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Loi Pacte : l’erreur conceptuelle des élites françaises sur la croissance
©ERIC PIERMONT / AFP

Réformes

L’examen de la loi Pacte (projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises) en séance publique commence ce mardi à l’Assemblée Nationale. Ce texte illustre une fois de plus le « mal governo » français, cette gouvernance qui imagine que la loi peut tout, même créer la croissance. Comme si l’inflation législative était le remède miracle aux problèmes de la société française.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La loi Pacte compte 244 pages! Son ambition affichée est dévoilée dès le début de l’exposé des motifs prononcé par Bruno Le Maire:

Ce projet de loi vise à relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique. Cela passe notamment par une transformation du modèle d’entreprise français pour l’adapter aux réalités du 21e siècle.
Voilà donc une loi avec ses 73 articles, qui prétend permettre aux entreprises de croître, les faire renouer avec l’esprit de conquête et les adapter au 21è siècle. Elle est présentée par un ministre qui, au terme d’un parcours dans la fonction publique, n’a qu’une connaissance livresque (ce qui n’est pas bon signe) des entreprises qu’il prétend moderniser. Le même ministre est à la tête d’une administration qui se révèle, année après année, incapable de diminuer les dépenses publiques, pourtant record en France. 
Dans ce projet de loi qu’aucun chef d’entreprise n’aura le temps de lire, on trouve une espèce de melting pot de mesures hétéroclites, qui vont des enregistrements des entreprises à leur création, jusqu’à l’épargne salariale en passant par les seuils sociaux, sans oublier la création des entreprises à mission.

La loi Pacte ou l’immobilisme caché

Ceux qui s’époumoneront à prendre connaissance de ce texte disparate noteront immédiatement ses faiblesses et sa tiédeur, qui frisent un immobilisme regrettable. 
Par exemple, l’article 1 « vise à simplifier les démarches que les entreprises sont tenues d’accomplir lors de leur création, de la modification de leur situation et de la cessation de leur activité« . Les chefs d’entreprise se loueront de cette intention. Mais l’article 2 douche leurs espoirs en expliquant que « les attributions des officiers publics et ministériels teneurs de registres ne seront pas remises en cause ». Il faudra donc continuer à engraisser les greffiers des tribunaux de commerce, en leur payant les dépôts annuels d’actes, revendus ensuite à prix d’or à des opérateurs en tous genres. 
La loi Pacte simplifie, donc, et se goberge de postures sur l’esprit de reconquête économique. Mais elle ne pousse pas la simplification jusqu’à s’attaquer aux vrais sujets. Rappelons ici que le juteux privilège des greffiers des tribunaux de commerce leur rapporte une rémunération annuelle d’environ 350.000 euros par an et par greffier, sans que plus personne ne se souvienne des raisons qui justifient cet état de fait. 
C’est le triomphe de l’immobilisme à la française. Derrière les annonces triomphales de simplification, le texte ajoute plus qu’il ne retire. Il participe à l’inflation législative par des mesures tièdes qui se juxtaposent à d’autres mesures tièdes prises par le passé, qui transforment le droit de l’entreprise en capharnaüm impraticable. 

Le fétichisme de la loi et la technostructure française

Le réflexe qui pousse quinquennat après quinquennat, à promulguer une loi touffue, hétéroclite, complexe, supposée relancer la croissance et faciliter la vie des entreprises, procède d’une croyance fétichiste propre à la haute administration française.
Pour celle-ci, les ralentissements économiques sont dus à une insuffisance de lois. Le marché est à la peine parce qu’il n’est plus assez encadré, ou parce que son cadre juridique vieillit. Pour relancer l’activité, il faut donc légiférer, donner un coup de peinture sur les murs de la prison réglementaire qui permet de « réguler » la libre concurrence entre les entreprises. Un bon texte de 200 pages, et la machine repart.
En 1789, les révolutionnaires imaginaient que la loi pouvait tout. En 2018, les inspecteurs des finances et les administrateurs de Bercy sont convaincus que la loi peut même fabriquer la croissance.
Dans son essence, la loi Pacte participe d’une réaction quasi-viscérale à la liberté d’entreprendre, à la libre concurrence. Elle se nourrit de l’angoisse qui étreint un fonctionnaire face au marché. Pour calmer cette angoisse, seule la production législative peut apporter une solution.

La loi Pacte et le mal governo français 

Qui, au gouvernement, croit vraiment qu’un texte de 244 pages rédigées à l’eau tiède peut redynamiser l’économie française? Il faudrait mener l’enquête pour vérifier que Bruno Le Maire soit lui-même convaincu que cet enchevêtrement de mesurettes puisse avoir la moindre prise sur la réalité des Français.
Il faudrait, pour changer la société française, des mesures à la manière de  M. Hartz, en Allemagne. Il faut faire tomber des cloisons, abattre des murs, restructurer le bâtiment France. La loi Pacte cherche à nous faire croire que de simples changements dans la décoration intérieure, un clou planté par-ci, une fenêtre bouchée par-là, une porte percée ailleurs pourrait avoir les mêmes effets que le mouvement de fond que nous attendons. C’est évidemment illusoire. 
Pour les entrepreneurs, la loi Pacte procède de ce mal governo français qu’Emmanuel Macron avait une chance de changer, mais dans lequel il se coule avec complaisance. Comme par le passé, une armée de fonctionnaires à Bercy a sorti la plume comme des Albanais sortent le couteau, c’est-à-dire pour saigner l’administré, l’assujetti, pour le plonger dans un bain rafraîchi d’instabilité réglementaire qui l’insécurise sans améliorer son sort.
Comme par le passé, la loi passe, permet à un ministre de dire qu’il a agi. Avec un peu de chance, ce ministre pourra s’attribuer les mérites d’une reprise de la croissance future, totalement indépendante de son action, mais il fera comme si. Pendant ce temps, les entrepreneurs vont absorber un temps colossal à apprendre de nouvelles règles qui  changeront dans cinq ans. L’impact favorable de ces règles sera, comme toujours avec ces lois, inférieur au coût qu’il aura fallu payer pour les apprendre et les maîtriser, puis pour les oublier, une fois qu’une autre loi sera votée. 
Le vrai sujet de la croissance est bien là: l’instabilité réglementaire étouffe l’initiative individuelle en augmentant fortement les risques dont elle est porteuse. C’est le mal governo français. Bercy croit que la croissance procède de la loi, quand c’est tout l’inverse…

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