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Le Liban, victime collatérale
de la crise syrienne ?
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Branle-bas de combat

Éternel otage de la guerre des axes régionaux et prisonnier d’un système politique hors d’âge, le Liban est à la merci d'une nouvelle déstabilisation de la part de son ennemi syrien.

Karim Emile  Bitar

Karim Emile Bitar

Karim Emile Bitar est énarque, géopolitologue et consultant.

ll est chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), et  directeur de la revue L’ENA.

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La révolution populaire syrienne ne faiblit pas. Le nombre de déserteurs s’accroît et certains opposants, poussés à bout par le régime, commencent à agiter le spectre du recours aux armes. Hillary Clinton s’inquiète ouvertement des risques d’une guerre civile en Syrie. L’Arabie Saoudite, l’Iran, la Turquie et le Qatar sont tous en train de revoir leurs cartes. Le Liban ne dispose aucunement de l’immunité que lui procurerait une authentique union nationale et des institutions stables. Sera-t-il à nouveau déstabilisé ?

Le calme avant la tempête ?

Le calme plat qui règne au Liban depuis le déclenchement des révolutions arabes est pour le moins intriguant et paradoxal. Alors que toute la région est en ébullition, le pays du Cèdre, qui est ordinairement la caisse de résonance de la moindre petite querelle entre puissances régionales, semble aujourd’hui inerte et hors-jeu, sorti du temps et de l’histoire.

Alors que la plupart des autres pays arabes bénéficiaient d’une grande stabilité au prix de libertés sacrifiées, le Liban était au contraire un pays où les libertés et le pluralisme ont rarement été sérieusement remis en question, mais au prix d’une instabilité chronique et de perpétuels abandons de souveraineté. Le Liban semblait être une frêle embarcation, désordonnée, bigarrée et incapable de se fixer un cap, la Syrie semblait être une souveraine citadelle monolithique imposant ses quatre volontés ; le Liban un joyeux bordel libertaire ouvert à tous les vents, et la Syrie une mère maquerelle dominatrice et tyrannique.

Rôles inversés

Aux yeux des Libanais, dont le pays a toujours été un État tampon de la géopolitique internationale, livré aux intrusions et convoitises des puissances internationales et régionales dont la Syrie, il est donc assez ironique de voir que c’est aujourd’hui la Syrie elle-même qui est livrée au chaos, et que c’est sur son territoire que s’exerce aujourd’hui le jeu des puissances.

La Syrie baasiste ayant occupé le Liban de 1976 à 2005 et y ayant exercé son autorité avec cynisme et brutalité, certains libanais ont du mal à faire la nécessaire distinction entre le peuple et le régime syrien, et se réfugient dans un sentiment de schadenfreude : « Assad est entrain de goûter à sa propre médecine, et d’être pris à son propre jeu. »

Peut-être, mais il n’en reste pas moins qu’à travers l’histoire, le régime syrien n’a jamais été aussi dangereux que lorsqu’il avait le dos au mur. Face aux pressions internationales, le régime a l’habitude de se raidir et de frapper fort. Entre 2004 et 2007, une série d’attentats que beaucoup de libanais attribuent à la Syrie ont coûté (ou failli coûter) la vie, à une douzaine de personnalités politiques et de journalistes libanais.

Le régime syrien a beau être aux abois, sa capacité de nuisance demeure intacte. Un homme politique libanais réputé être le porte-parole officieux de Damas a déjà adressé à plusieurs reprises des menaces à peine voilées à la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), qui compte un important contingent français.

Extension de la violence communautaire

Certaines mouvances politiques libanaises sont organiquement liées au régime syrien, et peuvent être directement activées par Damas. D’autres, comme le Hezbollah, proches de l’Iran, restent néanmoins des alliés stratégiques de la Syrie et lui sont liés par un devoir de reconnaissance pour le soutien passé. Parallèlement, la colère contre le régime syrien grandit dans la communauté sunnite libanaise. D’importants courants sunnites salafistes défilent quotidiennement dans la ville septentrionale de Tripoli (sic), appelant à la vengeance contre Bachar el-Assad, à quelques ruelles à peine du quartier alaouite.

Al Assad prendra-t-il le risque de déstabiliser le Liban alors que le gouvernement libanais actuel est largement dominé par les alliés de la Syrie ? Cela dépendra essentiellement de l’évolution des relations syro-irano-saoudiennes. Enferrées dans leurs paranoïas identitaires, et ayant développé chacune une mentalité de citadelle assiégée, les communautés libanaises sont plus que jamais sujettes à la clientélisation et à l’instrumentalisation par les puissances régionales. La marge de manœuvre du Courant du Futur de la famille Hariri par rapport à l’Arabie Saoudite n’est pas beaucoup plus grande que celle du Hezbollah vis-à-vis de ses protecteurs irano-syriens.

Au pays de tous les paradoxes, les Libanais rouspètent à longueur de journée contre leur classe politique, mais réélisent à intervalles réguliers les leaders féodalo-communautaristes maffieux qui les gouvernent. Plus de vingt ans après la fin de la guerre, les différents chefs de milice  poursuivent de l’intérieur leur œuvre de destruction de l’État, lequel est de plus en plus gangrené et impotent, alors que la société civile et les entreprises privées font preuve d’un remarquable dynamisme. Bien que fortement politisés, les Libanais ont, comme les Grecs et les Italiens, une formidable capacité à mener leurs vies et à danser sur un volcan en ne prêtant plus qu’une attention distraite aux comiques troupiers de leur classe politique. A ceci près qu’au Moyen-Orient, on a vite fait de passer du registre de la farce à celui de la tragédie.

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