’évolution des électeurs depuis 2017 ?

C’est certainement l’un des éléments les plus intéressants de ce sondage, avec deux points de comparaison. D’abord, par rapport au vote au premier tour de la présidentielle de 2017. On note ici la fidélité des anciens électeurs de Benoît Hamon, qui se sont portées à 83 % sur une liste de gauche - 11 % sur une liste de droite ; de ceux de Marine Le Pen, présents à 75 % - 10 % étant passés chez LR, 6 % à gauche ; de ceux de Jean-Luc Mélenchon, restés à 73 % - 9 % étant passés à droite et 8 % au Front National ; de ceux, un peu moindre, de François Fillon, avec 63 % revenus voter à droite - mais 14 % passés chez LREM, 6 % à gauche et 10 % au RN. Mais l'éclatement le plus évident est celui de l'électorat de 2017 d’Emmanuel Macron, qui ne se porte en 2021 sur les listes LREM qu'à 28 %, quand 38 % sont retournés sur les listes de gauche et 30 % sur les listes de droite.

On retrouve, et c'est encore plus inquiétant pour Emmanuel Macron, le même éclatement électoral si on retient maintenant les choix faits aux élections européennes de 2019. Quand Jean-Luc Mélenchon conserve ses troupes à gauche à 89 %, EELV à 76 % et le PS à 73 %, quand LR les conserve à droite à 84 % et le RN chez lui à 79 %, il y a, à nouveau, un éclatement des électeurs LREM de 2019, qui suivent en 2021 ce parti à 45 % seulement, quand 15 % rejoignent la gauche et 38 % la droite.

On peut ainsi constater ainsi de manière très claire l'évolution de l'électorat d’Emmanuel Macron depuis 2017 : un électorat initialement venu plus largement de la gauche, et dont il a déjà perdu une partie entre 2017 et 2019, la remplaçant aux européennes de 2019 par un électorat de centre droit qui revient maintenant sur des listes de droite. Avec en 2021, pour tempérer l’importance « idéologique » de ce glissement, le poids de la prime au sortant, le fait pour les électeurs de centre droit de revenir simplement soutenir des élus qu’ils avaient porté à la tête des régions en 2015.

Mais la prime aux sortants ne permet quand même pas de tout expliquer. Comment les électeurs de 2021 justifient-ils leurs choix ?

Les Français disent s'être décidé en fonction d’enjeux locaux ou régionaux à 75 %, soit 12 points de plus par rapport à 2015, mais cela concerne de manière prioritaire les électeurs LR et de gauche (à respectivement 87 % et 83 %), quand les électeurs du RN disent ne s’être décidés pour de telles raisons qu'à 57 %. En dehors du fait que, face à cette question, une population plus éduquée répondra toujours, même si ce n’est pas le cas, avoir voté dans le cadre prévu, soucieuse de montrer qu’elle « comprend l’élection », le « vote sanction », moindre que lors des élections régionales de 2015, ou même des européennes de 2019, est principalement présent chez les électeurs proches du RN (59%) et de LFI (53%).

Quant aux déterminants du vote, on trouve en premier la santé à 67 %. Impact de la crise sanitaire ? Sans doute. D’ailleurs, si à gauche et chez LR (à respectivement 76 et 78 %), on estime n’en avoir pas tenu compte, chez les électeurs LREM ou RN, soit pour soutenir le gouvernement, soit pour le sanctionner, on assume ce lien. Mais même s’il y a une déclinaison locale, la compétence de la santé n’est en rien spécifique aux régions, pas plus que celle concernant le second motif de choix avancé par les électeurs, la lutte contre la délinquance (67 %). Les compétences locales, finances de la région (57 %), lycées (51 %), défense de l'économie régionale (51 %), transports (43 %), fonds européens aux régions (37 %) ou tourisme (29 %) sont donc moins citées. Et même chez ces Républicains qui disaient voter en pensant à la région, on trouve à 72 % « la sécurité et la lutte contre la délinquance », un élément déterminant à 75 % pour les plus de 65 ans – l'élément le plus important pour cette classe d’âge.

Restait à choisir. Pour les électeurs des Républicains, le premier item du choix (63 %) est « le programme et les projets des listes en présence », le second (59 %) « le bilan de la majorité sortante » - on notera aussi chez eux, à 29 %, le plus fort taux de l’item « la présence d'une ou plusieurs personnes que vous connaissez sur une liste ». À gauche, si le programme est premier à 64 %, le second est « l'étiquette politique des listes », à 55 %. Au RN par contre, le premier critère est l'étiquette politique de la liste et le second le programme - à égalité ici avec « l'opinion à l'égard de la politique du gouvernement ».

