Les marins comme Loïck Peyron sont-ils les derniers aventuriers de notre époque ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Les marins comme Loïck Peyron sont-ils les derniers aventuriers de notre époque ?
©

Loups de mer

Loïck Peyron et son équipage ont franchi la ligne d'arrivée du Trophée Jules Verne. Nouveau record pour le skipper sur ce tour du monde à la voile. Mais malgré des technologies de plus en plus performantes, les aléas confèrent encore à la régate le charme de l'aventure.

Rémy Fière

Rémy Fière

Rémy Fière est journaliste.

Il est rédacteur en chef adjoint de L'Equipe Magazine.

Il est l'auteur de plusieurs livres sur des figures de la voile, notamment Portraits légendaires de marins (Tana, 2010) et Robinson des mers (J'ai lu, 2003, avec Yves Parlier).

 

Voir la bio »

Atlantico : Les coureurs du Dakar sur terre, les marins du Trophée Jules Verne sur mer… L’actualité donne en ce moment de possibles exemples d’aventure sportive et de grands espaces. L’aventure, la vraie, serait donc encore possible aujourd’hui ?

Rémy Fière : Cela dépend de ce qu’on entend par le terme « aventure ». De nos jours le mot est relativement galvaudé. Tout est aventure. Il y a des aventures industrielles,  économiques,  des humaines,  et bien évidemment des aventures sportives. Cependant ce concept n’est plus du tout le même que ce qu’il pouvait représenter au début du XXe siècle, où des espèces de dingues partaient à l’assaut du pôle Sud, tentaient d’escalader les plus hautes montagnes, ou encore de faire le tour du monde à la voile. Tout cela représentait une réelle aventure, car cela comportait un côté pionnier. Cet aspect a désormais un peu disparu.

Cela reste évidemment une aventure que de partir faire le tour du monde à toute vitesse que ce soit en solitaire ou en équipage. Cependant c’est un peu différent d’il y a un siècle.

Est-ce une performance sportive hors du commun, telle une régate autour du monde, qui s’en rapproche le plus ?

Oui sans doute, bien que la manière de naviguer ait considérablement évolué. On ne navigue plus aujourd’hui comme on le pouvait à l’époque de Tabarly. Cela reste une aventure mais relativement maîtrisée.

Les progrès technologiques ne dévoient-ils pas l’aventure et son charme ?

Je ne pense pas que ce soit plus facile ou plus accessible. On parle d’aventure sportive : ce terme recouvre la notion de record à battre ou de course à gagner.  Ce n’est pas une question de matériel dont on dispose. Certes aujourd‘hui ils possèdent  des GPS, des cartes marines,  ils sont sans cesse en communication avec la terre. Ils possèdent des voiles qui se lèvent à l’aide de moteurs électriques.  Ces évolutions technologiques me paraissent normales.

Cependant, cela n’élude pas le concept d’aventure. C’est une façon d’aller toujours plus vite, ce qui est le propre du sportif. Le parcours reste le même. Peyron va l’entreprendre en 43-44 jours  alors qu’il y a dix ans c’était en 80 jours, et en 200 il y a un siècle. Mais cela ne signifie pas une disparition de l’aventure, simplement c’est comme si l’on demandait à un pilote de F1 de courir avec des Talbot  de 1930. Les voitures aussi ont évolué.

Les marins apparaissent tout de même comme aventuriers des temps modernes, ceux qui repoussent continuellement leurs limites face à des éléments parfois très hostiles ? On pense à Yves Parlier, au Vendée Globe, qui avait réparé seul son mât cassé en trois, refusant toute assistance…

Ce qu’il a fait est absolument génial. Aux yeux des humains qui sont restés à terre et qui ne sont pas experts de la chose maritime c’est effectivement de l’aventure ultime.  C’est magnifique. Cependant si vous demandiez l’avis d’experts en la matière, comme Michel Desjoyeaux ou d’autres qui sont des sportifs de haut niveau, ce n’est pas quelque chose qui les a touchés particulièrement.

Les marins qui participent à la course du Vendée globe et qui sont là pour gagner sont certes un peu admiratifs, mais à leurs yeux ce n’est rien d’autre que du bricolage.

Aujourd’hui, l’aventure est donc plus une recherche de la performance qu’une belle histoire ?

La voile a évolué comme ont évolué tous les sports. Au début il existait un côté effectivement un peu baroudeur, symbolisé par Tabarly, qui partait tout à coup traverser l’Atlantique, sans rien dire à personne, et puis réapparaissait dans la brume et gagnait une course. 

Désormais derrière une course comme le Vendée globe  il y a des enjeux économiques, financiers,  et des sponsors qui ont beaucoup investi… C’est devenu avant tout une épreuve sportive. Ce n’était pas le cas lors de la première édition.  Les marins nous envoyaient des bouteilles à la mer pour raconter leurs courses : là, effectivement, le processus d’aventure était extrême.

La voile, aujourd’hui, fonctionne essentiellement grâce à la communication. Des entreprises investissent dans les bateaux en échange d’une certaine visibilité médiatique. Il existe un côté où il faut absolument faire parler de soi.

Le succès du livre de Sylvain Tesson "Dans les forets de Sibérie" montre que dans l’imaginaire collectif, la solitude reste presque un exploit. Est-elle une partie intégrante de l’aventure ?

C’est une question très française. En Nouvelle-Zélande, les marins solitaires sont ceux qui n’ont pas d’amis et qui sont incapables de naviguer en équipe. La conception de la navigation en solitaire est très française. L’aventure est la même que l’on soit seul ou en équipage. Le fait d’être tout seul démultiplie  juste cette notion-là, qui fait tellement  « bander » les gens qui suivent les courses. L’aventure peut être collective et avoir autant de force que lorsqu’elle est individuelle.

Les marins sont-ils les derniers sportifs aventuriers, ou peut-on, par exemple, considérer les coureurs du Dakar de la même façon ?

Le Dakar comme la voile sont des aventures  où ceux qui y participent essaient de maîtriser un maximum d’éléments.  Gagner le Dakar ou le Vendée Globe n’est plus juste une aventure, c’est une aventure industrialo-commercialo-sportive. Il faut de l’argent dans tous les cas.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !