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Les Républicains se redécouvrent largement conservateurs : vers une droite rétrécie ou... renouvelée ?
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Extension du domaine de la droite ?

Laurent Wauquiez a été largement élu président des Républicains ce dimanche."Ce soir, nous pouvons le dire: la droite est de retour", a-t-il lancé quelques minutes après l'annonce de sa victoire. Mais de quelle genre de "droite" va-t-il s'agir ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Atlantico : Avec plus de 74% des suffrages exprimés, Laurent Wauquiez arrive largement en tête de cette élection pour la présidence LR. "La droite est de retour" a-t-il affirmé. Les Républicains semblent ce soir se redécouvrir largement conservateurs : cette victoire conduira-t-elle à une droite rétrécie ou à une droite renouvelée ?

Bruno Cautrès : Les militants de LR se sont prononcés sans ambiguïté pour la ligne de Laurent Wauquiez qui a remporté 8 fois plus de voix de Maël de Calan, représentant la ligne la plus opposée à celle du champion de la « droite qui ne s’excuse pas d’être de droite ». En termes de renouvellement, il faut tout d’abord noter que les trois candidats qui ont été départagés hier sont assez jeunes, ce qui indique qu’un renouvellement est en train de s’opérer au plan générationnel à droite, comme dans toutes les formations politiques françaises en ce moment. Laurent Wauquiez n’a que 42 ans et son parcours politique est celui d’une ascension rapide même si elle n’a pas la fulgurance de celle d’Emmanuel Macron. Le renouvellement idéologique est moins frappant puisque la ligne incarnée par Laurent Wauquiez rappelle assez nettement la ligne Sarkozy et vous avez raison d’utiliser le verbe « se redécouvrir ». La largeur de la base dont dispose LR à travers l’élection de Laurent Wauquiez est une question plus complexe car elle ne dépend pas que du vainqueur d’hier : en occupant assez largement le centre-droit, Emmanuel Macron a mécaniquement poussé LR vers la droite afin de trouver un espace politique qui ne soit pas trop étroit. Si Emmanuel Macron poursuit un agenda économique de centre droit, cela obligera doute Laurent Wauquiez à continuer à occuper d’autres clivages et notamment tout ce qui concerne les valeurs et l’identité. A cet égard, le conservatisme qu’il incarne au plan des valeurs sera une marque de fabrique importante de son mandat à la tête de LR. Il va néanmoins devoir faire face à un dilemme qui n’est pas simple : tenter de tenir les deux bouts de la chaîne en se montrant ouvert aux autres sensibilités de la droite et continuer d’affirmer la ligne qui vient de lui valoir un succès très net auprès des militants. Si au sein de la droite française existe toujours les deux courants d’une droite conservatrice et une droite libérale, c’est la partie conservatrice qui a marqué des points au sein du parti LR depuis l’élection d’Emmanuel Macron, qui peut de son côté séduire la droite plus libérale.

Maxime Tandonnet : Il faut distinguer le fond et la forme. Sur la forme, le renouvellement est bien là et il fait pendant à En Marche. Laurent Wauquiez incarne une génération politique nouvelle, celle des quadragénaires. Il a avec lui, dans son entourage proche, des personnalités jeunes comme Guillaume Peltier ou Guillaume Larrivé. Beaucoup de partisans autour de lui sont des hommes et des femmes de moins de cinquante ans. Les ténors de droite, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon, volontairement ou involontairement, lui ont passé le relai. Mais le renouvellement des visages n’implique pas forcément le renouveau sur le fond, et c’est cela qui compte. Mettre en avant les questions de sécurité, de maîtrise de l’immigration et des frontières, de respect de la loi, de discipline à l’école, d’unité nationale contre le communautarisme, la lutte contre le terrorisme, de ne signifie en aucune cas « droite retrécie ». Cela répond à l’attente profonde de l’immense majorité des Français qui souffrent de l’insécurité et sont traumatisés par la montée de la violence. La France est déchirée par une profonde fracture démocratique quand 88% des Français jugent que « les politiques ne tiennent aucun compte de ce que pensent les gens comme eux » et ne font plus confiance aux politiques. Regagner leur confiance est un immense défi qui n’a rien de ringard, bien au contraire. Si Laurent Wauquiez et son équipe parviennent à y répondre, il sera alors possible de parler d’un véritable renouveau. 

Si l'on devait placer cette élection dans la continuité des précédentes élections internes des LR, quelle tendance observe-t-on ? L'accentuation d'une ligne conservatrice aux dépens d'une ligne humaniste est-elle une tendance conjoncturelle ou structurelle à LR ?

Maxime Tandonnet : On peut parler d’une tendance de fond, car elle correspond à une réalité profonde de la société française. Les derniers présidents de LR l’ont emporté sur une ligne dite conservatrice, ou sécuritaire : M. Copé en 2012, M. Sarkozy en 2014, aujourd’hui M. Wauquiez accentue cette tendance. Elle correspond au sentiment que l’Etat n’assure plus convenablement sa mission régalienne fondamentale qui est de protéger les Français dans un monde en plein chaos. On peut donc dire que l’évolution est structurelle et qu’elle dépasse largement le cadre des militants de LR. Mais l’enjeu essentiel est justement de transcender le clivage entre « conservateurs » et « humanistes ». Protéger efficacement la sécurité, la liberté, l’ordre public n’implique pas de manquement au principe d’humanité. L’opinion publique veut l’ordre public et tout autant le respect des droits fondamentaux et sociaux. La société française est extrêmement fragile, notamment parce qu’elle compte une dizaine de millions de personnes reléguées dans l’exclusion,  privées d’emploi ou de logement décent. Le devoir absolu de M. Wauquiez et de son équipe sera de tendre la main à ceux qui sont dans la misère et la souffrance. S’ils ne le font pas, ils seront rejetés par le pays.

Bruno Cautrès : Il faut tout d’abord parler de la participation. L’élection d’hier a fait voter près de 100.000 adhérents LR : dans le contexte de convalescence de la droite aujourd’hui, et de l’ensemble des forces politiques hors LREM, ce chiffre est en fait relativement haut et nettement au-delà des objectifs affichés par le parti lui-même. Lors de l’élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP pour son retour en politique en 2014, il y avait eu 155 851 votants sur un total de 268 341 électeurs, soit 58% de participation. Les chiffres sont plus bas hier, mais dans un tout autre contexte : 99 597 adhérents ont voté, sur un total de 234 556 électeurs inscrits, soit une participation de 42.46%. Et le nombre de participants hier est très nettement supérieur à celui du nombre d’électeurs qui ont voté lors du vote des statuts de LREM cet été (72.000 votants). Au plan des tendances politiques, l’élection d’hier s’inscrit dans une suite : match Coppé / Fillon en 2012, élection avec une forte majorité de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP en 2014, très nette victoire de François Fillon à la primaire pour 2017. Ces précédents scrutins internes à la droite montrent que celle-ci cherche (depuis 2012) à recréer les conditions qui avaient permises l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2007. Pour la droite, il s’agit d’un exercice à l’équilibre difficile : combiner un agenda très affirmé sur l’économie (programme « radical » de Fillon que Laurent Wauquiez ne renie sans doute pas mais qu’il voudra sans doute fortement « revisiter ») et sur les questions identitaires (Laurent Wauquiez s’inscrivant nettement dans les thématiques sarkozystes de 2007 et 2012).  Si la droite n’est pas en train de faire le solde de tout compte du centrisme (et réciproquement), on ne voit pour le moment pas de tendance à renouveler en son sein la ligne « néo-giscardienne » ou « post-bayrouiste ». Avec moins de 10.000 voix (et moins de 10% des exprimés), Maël de Calan, soutenu par Alain Juppé (certes mezzo voce), obtient un score assez faible. Au fond, le triptyque « libéral, social et européen », qui constitue le crédo des centristes de droite, est devenu assez (et peut-être trop) large : tous peuvent le revendiquer et l’agrémenter ou le doser à leur grès, y compris Emmanuel Macron qui a parfaitement joué le coup stratégique de ne laisser aucun espace à la droite-centriste. Il y a donc une tendance structurelle au résultat d’hier exprimée dans un contexte bien particulier, celui des conséquences en chaîne de l’élection d’Emmanuel Macron.

