Les stratégies secrètes des fabricants de tabac qui ont rendu les cigarettes plus dangereuses et plus addictives qu’il y a 60 ans <!-- --> | Atlantico.fr
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Les cigarettes seraient bien plus dangereuses aujourd'hui qu'il y a 60 ans.
Les cigarettes seraient bien plus dangereuses aujourd'hui qu'il y a 60 ans.
©Reuters

Tabac tabou

Il y a 60 ans sortait le rapport du Surgeon General, le premier à dénoncer les méfaits du tabac sur la santé. Depuis, l'industrie du tabac a réussi à changer son discours sans pour autant rendre les cigarettes moins dangereuses.

Gérard Dubois

Gérard Dubois

Gérard Dubois est membre de l’Académie nationale de médecine, où il occupe la fonction de président de la Commission Addictions. Il est le co-auteur du rapport des "Cinq sages" au ministre des Affaires sociales sur la Santé Publique à l'origine de la loi Evin.

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Atlantico : Une association de lutte anti-tabac britannique a comparé le rapport du Surgeon General publié en 1964 sur les méfaits du tabac avec des documents rendus public et provenant de l'industrie du tabac. La conclusion est sans appel : les cigarettes seraient bien plus dangereuses aujourd'hui qu'il y a 60 ans. Les cigarettes sont-elles vraiment plus dangereuses ? Qu'est-ce qui a changé dans leur composition ?

Gérard Dubois : Si l’on regarde les résultats des différentes études épidémiologiques, la mortalité liée à la consommation de tabac ne change pas en fonction de la cigarette. Ce qui a changé véritablement est la notion que l’on a de la cigarette. L’industrie du tabac a voulu faire croire que ses cigarettes étaient moins dangereuses. D’où la notion de cigarettes légères et de cigarettes avec filtre. Or, il s’avère que les cigarettes légères ou non, avec filtre ou sans, ont la même dangerosité. Il n’y a que quelque type de cigarettes qui ont vraiment changé. On trouvait vers les années 50-60 des cigarettes vraiment très chargées, du type gitane maïs, qui pour le coup étaient encore plus dangereuses que les cigarettes habituelles.

Après les premières études qui ont montré les dangers du tabac, l’industrie du tabac a proposé des cigarettes avec filtre. Problème : les vrais filtres ne satisfaisaient pas les fumeurs, ils pouvaient aspirer mais n’avaient rien. L’industrie a donc mis au point des faux filtres, qui n’étaient pas des instruments de filtration mais de dilution. A la base existent des petits orifices invisibles qui permettent à l’air de pénétrer au niveau du filtre et de diluer la fumée de la cigarette au sein du filtre. Les fumeurs peuvent d’ailleurs constater que le milieu du filtre est marron et qu’il est de plus en plus clair en allant vers l’extérieur. C’est d’ailleurs la caractéristique de l’image en cocarde qui montre qu’il s’agit d’une dilution et non d’une filtration. Quoi qu’il en soit, cela a fortement contribué à faire croire que les cigarettes étaient moins dangereuses.

Une autre modalité a été d’ajouter des substances, et notamment du sucre et de l’acide lévulinique, afin de limiter l’âcreté et donc d’adoucir la fumée, dans le but d’attirer, à l’époque, les femmes et les jeunes. L’industrie du tabac ne pouvait effectivement pas laissé la moitié de l’humanité hors de sa portée. On a également constaté à un certain moment donné l’ajout d’ammoniac afin d’accélérer le passage de la nicotine au cerveau.

Pourquoi l'industrie du tabac a-t-elle ajouté de tels éléments dans leurs cigarettes ?

Principalement pour adoucir et/ou pour attirer plus de gens. Par exemple, si l’on prend les cigarettes mentholées, l’industrie du tabac s’est rendu compte que les populations afro-américaines aimaient particulièrement le goût mentholé. Elle a donc créé des cigarettes qui visaient particulièrement cette tranche là de la population. Après, les raisons fondamentales du pourquoi les populations noires préfèrent le goût mentholé sont inconnues. Il s’agit d’un constat. Quoi qu’il en soit, la réglementation du tabac lutte contre ces cigarettes mentholées.

Il faut se rappeler également que les premiers contacts avec les cigarettes étaient assez rudes. Si les gens continuaient à fumer par la suite, c’était à cause de la nicotine. L’ajout de menthol, de sucres ou d’acide lévulinique a contribué adoucir ce premier contact et à inciter certaines populations, comme les femmes et les jeunes, à fumer.

Pour ce qui est de l’ajout d’ammoniac, il existe deux formes de nicotine, la nicotine libre et celle liée à d’autres produits. Lorsqu’elle est liée, il s’agit de grosses molécules qui passent plus difficilement au travers des alvéoles pour aller dans le sang. Par contre, lorsqu’elle est libre, la molécule est toute petite et passe donc plus vite dans le sang et le cerveau. A chaque inhalation, l’ammoniac va favoriser la nicotine libre et va créer un pic de nicotine plus élevé et qui va arriver plus rapidement dans le cerveau. L’histoire de cet ajout nous vient de Philipp Morris avec Marlboro. Marlboro était au début un échec commercial, mais l’ajout d’ammoniac en a fait un véritable succès. C’est d’ailleurs R.J. Reynolds qui a étudié la Marlboro et a découvert la présence d’ammoniac. Au lieu de condamner cela, toute l’industrie du tabac s’est mise à faire la même chose. Pour manipuler le niveau de nicotine dans le tabac, le maintenir constant dans la production et maîtriser encore plus les consommateurs, ils ont même été jusqu’à cultiver du tabac génétiquement modifié. C’est pour ça qu’à chaque fois que José Bové fume sa pipe, il fume en réalité des OGM !

Selon cette association, bien que l'on fume aujourd'hui moins de cigarettes qu'il y a 50 ans, les conséquences sur la santé se seraient multipliées et aggravées. Que risque-t-on de plus qu'en 1964 ?

Si l’on regarde les premières, comme les dernières études épidémiologiques, on constate que le tabac tue un consommateur sur deux, et cela a toujours été. Ce qu’il s’est passé est que l’industrie du tabac a laissé croire – elle ne l’a jamais dit ouvertement – que ses nouveaux produits étaient moins dangereux et a donc augmenté le nombre de consommateurs par ce biais. Mais en réalité, la dangerosité est la même ! La seule différence est que les cigarettes légères et/ou avec filtre dégage une fumée plus douce et diluée. Par conséquent, le fumeur inhale plus profondément et le cancer se situe plus profondément dans le poumon et sur les bronches.

Si l’on sait tout ça aujourd’hui, c’est parce qu’en 1998 aux Etats-Unis a eu lieu un procès à l’encontre de certaines entreprises de tabac au cours duquel, elles ont été obligées de rendre public certains documents officiels. Pour avoir lu ces documents et en avoir parlé dans mon livre « Le rideau de fumée », les données et les termes employés sont consternants !

Les objectifs de l'industrie du tabac concernant ces ajouts sont clairement de rendre accro un maximum de personnes, et notamment les non-fumeurs et les jeunes. N'y a-t-il pas là une bonne raison de prendre des mesures non plus à l'encontre des consommateurs, mais bien à l'encontre de l'industrie du tabac ? Quelles mesures devraient et pourraient être prises par les gouvernements contre ce secteur ?

Il existe cinq modalités d’action qui ont prouvé leur efficacité et qui sont à employer en même temps. Et c’est ainsi que l’on attaque au mieux les géants industriels du tabac :

  • Il faut supprimer la publicité,
  • Il faut réaliser de vraies augmentations sur le prix du tabac par des taxes dissuasives et répétées,
  • Il faut interdire la cigarette en milieu public,
  • Il faut éduquer et informer les gens,
  • Il faut mettre en place des centres d’aide à l’arrêt du tabac.

C’est déjà ce qui a été mis en place en France, et ça marche ! On a remarqué d’ailleurs qu’une hausse de 10 % du prix du tabac entrainait une baisse d’achat de 4 % chez les consommateurs, voire de 8 % chez les jeunes et les plus pauvres.

Quels ingrédients possibles l'industrie du tabac pourrait-elle rajouter à l'avenir ? Quelles conséquences sur la santé cela induirait ?

Il est difficile de répondre à cette question : l’industrie du tabac est capable de tout, bien qu’elle soit surveillée avec la plus grande attention. Pour l’empêcher de déraper, il y a cependant une liste de produits autorisés à ajouter, mais on ne sait pas si elle le fait. Il y a de plus aujourd’hui une nouvelle directive européenne qui va mettre des barrières à certaines industries du tabac. Elle n’est pas encore en application mais on voit bien déjà que la surveillance est plus étroite sur ce qui est ajouté. Dans une cigarette, 15 % du poids correspondent à des additifs. Certes, l’industrie est loin d’être anéantie, mais on va dans ce sens.

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