Les petits débats d’Emmanuel Macron ou les limites de la (vraie fausse) démocratie directe<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'entretient avec des Français avant de visiter le « Château de Joux » pour assister à une cérémonie marquant le 175e anniversaire de l'abolition de l'esclavage à Dole, le 27 avril 2023.
Emmanuel Macron s'entretient avec des Français avant de visiter le « Château de Joux » pour assister à une cérémonie marquant le 175e anniversaire de l'abolition de l'esclavage à Dole, le 27 avril 2023.
©CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL/ AFP

Déplacements du chef de l'Etat

De retour sur le terrain, Emmanuel Macron a défendu jeudi son bilan à Dole, dans le Jura, auprès des Français avant un hommage mémoriel qui lui a permis de vanter les mérites de "l'ordre" au service de la "liberté". Quels sont les enseignements des échanges du chef de l'Etat avec les Français sur la démocratie directe ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Emmanuel Macron était dans le Jura et dans le Doubs ce jeudi, à la rencontre des Français dans sa logique des "petits débats". Que retenir de ce déplacement ? Et de ces échanges censés incarner la démocratie directe et le contact avec les Français ?

Eric Deschavanne : Parler de « démocratie directe » est quelque peu excessif en la circonstance. Il s’agit ici simplement, comme Emmanuel Macron l’avait fait pour sortir de la crise des Gilets jaunes, d’une opération de communication, ou d’une stratégie de sortie de crise si l’on veut employer une terminologie plus positive. Le président montre ainsi qu’il n’a pas peur du contact avec les Français, qu’il est disposé au dialogue franc et loyal, afin de tenter de contrecarrer l’image du décideur solitaire arrogant et déconnecté qui lui colle à la peau. Je ne pense pas a priori qu’il y ait autre chose que l’image à retenir, ni non plus que l’image en question puisse véritablement changer la donne.

Les échanges qu’Emmanuel Macron multiplie avec les Français mettent en évidence l’asymétrie des positions entre lui et ses interlocuteurs. Puisque ceux qui sont au pouvoir contrôlent et l’information et les processus de décision, n'y a-t-il pas une forme d’hypocrisie ? N’est-ce pas là une des grandes limites de la soi-disant démocratie directe ?

Oui, c’est l’objection que l’on peut faire à l’encontre de cette véritable expérience de démocratie directe que représente la « conventions citoyennes ». Un groupe de députés Renaissance vient par exemple dans une tribune du Monde de proposer une convention citoyenne sur l’immigration, tout en « cadrant » dans le même mouvement cette éventuelle future convention par une présentation orientée du problème. Une convention citoyenne n’est pas exclusivement composée de 150 citoyens tirés au sort et représentatifs de la société française mais également d’un comité de gouvernance qui pilote les débats. La Convention citoyenne pour le climat a parfaitement illustré le problème : quand on connaît la finalité assignée à la convention et la composition du comité de gouvernance, on peut en déduire les conclusions, en réalité déjà présentes en creux dès le départ.

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Par ailleurs ; il existe une seconde limite objective de ce type de pratiques : nous ne sommes pas en régime de démocratie directe mais dans une démocratie représentative. Les conventions citoyennes ne sont qu’un outil de gouvernance supplémentaire pour le président élu et sa majorité, lesquels devront en fin de compte assumer les décisions politiques et leurs conséquences. Les membres des conventions citoyennes, qui n’ont été élus par personne, sont quant à eux parfaitement irresponsables politiquement, au sens où ils n’ont pas à rendre de comptes sur les conséquences de leurs choix.

À quel point la démocratie directe est-elle aussi utilisée, notamment, par l’extrême gauche qui tente d’imposer par là des militants qui ne s’imposent pas dans les urnes ?

La démocratie directe, ou démocratie participative, est un thème essentiel de l’extrême-gauche contemporaine. La critique radicale de la société, alimentée par les colères sociales, auxquelles s’ajoute aujourd’hui le catastrophisme écologiste, ne peut logiquement déboucher que sur un programme de rupture révolutionnaire conduit par un État autoritaire. À l’âge de l’hyper-individualisme cependant, la perspective de la dictature ne séduit plus. La promesse est donc celle d’une révolution produite directement par le peuple, que l’institution d’une réelle démocratie participative rendrait possible en émancipant celui-ci de la tutelle de l’oligarchie. Pour avoir une idée de ce à quoi ressemblerait un tel dépassement de la démocratie représentative par la démocratie directe, il suffit d’observer le fonctionnement de LFI. La démocratie directe en acte apporte toujours la preuve par l’absurde qu’on ne peut éradiquer le phénomène du pouvoir, de sorte qu’il y a toujours des chefs qui dirigent les opérations.

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In fine, cette situation ne rappelle-t-elle pas la nécessité des corps intermédiaires qui représentent des intérêts organisés sur le fond comme sur la forme ? Pourquoi alors ces tentatives de vraie-fausse démocratie directe ?

Le vrai problème est la dérive des institutions de Cinquième République. L’élection du président de la République au suffrage universel a transformé mécaniquement l’Assemblée en chambre d’enregistrement. L’avènement de la société médiatique, le quinquennat et la fin du cumul des mandats ont accentué la pente initiale : le jeu politique n’est plus qu’un face-à-face entre l’élu, le seul qui compte, et la société. Dans ces conditions, on peut comprendre que les colères se focalisent sur la personne du président, du président quel qu’il soit, même si cela se traduit diversement en fonction de la personnalité de chacun. Le processus s’est aggravé avec l’élection d’Emmanuel Macron, puisque celui-ci a été l’instrument du « dégagisme » : son élection a fait le vide, du fait de la liquidation des anciens partis, d’autant que son propre parti est, depuis l’origine, totalement inconsistant, sans ancrage territorial, sans expérience politique ni identité idéologique.

Emmanuel Macron semble avoir conscience des inconvénients d’une telle situation, mais il est sans doute impossible de demander à un homme de pouvoir au pouvoir de limiter un tant soit peu son pouvoir, même si celui-ci apparaît en fin compte tout à fait illusoire. Emmanuel Macron est condamné à la verticalité et il cherche des palliatifs, soit en suivant la voie de la démocratie participative, conventions citoyennes, grands ou petits débats, soit celle de la démocratie représentative et des corps intermédiaires, c’était le sens de l’institution du CNR, ce conseil national de la refondation, dont il était évident dès son annonce qu’il ferait un bide. Rien de tout cela ne peut fonctionner. D’où l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.

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