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Les nouveaux mots enrichissent-ils vraiment la langue française ?
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La langue dans sa poche

La nouvelle édition du Robert illustré sort ce jeudi. Plusieurs centaines de nouveaux mots parmi lesquels "bombasse", "chelou" et "kékés" vont y faire leur entrée.

Thierry Bulot

Thierry Bulot

Thierry Bulot est sociolinguiste, et travaille essentiellement sur la diversité des langues urbaines, sur les faits de discriminations sociolinguistiques et à la professionnalisation de la recherche dans ce domaine  ; il a mené plusieurs recherches portant sur les langues régionales (le normand entre autres) et sur le discours d'interface (particulièrement sur les particularismes du langage dans la relation homme-machine).

Il a ouvert en 1999 chez L’Harmattan une collection de publications intitulée Espaces Discursifs pour favoriser la diffusion des travaux de recherches linguistiques. Il a publié aux Editions des archives contemporaines un livre intitulé Une introduction à la sociolinguistique (Pour l'étude des dynamiques de la langue française dans le monde) Bulot T., Blanchet P., 2013. Paris, 166 pages.

Il participe également au site www.sociolinguistique.fr

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Atlantico : La nouvelle édition du Petit Robert qui sort jeudi compte plusieurs centaines de mots nouveaux.  Parmi eux, "bombasse" "chelou" "choupinet". Quelle est l'utilité du dictionnaire aujourd'hui ?  

Thierry Bulot : Le dictionnaire est dans toutes les cultures de l'écrit un symbole important : il est censé représenter l'état de langue dans lequel nous nous trouvons -dictionnaires d'usage - ou bien ils sont censés représenter la norme -dictionnaires prescriptifs. 

Dans la culture française, le dictionnaire est confondu avec la langue : c'est un objet qui reste véritablement important.  Le Robert est davantage un dictionnaire d'usage, il est censé rendre compte du "mouvement des langues" . 

Concernant les nouveaux médias, dont internet, on s'aperçoit que c'est davantage l'aptitude à utiliser ces outils qui les rend efficaces plutôt que l'existence des outils : le dictionnaire, qu'il soit papier ou numérique est inutile si l'on a pas les compétences nécessaires. Tout en gardant à l'esprit que ce n'est pas forcément grâce au dictionnaire que l'on va mieux écrire. 

Concernant l'usage, beaucoup d'enseignants se servent encore du dictionnaire papier dans l'apprentissage de la langue : beaucoup de dictionnaires sont souvent encyclopédiques - ils ne renseignent pas uniquement sur l'orthographe, mais leur usage et une mise en contexte historique des mots. Les étudiants, en cas de difficulté, se servent toujours du dictionnaire papier, même s'ils consultent également le dictionnaire numérique. 

Les gens dans l'immense majorité sont encore attachés au symbole que représente le dictionnaire papier, même dans le discours actuel du "tout numérique". 


Le dictionnaire ne doit-il pas être prescripteur et garant d'un certain niveau de langue ? Ou doit-il, au contraire, s'adapter aux changements linguistiques de la société ? 

Il y a bien évidemment l'idée qu'un dictionnaire doit être prescripteur puisque cela fait partie de notre culture monolingue française : tous les Français doivent écrire de la même façon sinon  on considérera qu'ils font des fautes. 

Cependant, si on prend certains termes dans la même édition d'un dictionnaire mais dans des époques différentes, leurs définitions changent. Le dictionnaire peut donc être prescripteur mais il ne peut, en même temps, que s'adapter à certaines réalités de l'état de la langue. Nous sommes persuadés que les mots s'écrivent de la même façon depuis très longtemps, alors que ce n'est pas vrai : il y a une crispation identitaire en France autour de l'orthographe qui fait qu'on a besoin de penser qu'elle ne varie jamais. Toucher à l'orthographe ne signifie pas nécessairement toucher à la langue. 


En linguistique, l'usage fait la norme. Est-ce regrettable ou au contraire bénéfique pour la langue selon vous ? Les nouveaux mots représentent-ils un appauvrissement, une dégénérescence ou bien au contraire un enrichissement pour la langue française? 

L'usage fait la norme même si le discours social nous fait penser le contraire. On est toujours dans l'idée que plus le temps avance plus la langue dégénère. C'est une idée qui existe depuis que l'Histoire existe. Mais évidemment, ce n'est pas comme cela que les choses se font : dire qu'il y a un appauvrissement de la langue, c'est qu'on regrette un état de langue qui n'existe plus et qui n'est plus celui que l'on partage. Mais en réalité, la langue doit correspondre aux besoins sociaux. On ne peut pas regretter que des termes ne soient plus employés s'il n'y a pas les usages sociaux qui vont avec. 

Les nouveaux mots sont-ils l'unique raison des changements de la langue ? Quelles sont les autres ? 

Il y a bien évidemment le corps enseignant qui joue un rôle prescripteur important, tout comme les personnalités médiatiques. Il y a également un rôle important des mobilités sociales, qui font que nous rencontrons d'autres façons de parler que la notre. Plus les échanges humains sont importants, plus les normes sont modifiées : une langue ne serait jamais modifiée dans une société fermée aux autres cultures. 

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