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Le Gouvernement vient de présenter un "avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique" dont l’article 1er consacre "le choix durable du recours à l'énergie nucléaire".
Le Gouvernement vient de présenter un "avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique" dont l’article 1er consacre "le choix durable du recours à l'énergie nucléaire".
©OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

Souveraineté énergétique

Le 18 janvier 2024, le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) a lancé une concertation publique sur la question de la prolongation de certaines centrales nucléaires.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Si nos entreprises comptaient sur le retour accéléré d’une électricité abondante et relativement bon marché pour se refaire une santé, qu’elles trouvent autre chose ! Car, à défaut d’une rupture radicale avec l’actuelle administration du pays, les Français vont devoir croire sur parole ceux qui motivent l’augmentation indéfinie de leurs factures par le fait que l’approvisionnement d’énergie électrique est intrinsèquement incapable de suivre la croissance des besoins. Ce 22 janvier 2024, le docte Pascal Perri ne prétendait pas autre chose dans le 6/9 de LCI, en déclarant que "les Français n’ont jamais payé l’électricité à son juste prix, car ayant vécu jusqu’ici sur une rente nucléaire" – sous-entendu impossible à pérenniser et encore moins à faire grossir – "et que les 65 milliards d’euros de dette d’EDF ne viennent pas d’ailleurs" (!).  


Apprécier la dynamique de ce réarmement à l’aune de celle jadis conférée au plan Messmer

Deux mois suffirent à l’exécutif pompidolien pour réagir concrètement aux séquelles économiques de la guerre du Yom Kippour lancée le 6 octobre 1973 par les troupes égypto syriennes contre Israël, et seulement 5 mois pour arrêter un plan précis de défense des intérêts vitaux. Les défis alors imposés à l’économie française par les convulsions géopolitiques d’alors sont largement comparables à ceux d’aujourd’hui, qui résultèrent du quadruplement du prix d’un baril de pétrole passé de 2,9 dollars en juin 1973 à 11,6 dollars en janvier 1974, imposé à Israël et à ses alliés par l’OPEP. Jugée intenable, l’ardoise de 37 milliards de francs en ayant résulté pour notre pays – de 15 milliards en 1972, la facture pétrolière était passée à 52 milliards en 1974 – motiva la décision de construire en guère plus de 20 ans le parc nucléaire que nous connaissons. Ainsi, une facture pourtant à relativiser à l’aune du retour relativement rapide du cours du brut à des niveaux supportables justifia-t-elle une mobilisation économique sans précédent. Quelles conséquences devrions-nous alors tirer de ce que n’ont pas fini de coûter aux Français les séquelles de la guerre d’Ukraine et la désastreuse Transition Énergétique pour la croissance Verte ?

D’abord, la moderne étape institutionnelle du réarmement, un riche parcours législatif du combattant auquel nos aînés n’ont pas eu la chance d’être confrontés

Le Gouvernement vient de présenter un "avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique" dont l’article 1er consacre "le choix durable du recours à l'énergie nucléaire". Il n'est en effet plus question de plafonner la capacité de production installée de notre parc nucléaire, une modification stratégique qui aurait pour effet de rendre la partie législative de notre code de l'énergie incompatible avec les objectifs et les prescriptions du droit de l'Union européenne, en matière d’énergies renouvelables.

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Ainsi, outre une exigence de sobriété et d’efficacité énergétiques accrue (article L.221-1) allant de 1250 TWh/an à 2500 TWh/an, entre 2026 et 2035, outre l’obligation de convertir dès 2027 les installations pilotables thermiques (notamment charbon) aux combustibles bas-carbone, outre l’obligation de dépendre moins des importations (article L.141-7) en recourant davantage aux renouvelables et « à la flexibilité de le demande », ce texte fixe-t-il le nouvel objectif suivant à l'énergie nucléaire :

 "Sous réserve des dispositions relatives à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement, maintenir une puissance installée d'au moins 63 GW et une disponibilité d'au moins 66%, avec l'objectif d'atteindre une disponibilité de 75% à partir de 2030, assurant un socle de sécurité d'approvisionnement jusqu'en 2035 ;

-  Prévoir la création d'une programmation énergétique anticipant la fin d'exploitation des réacteurs existants et en complémentarité des énergies renouvelables, laquelle "fixe "le programme industriel suivant" :

1° Maintenir en fonctionnement toutes les installations de production d'électricité d'origine nucléaire, sous réserve des dispositions relatives à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement ;

2° Construire de nouveaux réacteurs nucléaires, avec l'objectif qu'au moins 9,9 GWe de nouvelles capacités soient engagées d'ici 2026 et que des constructions supplémentaires représentant 13 GW soient engagées au-delà de cette échéance ;

3° Maintenir en fonctionnement les installations contribuant au retraitement et à la valorisation des combustibles usés, sous réserve des dispositions relatives à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement ;

4° Assurer la disponibilité des installations nécessaires à la mise en œuvre du retraitement et de la valorisation des combustibles usés, dans le respect des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'environnement, et définir les modalités d'organisation et de financement adaptées pour favoriser la gestion durable des substances radioactives, la sécurité d'approvisionnement et la maîtrise des coûts ; (..)"

