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Les travailleurs indépendants : un débat d’idées
©Pixabay

Bonnes feuilles

La France est l'un des pays du monde qui comptent le moins de travailleurs indépendants. Pourtant, plus de 50 % des Français veulent tenter l'aventure de l'indépendance. À la clef, ce sont 1 million d'emplois qui peuvent être créés à l'horizon 2025. Véritable eldorado ou miroir aux alouettes ? C'est ce portrait d'une France entreprenante, intrépide et talentueuse que l'auteur a choisi de dresser sans concession. Une France qui sait marier les paradoxes, refusant l'uberisation tout en surfant sur les vagues de la nouvelle économie.Extrait de "Tous indépendants", de Guillaume Cairou, aux éditions du Cherche-Midi. 2/2.

Guillaume Cairou

Guillaume Cairou

Guillaume Cairou est président du Club des entrepreneurs.

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Dépeindre le paysage du travail indépendant en France, en constater les conséquences à court, moyen et long terme sont une chose. Mais encadrer cette activité, la développer, la stimuler en sont une autre. Sur ce point, les idées et les avis se multiplient sans qu’une solution permettant de libérer et de protéger efficacement le travail indépendant se dégage réellement. 

Cette montée en puissance du travail indépendant peut-elle être sans conséquence sur notre modèle social, sur le rôle et les missions de l’État providence, jusqu’ici financé en grande partie par les cotisations sociales salariales et patronales ? Ce serait étonnant. 

À moins que le travail indépendant ne soit qu’une bulle qui éclate bientôt, ce que ne laissent pas envisager les enquêtes de prospective sur le sujet, le financement actuel de notre modèle social doit être réformé. 

Certes, le déficit de l’État recule depuis 2012, mais le redressement durable des comptes publics n’est pas encore pour demain. À condition que les prévisions de Bercy se confirment, le déficit de l’État s’élèverait encore à 2,7% du PIB en 2017, obligeant la France, comme elle le fait depuis 1974, à s’endetter pour assurer son train de vie. 

Si l’on veut que l’équité soit préservée, il en va de même. Actuellement, le niveau des cotisations acquittées par les indépendants est inférieur à celui des salariés. Certes, leurs droits sont plus faibles, notamment en termes de couverture sociale et de droit à la formation. Mais si le travail indépendant se substitue progressivement au salariat, c’est le financement du modèle actuel, déjà déficitaire, qui sera fragilisé. Si l’État et en particulier la Sécurité sociale voient leurs ressources diminuer, la protection sociale de l’ensemble des citoyens risque d’en pâtir. CQFD. Nous y reviendrons. 

Par ailleurs, il faut bien avoir en tête une autre dérive possible. Les travailleurs indépendants effectuent bien souvent une activité peu qualifiée, participant à un mouvement de « low-costisation » du travail, entraînant mécaniquement une baisse du niveau de vie. Autrement dit, faute d’une protection sociale généreuse, ils n’ont que leur capacité de travail pour couvrir les risques économiques et sociaux associés au travail. Bref, en cas de difficultés physiques, le travailleur indépendant peut vite connaître une situation précaire. 

Avec l’émergence du travail indépendant, les idées et propositions se multiplient. C’est assez logique. Ce n’est pas seulement un petit sujet qui monte dans le débat public ! Il y a en effet urgence à anticiper et à considérer avec le plus grand sérieux les profondes mutations que subit actuellement le marché du travail. Car ces bouleversements peuvent plonger les plus fragiles, c’est-à-dire les moins diplômés, dans la misère. Le « progrès » ne fait pas que des heureux. Pendant une période de transition, telle que celle que nous vivons actuellement, il y a toujours des laissés-pour-compte. Ce n’est pas tout. Certaines tensions peuvent apparaître quand un marché jusqu’ici fermé, régulé, connaît l’arrivée de nouveaux concurrents. Les conflits qui ont opposé les taxis traditionnels et les chauffeurs de VTC en 2016 en sont un exemple parmi d’autres. Certaines images, très violentes, ont fait le tour du monde et n’ont pas arrangé la réputation de la France à l’étranger. 

Au sein même de cette « nouvelle économie indépendante », des tensions apparaissent. Ainsi, en mars 2017, des coursiers à vélo de repas à domicile ont appelé à une « déconnexion massive » entre autres des plates-formes Deliveroo, UberEats ou Foodora. 

Grâce à cette initiative menée à Bordeaux, Paris, et Lyon, les cyclistes souhaitaient protester contre leurs conditions de travail, leur faible rémunération – la tarification leur est imposée sans que soient prises en compte la situation du marché ou la météo – et dénoncer un salariat qu’ils considèrent comme déguisé. Ils espéraient que leur déconnexion, c’est-à-dire leur mise en indisponibilité volontaire, réduise le nombre de livreurs disponibles sur la plate-forme et fragilise in fine le commerce de leurs « employeurs », qui promettent des livraisons aux clients en un temps limité. 

On comprend leur combat. Lorsque les fondateurs de Take eat easy, une autre plate-forme de services de livraison de repas à domicile décident en juillet 2016 de placer leur entreprise en liquidation judiciaire, les livreurs autoentrepreneurs découvrent qu’ils ont pédalé dans le vide ! En effet, l’entreprise belge étant devenue insolvable, les factures des livreurs n’ont jamais été acquittées !

Dans ce contexte, parfois hautement inflammable, des désordres sociaux peuvent apparaître. Pour les contenir, l’étude de Klaus Schwab, le président et fondateur du Forum économique mondial de Davos, encourage les gouvernements à anticiper les réformes permettant de répondre aux nouveaux besoins de compétences pour faire face aux bouleversements que connaissent les marchés de l’emploi à travers le monde. 

Il n’y a pas que dans les hautes sphères que l’on se penche sur le sujet. Les acteurs du monde du travail, notamment les entreprises du secteur de l’intérim, sont également sur les rangs pour tenter de dessiner un monde plus serein. Si le marché du travail mute, leur modèle économique se transforme également ! Dans une étude intitulée «Penser l’emploi autrement», le Lab’Ho, le think tank du groupe Adecco, dresse un constat peu réjouissant. Redoutant une «disparition des collectifs de travail traditionnels », pointant le risque d’isolement des travailleurs de l’économie numérique, il plaide pour une rapide mutation de la formation vers des compétences «digitales et comportementales ». Afin d’accompagner les mutations en cours, il propose par exemple la création d’«opérateurs d’accompagnement multistatuts» qui auraient pour but d’accompagner des actifs appelés à changer régulièrement de statut. Il suggère aussi de créer des « communautés d’échanges et de discussions pour les indépendants » et de « combiner le virtuel et le réel pour outiller les jeunes sur la connaissance des métiers et la recherche d’emploi».

Extrait de "Tous indépendants", de Guillaume Cairou, aux éditions du Cherche-Midi. 

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