Cette droite peut-elle se replacer comme mouvance d'opposition principale, devant Jean-Luc Mélenchon (d'après un sondage Odoxa publié le 27 novembre dernier, Laurent Wauquiez était vue par 24% des Français comme le meilleur opposant à Emmanuel Macron, derrière Marine Le Pen (29%) et surtout Jean-Luc Mélenchon (37%))?

Bruno Cautrès : Ce sera le principal défi de Laurent Wauquiez dans les mois qui arrivent. La partie n’est pas simple et pas gagnée d’avance car une partie du programme économique de la droite se trouve mise en œuvre par Emmanuel Macron. Les tendances qui se sont exprimées lors de la présidentielle et surtout de son premier tour n’ont pas disparues et les électorats de LFI et du FN n’ont pas été engloutis. Pour être perçu comme principal opposant et « chef de l’opposition », il faudra à Laurent Wauquiez des succès aux européennes et aux municipales. La bataille nationale va vite se déplacer au plan local et européen. Le grand défi de Laurent Wauquiez, pour engranger des succès et se préparer pour 2022, sera de ne pas représenter un épouvantail pour les électeurs de centre-droit au plan des valeurs et des électeurs du FN au plan économique. Cette combinatoire délicate et risquée avait réussi en son temps à Nicolas Sarkozy, mais dans un tout autre contexte. C’est au niveau de la production d’idées nouvelles et de faire émerger de nouveaux visages que LR est aussi attendu au tournant par les français. Ce n’est pas si facile que cela à faire, pour toute organisation politique, et cela vaut aussi au même moment, avec les mêmes enjeux et les mêmes difficultés pour le PS. Les deux grandes formations politiques qui ont dominé notre vie politique au cours des dernières décennies ne sont pas sorties d’affaire et leur avenir est en partie lié aux succès ou échecs de la présidence Macron.  Une tâche d'autant plus difficile que dans les deux cas les préférences des adhérents et celles des cercles plus larges des sympathisants et électeurs ne sont pas totalement à l'unisson.

Maxime Tandonnet : Oui, cela ne fait aucun doute. Les Français ont besoin d’une opposition susceptible d’assurer une alternance sans risque pour le pays. Il n’existe pas de démocratie sans une opposition en mesure de reprendre la relève. Il me semble que l’enjeu de l’opposition qui s’incarne désormais dans M. Wauquiez et son équipe, consiste à restaurer la confiance des Français dans la politique. Avant tout, il lui incombe de donner des gages de sa sincérité à s’engager dans la voie du redressement collectif et non, cinq ans à l’avance, dans une course à l’Elysée qui serait à la fois absurde et suicidaire. Donner une image de la politique fondée sur le bien commun plutôt que la guerre des chefs et la course aux ego et aux satisfactions de vanité : tel est l’immense défi qui se présente à lui. Et aussi sa grande difficulté si l’on en juge par la réaction de ses concurrents chez les Républicains… Le mode d’exercice du pouvoir, en vigueur aujourd’hui en France, repose à la fois sur une place considérable donnée au verbe, à la communication et sur la personnalisation du pouvoir à outrance. Si l’expérience actuelle réussit, la question ne se posera même pas. M. Macron et son parti LREM seront reconduits triomphalement en 2022. Si elle échoue, cela signifiera que les Français veulent tout autre chose : un retour à la politique comme mode d’action collectif en faveur de l’intérêt général et de la vérité. Dès lors, la chance de M. Wauquiez sera d’animer progressivement ce retour à la politique au sens noble du terme, en homme d’Etat plutôt qu’en créature providentielle.

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