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Avant même d’être confronté aux longues et probablement controversées procédures de créations et/ou d’extensions d’Installations Nucléaires de Base (INB) dont toutes les localisations ne sont pas encore arrêtées, on mesure combien, dans sa phase initiale d’instruction, le dossier du réarmement est exposé aux assauts des voltigeurs des codes de l’énergie et de l’environnement, et à ceux des missionnaires du droit européen.

Les épreuves jalonnant ce parcours du combattant

La concertation du public sur la prolongation des réacteurs de 1300 MW

Le 18 janvier 2024, le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) a lancé une concertation publique sur la question de la prolongation de certaines centrales nucléaires. Vingt réacteurs répartis sur 8 centrales de 1.300 MW bientôt âgées de 40 ans sont concernées, qu’on pourrait avoir à modifier pour les adapter aux aléas climatiques comme la sécheresse. La concertation lancée vise à préparer des contrôles en profondeur, a souligné la présidente du HCTISN. Extrait des échanges en réunion :

Jean-Claude DELALONDE, président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) :

Passer à cinquante ans, à soixante ans et plus, pourquoi pas ! Mais expliquez-nous s’il y a un accident, quelles seraient les conséquences pour la population en matière d'environnement, en matière sanitaire et en matière de survie en général ! Et donc on est préoccupé par ce dispositif, et être assuré que, au vu des retours d'expérience, des problèmes de vieillissement de la technologie, tout soit mis en œuvre pour que notre parc nucléaire continue de bien fonctionner. Donnez-nous toute l'information et répondez à nos questions ! Parce qu'elles ne sont peut-être pas forcément idiotes.

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Lauriane DELANOË :

Et au contraire, ces questions éclairent parfois des angles morts de la sûreté des centrales. « Elles sont prises en compte », d'après le Directeur en charge de la Production nucléaire d'EDF, Etienne DUTHEIL. Ça a été le cas lors de la concertation du même type lancé il y a cinq ans pour les plus anciens réacteurs français, ceux de 900 MWe…

Il y a là tout un petit monde d’experts infus manifestement dans de bonnes dispositions vis-à-vis du nucléaire et, surtout, en grande confiance à l’égard des experts et des spécialistes en charge de son exploitation. C’est sans doute pourquoi le législateur a jugé inutile d’en donner le même caractère formel à leurs homologues de la santé publique et de la navigation aérienne, malgré que ces deux domaines aient régulièrement à répondre de victimes.

La mise en service de l’EPR de Flamanville soumise nouvelle consultation publique par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) jusqu’au 15 février 2024


…L’ASN, lance une dernière consultation publique en ligne, avant l’introduction du combustible dans le bâtiment réacteur. La différence majeure avec la consultation de l’été dernier est la prise en compte de l’avis de l’Autorité environnementale, rendu public depuis ; l’objectif principal étant d’informer et de recueillir les avis du public en matière d’impacts potentiels sur l’environnement et la santé des habitants, les risques associés et les mesures mises en place pour les atténuer […] ce sont ainsi plusieurs milliers de pages qui sont mises à la disposition du grand public dans un souci de transparence…

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Outre que cette démagogie bafouant la portée des délégations et des habilitations conférées à l’élection par tout régime démocratique appelle la même observation que précédemment, on attire l’attention des Français sur le fait que chaque étape technique et/ou procédurale dudit réarmement se verra soumis à ce contraignant passage obligé pour chaque nouvelle unité de production, lors des dépôts de rapports de sûreté et autres dossiers de démantèlement, quand il va s’agir de donner l’autorisation officielle de démarrage…   

Le jeu trouble d’une CRE aux compétences douteuses

La Commission de Régulation de l'énergie a récemment exigé un droit de regard sur les revenus, les estimations de production nucléaire, les conditions d'approvisionnement d'EDF et les contrats de fourniture approuvés par Bercy qu’elle compte conclure, au motif que l’accord de régulation des tarifs en résultant fait grincer quelques dents chez des concurrents comme Engie. La présidente prévient : le nouveau dispositif ne doit pas entraver le bon fonctionnement concurrentiel des marchés de la fourniture d'électricité aux consommateurs, alors que l'ARENH a joué un rôle positif dans le développement de la concurrence sur ces marchés…

Non seulement la digne héritière de l’inénarrable Jean-François Carenco ne manque pas d’air, non seulement on se demande bien pour qui d’autre que pour l’intérêt général elle roule, mais, si le pouvoir politique ne lui retient pas le bras, elle semble bien décidée à plomber la rentabilité du nouveau nucléaire, façon ARENH.

Promettre l’intenable

Le Président Macron a décidé de la construction de 8 réacteurs EPR2, dont les deux premiers sur le site de Penly, en 2035. Selon la Cour des comptes, le coût des 6 EPR2 déjà programmés est estimés à 46 milliards d'euros auxquels il va donc falloir ajouter 61 milliards pour les 8 nouveaux. Leur financement reste encore à trouver et la piste évoquée par le gouvernement semble être de taper dans les recettes du Livret A, mais les discussions demeurent en cours, avec un Bruno Le Maire à la manœuvre, désormais en charge du portefeuille de l'Énergie.

L'Autorité environnementale « indépendante » a d’ores et déjà recommandé à EDF de revoir sa copie sur l'étude d'impact des travaux préparatoires du chantier de Penly, invoquant la préservation du milieu naturel et de la biodiversité marine, de même que les risques liés aux rejets radiologiques, thermiques et chimiques.

La Cour des comptes n’est pas en reste qui appelle à renforcer l'adaptation des nouveaux réacteurs au réchauffement climatique, constatant qu’ils ne comportent pas d'évolution technologique marquée en termes de système de refroidissement sobre en eau et que les projections les plus extrêmes en termes d’élévation de niveau des mers n'ont pas été prises en compte… Sans compter sécheresses et canicules contraignant « régulièrement » les sites de bords de rivières à réduire leurs puissances.

En définitive, l’usage qu’Emmanuel Macron fait ou laisse faire de l’itinéraire décrit jusqu’ici est au « réarmement » ce que l’usage qu’il fait du Conseil Constitutionnel est à la loi sur l’immigration.

Les Français vont devoir rapidement dire ce qu’ils veulent

Coucher dehors plutôt qu’occuper un logement rendu inapte à la location par un DPE classé F ou G ? Différer autant que nécessaire la construction de capacités électro-énergétiques faisant gravement défaut, voire y renoncer partiellement sur l’autel du devoir de sobriété réputé prescrit par la nature et sur celui d’un intangible et multiformes principe de précaution ? Ou mettre les bouchées doubles à débarrasser le programme de réarmement des carcans abusivement règlementaires menaçant de l’entraver, afin de disposer au plus tôt de KWh électriques raisonnablement accessibles en quantité et en coût ?  

Résumons l’ardoise non exhaustive du « en même temps » que le Président prétend faire acquitter sans coup férir par l’État français ou par son intermédiaire : 107 milliards pour 8 EPR2 + 40 à 45 milliards pour la prolongation du parc historique + 160 milliards pour le déploiement de 45 GW d’éolien terrestre et de 18 GW d’éolien offshore d’ici à 2035 ; une ardoise bien entendu à compléter des 65 milliards de dettes et surtout par des quelque 12 milliards annuels de subventions à l’isolation thermique des bâtiments auxquels les bénéficiaires vont être tenus d’aligner une rallonge d’un montant au moins double, durant on ne sait combien d’années.

Tétue et guère patiente, la réalité ne tardera plus à révéler durement aux hommes qu’ils n’ont et n’ont jamais eu d’autre choix que trouver le moyen de produire toujours plus d’énergie, beaucoup d’énergie, sous peine de retour au règne animal dans l’anonymat. Ils savent déjà que la totalité de leur monde artificiel n’est qu’une transformée de l’énergie. Reste à leur faire prendre conscience qu’ils n’échapperont pas au destin de leur espèce par de dérisoires économies d’énergie forcées dont le caractère autorégulateur du vrai marché se charge déjà largement, le fusil à un coup qui finira par les laisser totalement désarmés et épuisés.

Il n’y a aujourd’hui qu’une chose à faire : utiliser l’argent à bon escient, c’est-à-dire exclusivement à développer les moyens de production énergétique les plus prolifiques et les plus rentables et, surtout, à améliorer constamment les rendements techniques, technologiques, sociaux, intellectuels et même culturels de toutes les activités humaines… Bref, à refaire ce que nos aînés ont fait avec succès au début des années 70.

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