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Les suicides en nette baisse au Japon depuis le Coronavirus. Et en France ?
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Impact psychologique

Le taux de suicide au Japon connait un net recul depuis le début de la pandémie de Covid-19. En France, une baisse des admissions pour les suicides a aussi été constaté dans les services des urgences. Comment le confinement et le télétravail ont-ils pu avoir un impact sur le nombre de passages à l’acte ?

Michel Debout

Michel Debout

Michel Debout est professeur émérite de Médecine légale et de droit de la santé, et psychiatre, au CHU de Saint Étienne. 

Il est membre associé du CESE et membre de l'Observatoire national du suicide, spécialiste de la prévention du suicide et des eisques psycho-sociaux au travail. Il est auteur de nombreux ouvrages dont "Le traumatisme du chômage"  (editions de l'Atelier, 2015) et "Le Renouveau démocratique : placer la santé au cœur du projet politique" (éditions de l'Atelier, août 2018).

 

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Atlantico.fr : Le taux de suicide au Japon connait une forte baisse depuis le début de la pandémie et le nombre de cas est tombé de 20% par rapport à l’année dernière. À quoi une telle baisse est-elle due ? 

Michel Debout : On sait que l’organisation du travail est particulièrement exigeante au Japon et qu’une pression très forte s’exerce sur les cadres et les employés dans un climat concurrentiel particulièrement exacerbé ; cela entraine des situations harcelantes au travail et de burn out auxquels les travailleurs Japonais sont souvent confrontés, avec le risque suicidaire qui s’y rattache. Il est possible que le confinement et le télétravail aient permis de soustraire provisoirement ces salariés au travail délétère en les mettant en quelque sorte à l’abri, à domicile, de cette réalité mortifère. D’autres facteurs peuvent aussi expliquer cette baisse du taux du suicide, le confinement impose de vivre sous le regard des autres membres de la famille notamment du conjoint ou de la conjointe ce qui empêche certains passages à l’acte suicidaire qui ne peuvent se réaliser qu’en l’absence de témoins. 

Ceci dit il restera important de connaitre l’évolution des taux de suicide dans les mois qui viennent, le plus grand risque étant qu’ils augmentent si le Japon connait une crise sociale majeure comme beaucoup d’autres pays du monde dont la France.  

En France, dans les services d’urgences une baisse des admissions pour les suicides a aussi été constaté. Comment le confinement et le télétravail ont-ils joué sur le nombre de passages à l’acte ? 

Dans notre pays, l’observation de la baisse du nombre de tentatives de suicide admis dans les services d’urgence est moins précise que les statistiques japonaises et de plus nous ne connaissons pas précisément le nombre de morts par suicide dans cette même période. Le large recours au télétravail et le confinement a certainement eu les mêmes effets que ceux observés au Japon avec évidemment des nuances concernant surtout le mode de vie familial différent entre nos deux pays. Pour ce qui est de l’impact sur le travail lui-même, le télétravail a globalement amené plus de satisfaction que de nouvelles contraintes et un nombre conséquent de salariés se sont moins sentis « sous pression » en travaillant depuis leur domicile. Quoiqu’il en soit c’est sur une longue période qu’il faudra évaluer les conséquences du confinement puis de la crise économique et sociale qui va obligatoirement le prolonger en termes de taux de morts par suicide et de tentatives de suicide. Tout nous laisse craindre que ces taux soient élevés voire très élevés, si l’on se réfère aux effets sur la mortalité par suicide de la crise de 1929 et même plus récente celle de 2008.

Face au repli social et à la généralisation du télétravail, peut-on s’attendre à une aggravation du nombre de suicides en France ? 

Nous devrons faire face dans les mois qui viennent à une crise sociale sans précédent, marquée par un nombre de chômeurs et de précaires qui explosera ; s’ajouteront à cela les dépôts de bilans, avec leurs effets très délétères, d’un nombre jamais atteint, de petits commerces, de petites entreprises et même de certaines professions libérales. 

Ceux qui garderont leur emploi risquent de subir de nouvelles pressions parce qu’il faudra « rattraper le retard », produire encore plus vite alors que la menace de l’épidémie impose d’organiser le travail différemment. Les travailleurs risquent d’entendre : « vous avez de la chance que l’entreprise ne soit pas fermée ». Les effets positifs du recours au télétravail n’arriveront certainement pas à compenser cette fragilisation de millions de travailleurs français. 

On sait que le chômage dégrade la santé par des effets psychologiques sociaux, matériels (surendettement) mais aussi par l’aggravation de maladies chroniques (hypertension, maladies cardiaque, diabète…) et certaines rechutes cancéreuses. Il provoque aussi des difficultés familiales avec des séparations fréquentes.

J’ai proposé la mise en place d’un comité d’experts composé de médecins généralistes, psychiatres, médecins du travail, représentants des syndicats et du patronat, associations d’écoute et de soutien des personnes en détresse. Les experts en virologie et infectiologie ont guidé les décisions du gouvernement, il faut maintenant suivre les recommandations de ce nouveau comité pour prévenir la santé au travail, la santé des chômeurs et de ceux qui ont déposé leur bilan. Après la priorité que nous avons tous donné à la santé virale va venir le temps de la priorité à la santé globale de tous les français.

Pour retrouver l'analyse d'Agnès Delneufcourt sur le télétravail, cliquez ICI

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