La faille
Libération par erreur d'un djihadiste présumé : quand l'Etat de droit se tire une balle dans le pied
En avril dernier, un djihadiste a été remis en liberté par erreur à la suite d'un oubli d'un juge d'instruction de renouveler sa détention provisoire. Comment comprendre cette décision ?
Gérald Pandelon
Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020).
Atlantico : C'est fou, mais c'est vrai. En avril dernier, un soupçonné djihadiste du nom de Oualid s'est retrouvé en liberté par erreur à la suite d'un oubli d'un juge d'instruction de renouveler sa détention provisoire. Le 16 mai, le suspect est interpellé au volant d'une voiture hors de la ville de Meaux (qu'il n'a pas le droit de quitter), sans permis et muni d'un smartphone contenant des images djihadistes. Après un jugement, il ressort de nouveau libre… Comment comprendre la libération -sous contrôle judiciaire- d'un individu soupçonné d'être un djihadiste, et qui pourrait ainsi être fiché S, en raison d'un "oubli" de la juge d'instruction de renouveler sa détention provisoire ? Comment comprendre également sa seconde libération, après une arrestation ulltérieure à sa première sortie ?
Plus généralement que penser de l'évolution de nos pratiques judiciaires au regard de cet incident ?
Gérald Pandelon : Au-delà de la question des erreurs judiciaires et du sentiment d'impunité des magistrats en dépit de leur multiplication, ce qui soulève une difficulté c'est la sempiternelle question du réel critère d'appréciation en matière judiciaire. Quel est l' esprit des lois, quel est l'esprit des juges ? Quel est le fondement secret de l'acte de juger ? Quel en est la cause adéquate ? Quel est, au sens où l'entendait Montesquieu, cet esprit qui préside à la décision, ce qui le fait agir ? Un esprit judiciaire qui cède le pas confusément à des lois sans Esprit ? Car face aux antinomies et contradictions structurelles qui président à l'acte de juger, et à sa faculté au sens kantien, comment ne pas sceller le divorce définitif entre le justiciable et le juge, entre l'institution et la démocratie, entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique, lorsque le juge n'est limité par aucune instance hétéronome ? Je crois qu'il est urgent que notre appareil judiciaire fasse son aggiornamento, son examen de conscience, ce toilettage éthique qui ne concernerait plus exclusivement ceux qui sont à juger en raison de leur transgression de la norme, mais qui aurait trait au premier chef à ceux qui en sont les censeurs, des censeurs aux pouvoirs illimités car sans partages ni limites, des pouvoirs qui tranchent avec l'exigence de transparence qu'ils s'étaient pourtant attachés à promouvoir.
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !