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Loi Travail : cette concession à venir sur l’article 2 qui pourrait expliquer le curieux apaisement entre la CGT et le gouvernement
©Reuters

Accord souterrain

Le plus gros point de blocage de la loi travail telle que portée par Myriam el Khomri est son article 2, relatif aux accords de branche et d'entreprise. L'actuel silence de la CGT sur la question relèverait potentiellement d'un arrangement passé en coulisse avec le gouvernement, annonçant le risque d'une réécriture délétère pour les PME et TPE.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : La France est actuellement secouée par d'importantes mobilisations, en réponse à la réforme du code du Travail et en dépit même du début de l'Euro 2016. Le mouvement social actuel ne cache-t-il pas des conflits bien différents ? Quels sont-ils selon vous ?

Eric Verhaeghe : La loi Travail a joué le rôle de catalyseur, ou d'occasion rêvée pour rassembler des énergies mal réveillées par d'autres conflits. C'est évidemment le cas à la SNCF, qui en constitue le meilleur exemple, mais aussi dans le ramassage des ordures ménagères. Mais prenons le cas de la SNCF. Le débat porte depuis longtemps sur la convention collective du rail et sur l'accord d'entreprise, ou les accords d'entreprise en cours de négociation. Pour la SNCF, l'enjeu est fondamentalement lié au temps, à la durée et à l'organisation du travail. Les cheminots bénéficient depuis l'époque où les trains étaient à vapeur d'un régime extrêmement favorable qui tenait compte de la pénibilité de leurs tâches. Les méthodes de travail ont évolué, le travail est moins pénible, mais les cheminots entendent bien conserver leur régime acquis. Tout la difficulté se situe là aujourd'hui. Les discussions sur ce sujet sont interminables et les syndicats contestataires entendent bien ne rien lâcher. La mobilisation longue à la SNCF est directement due à cette question, mais les cheminots instrumentalisent la question de la loi Travail pour justifier leur combat et faire une sorte de bonneteau : on est contre la loi Travail (sujet plutôt populaire) et contre l'accord d'entreprise (sujet beaucoup moins populaire). Le mouvement de grève vise d'abord à bloquer l'accord d'entreprise, mais il est plus facile à expliquer et à justifier en prétextant la question de la loi Travail. On pourrait dire la même chose des autres secteurs, finalement peu concernés par la loi Travail, mais en pleine action revendicative sur des questions internes ou propres à la structure locale concernée. 

Comment expliquer la relative retenue de la CGT et de son leader Philippe Martinez ces derniers jours ? Pour autant, malgré les déclarations de la direction de la CGT, faut-il s'attendre à une fin du combat après le prochain examen de texte ? Pourquoi ?

Martinez est évidemment débordé par sa base, pour des raisons qui tiennent à ses choix internes. Le secrétaire général de la CGT ne bénéficiait pas d'une vraie majorité en interne. Il a donc dû entamer de grandes manœuvres pour assurer sa réélection en 2016. L'opération n'a pas été simple puisque son bilan de la première année n'a pas recueilli 60% des voix au Congrès. Ce faible score montre qu'il est véritablement en danger et qu'il ne peut pas se revendiquer d'une forte légitimité interne. Il doit donc composer. Martinez a choisi de s'appuyer sur les éléments les plus contestataires du syndicat pour agir. Il les a mis en avant, les a "stimulés" et leur a donné une parole beaucoup plus importante que leur poids réel dans l'organisation. Cette stratégie qui visait à fédérer à gauche, dans la fraction la plus agacée par le système Lepaon, lui a permis de remporter une victoire tactique au Congrès, mais lui pose de vrais problèmes aujourd'hui. Les gauchistes demandent des comptes aujourd'hui. Ils ont voté fin avril pour un secrétaire général qui a appelé à la grève générale reconductible. Comment peuvent-ils comprendre une marche arrière et même un rétropédalage ? Pourtant, Martinez sait que sa position n'est pas durable, et qu'il devra tôt ou tard lâcher du lest. Le gouvernement l'exige, il est probable que les fédérations du secteur privé au sein de la CGT soient favorables à cette ligne réformiste, et pour l'image de la CGT elle-même, la crédibilité passe aujourd'hui par un arrondi sur les angles. Simplement, le secrétaire général est prisonnier de ses promesses. 

Dans quelle mesure une modification de la loi (notamment de son article 2) à la demande de la CGT éloignerait encore ce texte de ses objectifs premiers ?

C'est en effet le principal risque encouru aujourd'hui. Nous en avons eu un premier pressentiment ces dernières heures avec l'annonce d'une prochaine rencontre entre la ministre et Philippe Martinez. Martinez ne tenait pas spécialement à ce que l'information sorte et on peut se demander dans quelle mesure le gouvernement ne cherche pas aujourd'hui à le déstabiliser en dévoilant les manœuvres de coulisse. Toujours est-il que le gouvernement a tout intérêt à négocier une sortie de grève avec Martinez, et que celui-ci a tout intérêt à accepter la manœuvre moyennant des concessions honorables pour lui. De mon point de vue, celles-ci tourneront essentiellement autour de ce que le rapporteur Sirugue a dévoilé à mots couverts depuis plusieurs semaines : la reconnaissance d'une sorte de droit de veto aux branches sur les accords d'entreprise. Cette formule ne manquera pas d'effrayer tous les entrepreneurs absorbés par la conduite de leur entreprise. Prenons l'exemple de la branche de l'intérim, dominée par quatre grands et composée d'une myriade de petits acteurs. Les négociations de branche sont menées par les grands du secteur. On mesure bien le pouvoir qui leur sera donné s'ils peuvent récuser un accord d'entreprise conclu par un petit concurrent qui pourrait les déstabiliser. On mesure aussi le pouvoir qu'ils auront en signant des accords de branche délirants dont ils pourront s'affranchir eux-mêmes en signant des accords d'entreprise bien plus défavorables. Ainsi, pour les TPE et les PME, les grands pourraient conclure des accords pénalisants, et se garder le droit de faire du dumping en négociant, en interne, des accords compétitifs. Bref, la formule choisie par Sirugue va introduire des distorsions de concurrence extrêmement risquées et inégalitaires, qui vont poser un vrai problème dans la rédaction finale de la loi.

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