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Le 9 mars, la Russie a mené une grande attaque aérienne en bombardant des cibles à travers l'Ukraine avec une gamme variée d'armes, y compris des missiles hypersoniques.
Le 9 mars, la Russie a mené une grande attaque aérienne en bombardant des cibles à travers l'Ukraine avec une gamme variée d'armes, y compris des missiles hypersoniques.
©MIKHAIL METZEL / SPUTNIK / AFP

Guerre en Ukraine

L’armée russe est désormais passée aux missiles hypersoniques pour viser les infrastructures ukrainiennes.

Thierry Berthier

Thierry Berthier

Thierry Berthier est Maître de Conférences en mathématiques à l'Université de Limoges et enseigne dans un département informatique. Il est chercheur au sein de la Chaire de cybersécurité & cyberdéfense Saint-Cyr – Thales -Sogeti et est membre de l'Institut Fredrik Bull.

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Atlantico : La Russie a lancé jeudi 9 mars sa plus grande attaque aérienne depuis des semaines, bombardant des cibles à travers l'Ukraine avec une gamme variée d'armes, y compris ses missiles hypersoniques les plus récents. En quoi la stratégie du Kremlin a-t-elle changé sur sa volonté de viser les infrastructures ukrainiennes ? L’utilisation de missiles hypersoniques est-elle un avantage non négligeable pour atteindre ses objectifs ?

Thierry Berthier : La stratégie russe s’inscrit dans la durée avec une guerre d’attrition qui cherche à user les forces de l’adversaire. Chaque mètre carré gagné ou repris à l’ennemi coûte très cher aux deux belligérants. L’armée russe s’appuie sur un déluge de feu produit par une grande quantité de munitions, concentré sur la zone à conquérir. Une fois les bombardements réalisés, les vagues d’assaut sont déployées. Très loin de la guerre de mouvement, cette stratégie d’usure coûte cher en vies humaines, en munitions, en rapportant peu de terrain. Les vagues de bombardements en profondeur font partie du dispositif. Périodiquement, les chefs militaires russes décident de mener des opérations de représailles à partir de missiles de croisière. Ces salves sur objectifs multiples ciblent principalement les infrastructures critiques ukrainiennes, les centrales électriques, les centrales thermiques, les usines de production d’armement, les concentrations de troupes et centres de commandement. Le choix des cibles est strictement rationnel : détruire en profondeur le réseau électrique ukrainien permet d’affaiblir l’ensemble des infrastructures industrielles et de perturber le quotidien du peuple ukrainien qui doit faire preuve d’une grande résilience. Les stratèges russes espèrent ainsi créer du chaos au cœur des grandes villes ukrainiennes et fracturer les opinions publiques. L’alternance de combats de haute intensité au contact direct de l’adversaire et de salves de missiles de croisière tirés depuis des navires en mer Noire, des avions ou à partir de stations terrestres, montre aux Ukrainiens que les Russes peuvent frapper l’Ukraine quand elle le souhaite, où elle le souhaite jusqu’aux frontières de l’Ouest ukrainien. Les tirs de missiles de croisière engendrent une insécurité permanente pour la population et de l’incertitude opérationnelle pour les forces ukrainiennes. Ainsi, dans la nuit du 8 au 9 mars 2023, la Russie a tiré 81 missiles et a opéré 8 drones suicides iraniens Shahed-136 contre des objectifs industriels et énergétiques ukrainiens. L’armée ukrainienne a annoncé avoir abattu 38 missiles et 4 drones kamikazes.

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Dans les principales villes impactées, Kyiv, Lviv, Karhkiv, ce sont les centrales électriques qui étaient ciblées. Plusieurs d’entre elles ont été partiellement détruites par les missiles. Des centaines de milliers d’habitants ont été privés d’électricité. Pour autant, le gouverneur de Kharkiv a indiqué qu’environ 70 % des habitants de la région avaient retrouvé l'électricité, seulement deux jours après l’attaque russe. Les forces russes se heurtent bien à la résilience ukrainienne, avec des équipes performantes qui parviennent à réparer très vite les infrastructures, à déployer des unités de production de substitution ou à rediriger de la production électrique distante à travers les zones impactées. Plus les opérations de salves se répètent et plus les Ukrainiens apprennent à répondre efficacement et promptement aux destructions.

