Les musulmans de France de plus en plus assignés à résidence identitaire par les islamistes<!-- --> | Atlantico.fr
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Rachida, qui a participé à l'émission "Face à la rue" sur CNews dans la ville de Drancy, a reçu des menaces de mort pour avoir retiré son voile devant Eric Zemmour.
Rachida, qui a participé à l'émission "Face à la rue" sur CNews dans la ville de Drancy, a reçu des menaces de mort pour avoir retiré son voile devant Eric Zemmour.
©Capture d'écran / C8 / DR

Pression religieuse

Les menaces de mort visant la femme ayant accepté de retirer son voile à Drancy face à Éric Zemmour sont très représentatives du destin de nombre de musulmanes : libres de mettre un voile, prisonnières pour l’avoir mis…

Florence Bergeaud-Blackler

Florence Bergeaud-Blackler

Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue, chargée de recherche au CNRS dans le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités. Paris Sciences et Lettres Université (PSL University).

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Atlantico : Invité de l’émission « Face à la rue » ce lundi 25 octobre, Eric Zemmour a participé à une séquence dans laquelle on le voit échanger avec des habitants de la ville de Drancy. Au terme d’un échange sur la laïcité, une femme voilée accepte de retirer son voile si le candidat supposé à la présidentielle accepte d’en faire de même avec sa cravate. Très vite, elle se retrouve victime de nombreuses insultes et menaces de mort sur les réseaux sociaux. Peut-on parler d’assignation à résidence par les islamistes ?

Florence Bergeaud-Blackler :J’ai vu cette séquence devenue virale. Une femme prise dans un dialogue avec le putatif candidat Eric Zemmour devant les caméras dans une ville de banlieue ose enlever son voile pour prouver qu’une femme choisit librement de le mettre. Elle ne réalise pas alors la portée de son geste qui a pour effet de montrer le contraire de ce qu’elle veut prouver. Les insultes fusent. Elles montrent que le contrôle social des femmes est très fort et qu’elles ne sont pas libres de choisir, du moins individuellement. La réprobation n’a pas été le seul fait de militants islamistes endurcis. Il y a ceux qui ont persiflé estimant que cette femme avait perdu tout honneur face au perfide Zemmour, et il y a ceux qui l’ont conspuée estimant que ce geste filmé déshonorait l’Umma, la violait, certains appelant même à mettre sa tête à prix.

Cette femme a courageusement fait un geste transgressif et son interlocuteur l’a laissé aller jusqu’au bout, alors qu’il s’avait très bien quelles seraient les retombées. Avec M.Zemmour, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Cette séquence est pénible mais elle montre une certaine vérité : la communauté veille, elle continue d’avoir une emprise, plus ou moins insidieusement, même chez ceux qui s’en croient libérés. Ce terreau communautaire est pain bénit pour les islamistes. Sans ce terreau, ils ne pourraient rien. Mais à l’inverse sans les islamistes, la communauté se serait peut-être disloquée et une majorité totalement assimilée.

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Comment le port du voile, à l’image des boucheries « Hallal », sont devenus des marqueurs identitaires ?

Le voile et la boucherie halal symbolisent la présence musulmane, en ce sens on peut les appeler marqueurs identitaires. Mais c’est très insuffisant et même problématique de réduire ces deux choses à des « signes ».

Ce sont des normes, donc bien plus que des signes. Elles instaurent et maintiennent une certaine vision du monde et des relations sociales. Le halal est ce qui organise la convivialité différemment du projet laïque en distinguant les musulmans des autres gens du Livre et les Gens du Livres des autres humains.

Cette norme halal, fille du fondamentalisme islamiste et du capitalisme néolibéral, s’est étendue bien au-delà de la boucherie, pour réguler la consommation, l’économie quotidienne des relations, les biens culturels. Grâce aux aliments, aux hotels et aux sites de rencontres halal, on peut manger, voyager, aimer dans l’espace normatif du halal, rester dans l’entre soi et éviter l’assimilation.

Le voilement -le hijab pour être précis qui ne doit laisser voir que l'ovale du visage- régule les relations entre les sexes, assigne à ces derniers des fonctions spécifiques, et organise l’asymétrie qui permet aux hommes de dominer les femmes qui doivent se consacrer pleinement à la fabrique de musulmans, l’objectif étant d’étendre l’islam jusqu’à ce qu’il domine le monde.

Il y a dans le Coran cette vague utopie d’un monde qui parviendra à être terre d’islam. Mais les islamistes et notamment les Frères Musulmans et leurs cousins pakistanais de la Jamat Islami, en ont fait un véritable programme. Ces groupes  sont nés au XX° et continuent de se développer sur tous les continents pour instaurer le califat sur terre, par tous les moyens y compris les plus sournois et leur influence sur les musulmans est plus que préoccupante notamment en raison de l'activisme culturellement  suicidaire de leurs alliés de la gauche décoloniale, dite "islamogauchiste" ou woke.

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Comment peut-on sortir du piège identitaire tendu par les islamistes ?

La meilleure façon de sortir du piège tendu par les islamistes c’est de distinguer islam et islamisme, les confondre c’est faire le lit de l’islam politique.

Il ne faut pas perdre de vue la possibilité qu’ont les religions de composer avec la culture locale. L’histoire l’a montré. Et il faut soutenir ceux qui prônent l’assimilation de l’islam, et proposent de soumettre la charia à la loi locale.  Ces personnages existent et ne pas distinguer l’islam et l’islamisme, comme le fait M. Zemmour, revient à les enterrer. De plus c’est une caricature qui ne correspond pas aux analyses dont l’essayiste érudit est capable par ailleurs.  S’il croyait vraiment qu’islam et islamisme ne font qu’un, il ne proposerait pas de concordat avec l’islam sur le modèle du judaïsme pour, selon la formule de Clermont Tonnerre, tout refuser aux musulmans comme nation et tout accorder aux musulmans comme individus.

Nous sommes dans une période de mondialisation qui découple le religieux de la culture, comme dirait Olivier Roy même s’il n’en tire hélas aucune conséquence, ce qui produit un fondamentalisme islamiste hors sol qui n’a plus que la norme écrite comme support. Cela donne une norme compatible avec les systèmes de normalisation de l’économie néo-libérale comme le label halal, et ce que j’ai appelé la pureté industrielle qui a remplacé la pureté rituelle. L’islam s’industrialise, se rationnalise, se binarise, se rigidifie et perd sa poesie sous l’empire de l’islamisme. Il a besoin de se réconcilier avec l’humanité, à se défaire de l’emprise du halal cette monstruosité contemporaine. La domination frériste dans le champ religieux n’aidant pas, si cela continue il faudra sans doute l’intervention de l’État. Je suis très attachée à la laïcité mais la perspective concordataire, si elle est assumée, pourrait être nécessaire.

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