Bref, derrière un régionalisme partiellement de façade, et partiellement lié au fait que les sortants sont connus, qui touche donc plus des électeurs liés au PS ou à LR, il semble impossible d’écarter de la vie politique française la question lancinante de l’insécurité, même quand elle ne concerne pas le sujet.

À quoi faut-il s’attendre ? Ces élections ont-elles été un bouleversement ? Vont-elles impacter les élections de 2022 ?

Bonne question. Voyons d’abord le court terme. Les auteurs du sondage ont demandé aux sondés quelle liste ils aimeraient voir gagner dimanche prochain, et le résultat peut surprendre. Pour ceux qui se sont rendus aux urnes au premier tour d’abord, leur choix se porte sur la liste RN (27 %), suivie de celle des Républicains (18 %), puis de LREM (16 %), quand 14 % de ces votants de dimanche dernier ne souhaitent finalement la victoire d'aucune des listes qui se présentent. EELV ? 10%. PS ? 9%. Chez les abstentionnistes de dimanche dernier ensuite, si 45 %, ce qui est ici logique, ne souhaitent la victoire d'aucune liste, 16 % évoquent celle du RN et c’est ensuite une répartition presque égale entre toutes les autres (8-9%), avec 5% pour LFI. Ajoutons que, les deux catégories confondues, le partage est égal chez les moins de 35 ans, entre ceux qui souhaitent la victoire de listes RN ou EELV… et que c’est chez les 65 ans et plus que l'on trouve les plus grands souhaits de victoires LR.

On peut s’interroger alors sur le vide électoral qui a frappé le RN plus encore que d’autres partis – on l’a vu avec la différence de mobilisation entre les jeunes de gauche et ceux du RN. On peut croire, comme le fait Xavier Bertrand, que ses mâchoires sont brisées. Mais on peut aussi se demander si la nationalisation de ces élections régionales – présentées comme un tour de chauffe avant l’affrontement de 2022 – n’a pas conduit certains, doutant, d’une part, de pouvoir emporter les collectivités locales, mais aussi et surtout, d’autre part, de l’intérêt même de le faire, au vu du peu de rapport entre les compétences de ces dernières et leurs inquiétudes, à « sauter un tour ». La proximité de ces régionales avec des présidentielles qui n’auront jamais lieu dans dix mois pouvait en effet y inciter.

Rien en tout cas dans les réponses des sondés à la question portant sur la liste dont ils souhaiteraient la victoire ne justifie les cris de joie d’une partie de la droite. Parce qu’il n’est pas évident que l’électorat RN ne lui revienne pas. Et parce que LR doit prendre en compte que son électorat est vieillissant – tout comme l’électorat PS d’ailleurs –, et qu’ils ont bénéficié ici du fait que ces électeurs viennent facilement voter – sauf peur lors de la crise sanitaire -, et détestent les changements, accentuant le phénomène de prime aux sortants.

Cette dernière explique, entre autres le retour au bercail d’électeurs de centre droit ou de gauche partis précédemment chez LREM. L’électorat LREM reste en fait fluctuant, et Emmanuel Macron n’a pas réussi son pari de bâtir un parti aux forces électorales stables. Il se trouve simplement que, de par sa position au centre, LREM fait ses scores en récupérant les déçus, la gauche qui voulait un changement libéral en 2017 ou le centre droit qui s’inquiétait d’une politique trop affirmée en 2019.

On peut donc être réservé sur cette image d’une droite « desserrant l’étau entre le RN et LREM », et qui sera bien vite rendue à son éternelle question existentielle : comment arbitrer entre ceux de ses membres dirigeants qui souhaiteront conserver les électeurs revenus de LREM, adoptant un discours centriste, et ceux qui souhaiteront débaucher des électeurs RN par un discours sécuritaire ? Il en résultera sans doute un discours mêlant libéralisme financiarisé – et européen – et surveillance des populations – mais surveillance généralisée, pour ne jamais stigmatiser… soit un autre visage du progressisme.

Pour l’instant, en dehors de la victoire ou non du RN dans une région, la vraie question qui se pose pour la droite est de savoir si elle sortira des élections de 2021 avec le même nombre de régions métropolitaines qu’en y entrant. En effet, elle a fait son plein de voix, quand les listes de gauche peuvent elles fusionner, s’allier, que les électeurs LREM se répartissent de manière équitable comme le ferait sans doute aussi, au mieux, un retour aux urnes dimanche prochain… À suivre donc.

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