L’armée russe a utilisé une large gamme de missiles, X-101, X-555, missiles Kalibr, missiles S-300 et pour la première fois, au moins six missiles hypersoniques Kinzhal. Chacun de ces six missiles a atteint sa cible sans être intercepté par les défenses antiaériennes ukrainiennes. Le Kinzhal est un missile aérobalistique air-sol hypersonique capable d’atteindre Mach10 soit 12 000 km/h pour une portée de 2000 km. Il peut porter une ogive conventionnelle ou nucléaire. Ce type de missile n’est actuellement pas interceptable par des moyens anti-aériens classiques ou par des boucliers antimissiles déployables. Une salve des six Kinzhal a un double effet : le premier effet opérationnel : les Russes sont capables de détruire à coup sûr des cibles de haute valeur sans risquer une interception. Le second effet est de montrer aux Ukrainiens et aux soutiens occidentaux que l’armée russe est capable de monter en puissance quand elle le souhaite en s’appuyant sur de l’armement de haut niveau technologique. L’utilisation de missiles hypersoniques du côté russe est une première dans ce conflit. Pour autant, il est difficile de prévoir une généralisation d’usage de ce type de salves car les missiles hypersoniques sont coûteux pour l’attaquant (plus de 1,2 millions de dollars l’unité). On imagine que les forces russes vont réserver leurs missiles Kinzhal pour des cibles de très haute valeur militaire, bien protégées par des systèmes anti-aériens performants et mettre en œuvre d’autres missiles sur des cibles plus secondaires.

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La Russie pourrait-elle utiliser des armes plus importantes ?

Le missile hypersonique Kinzhal est une arme puissante et sophistiquée. Il a été présenté pour la première fois en 2018 et fait partie du groupe des six systèmes d’armes stratégiques russes. On peut penser que l’alternance de campagnes massives d’artillerie de proximité et de salves en profondeur ciblant l’ensemble des infrastructures critiques va se poursuivre. Cette combinaison produit son effet dans la durée par attrition. La question récurrente est celle d’un éventuel usage d’une charge nucléaire tactique russe mais en l’état, on imagine mal dans quel contexte et avec quel objectif militaire cela pourrait se produire. La Russie semble miser sur l’usure des forces ukrainienne et sur la dégradation régulière des défenses.Les Russes font le pari d’atteindre un seuil critique de destruction côté ukrainien qui permette d’enfoncer les lignes lorsque les conditions le permettront. Les opérations de destruction systématique des infrastructures énergétiques contribuent à cet affaiblissement et à l’épuisement de l’adversaire. On sait que les pertes russes sont très importantes et qu’elles peuvent atteindre un seuil critique qui obligerait le pouvoir à changer de stratégie.

A terme, l'infrastructure électrique ukrainienne pourrait-elle tomber ?

Les Ukrainiens ont appris en une année de conflit à réparer vite, à se réorganiser et à encaisser les coups. On peut parler d’antifragilité à l’échelle d’un pays. Ce concept a été défini et étudié par Nassim Nicholas Taleb en 2013. Un système est dit antifragile lorsqu’il parvient à résister aux coups et aux imprévus qu’il rencontre en exploitant ces coups pour se renforcer. C’est typiquement le cas de l’Ukraine soutenue par l’alliance occidentale. La Russie se heurte à cette antifragilité depuis plus d’un an. Nous ne devons pas pour autant sous-estimer la résilience russe et ses capacités de réorganisation de son dispositif offensif après plusieurs échecs. Les Russes savent se remettre en question quand un plan n’a pas fonctionné. Le choix de taper périodiquement les infrastructures électriques ukrainiennes confirme la recherche d’un affaiblissement global des capacités énergétiques ukrainiennes et la volonté d’impacter les populations civiles. La question de la sécurité et de l’intégrité des centrales nucléaires ukrainiennes demeure centrale avec un risque permanent pour les populations civiles. Les niveaux d’attritions réciproques ne permettent pas de produire des prévisions fiables sur l’évolution du front. Ceux qui répètent en boucle sur les chaînes d’informations que la Russie a utilisé toutes ses cartouches se trompent lourdement, tout comme ceux qui prévoient un effondrement rapide des forces ukrainiennes. La guerre n’est pas finie.

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