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Les multinationales françaises sont le fer de lance du commerce extérieur français mais aussi de sa dégradation.
Les multinationales françaises sont le fer de lance du commerce extérieur français mais aussi de sa dégradation.
©François Lo Presti / AFP

Phénomène paradoxal

Les entreprises multinationales françaises contribuent positivement au solde commercial des biens. Le tassement de leur excédent, de près de 2 points de PIB entre 2000 et 2018, explique la détérioration du solde commercial français depuis deux décennies.

Vincent  Vicard

Vincent Vicard

Vincent Vicard est Économiste - Resp. programme Analyse du Commerce International - CEPII.

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Atlantico : Dans une lettre publiée par le CEPII, vous relevez que les multinationales françaises sont le fer de lance du commerce extérieur français, mais aussi de sa dégradation. Peut-on considérer que ce phénomène est paradoxal ? 

Vincent Vicard : En effet. L'importance des grands groupes multinationaux est une caractéristique bien connue de l'économie française. Par rapport aux autres multinationales européennes, les multinationales françaises apparaissent particulièrement performantes: lorsqu'on regarde le classement des 500 plus grandes multinationales mondiales fait par Fortune, on s’aperçoit qu’il y a une trentaine d’entreprises françaises, soit plus que les entreprises allemandes, britanniques, italiennes …Mais même si elles sont performantes au niveau mondial, ces entreprises peuvent très bien ne pas contribuer à la production industrielle et aux exportations françaises.

Nous montrons dans cette Lettre du CEPII qu’elles contribuent positivement au solde commercial français, contrairement aux multinationales étrangères et aux entreprises franco-françaises; c'est la raison pour laquelle on parle du « fer de lance » du commerce extérieur français. En revanche, ce qu’on voit aussi, et c’est le cœur de cette note, c’est le déclin de l’excédent commercial des multinationales françaises, qui explique la majorité de la détérioration du solde commercial pour les biens. Quand les multinationales avaient un solde commercial de l’ordre de 4% du PIB en 2000, il a été réduit à près de 2% en 2018. Cette dégradation a été particulièrement palpable entre 2000 et 2010. Cela participe donc largement à la dégradation du solde commercial des biens français, passé de positif en 2000 à négatif en 2018, et encore plus aujourd’hui alors que le déficit dépasse 100 milliards d'euros.

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Comment expliquer que le tassement de l’excédent des multinationales françaises nuise autant au solde commercial ? 

Le rôle des multinationales dans l’évolution du solde n’avait jamais été étudié. On sait l'importance des activités à l'étranger des multinationales françaises, qui emploient plus de 6 millions de salariés à l'étranger. En terme de commerce international, l'impact de ces investissements à l'étanger n'est cependant pas évident: s'ils correspondent à des délocalisations de biens intermédiaires permettant ensuite d'améliorer la performance des entreprises exportatrices nationales, ces investissements pourront avoir un impact positif sur le solde commercial français; à l'inverse, s'ils correspondent à la délocalisation à l'étranger de pans entiers de la production, pour à la fois servir les consommateurs étrangers et les consommateurs français en ré-important, ils dégraderont le solde commercial en réduisant les exportations et en augmentant les importations. Nous montrons dans cette étude que c'est plutot le second modèle qui domine en France ces dernières années, les secteurs dominés par les multinationales affichant en effet de plus grandes pertes de part de marché à l'exportation et une hausse des importations plus rapide.

Plusieurs éléments peuvent expliquer de tels choix des multinationales françaises, différents des multinationales allemandes par exemple, et notamment le mode de gouvernance des grandes entreprises. Une première piste est la proximité des centres de décision de ces entreprises avec les activités de production. La concentration des sièges sociaux en Ile de France peut générer un certain éloignement avec les établissements de production, ce qui est moins le cas en Allemagne puisque les centres de décision sont mieux répartis sur le territoire. Cet éloignement est défavorable à l’emploi des sites éloignés et a pu favoriser des stratégies de délocalisation.

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Un deuxième élément peut expliquer les différences entre les stratégies des multinationales françaises et allemandes : l’organisation des structures de gouvernance et notamment la représentation des salariés dans les conseils de surveillance, ce qu’on appelle la co-détermination. En Allemagne, 50% des membres des conseils de surveillance sont élus par les salariés des grandes entreprises, contre 15% en France. Cette différence peut également expliquer la moindre externalisation des activités et donc une moindre délocalisation des activités de production. 

Comment établissez-vous la part de responsabilité des multinationales et la diminution de leur excédent dans la dégradation globale que vous relevez ? 

Ce qu’il faut, c’est pouvoir rapprocher les données sur la détention des entreprises et les données de commerce détaillées par les douanes. On sépare les entreprises selon qu'elles font partie d’une multinationale française ou étrangère ou sont indépendantes. En considérant les multinationales françaises comme un groupe, on peut savoir quelle est leur contribution au solde commercial. Dès lors, on s’aperçoit que ce solde passe de 4,4% du PIB à 2,5% à la fin de la période.

Certains éléments peuvent cependant brouiller ce message. Des entreprises françaises peuvent être rachetées par des multinationales étrangères, contribuant à réduire l’excédent français et gonfler celui des multinationales étrangères. Notre étude montre que ce n'est pas ce qui explique la dégradation du solde des multinationales françaises.

Pour aller plus loin, on voudrait comparer une multinationale française avec une entreprise similaire qui n’est pas une multinationale. C’est cependant impossible puisque les multinationales, qui sont dominantes dans certains secteurs, influencent le comportement des autres entreprises. Nous nous sommes donc intéressés aux produits de spécialisation des multinationales au début de la période en l’an 2000. Pour certains produits, les multinationales représentent 95% ou 100% des exportations, pour d'autres moins de 10%. On se demande donc si ces produits ont connu une augmentation des exportations ou des importations meilleures ou moins bonnes que les produits pour lesquels on a essentiellement des entreprises franco-françaises ou des multinationales étrangères. On s’aperçoit que les produits pour lesquels les multinationales étaient très présentes en 2000 sont des produits de spécialisation de la France à cette période, qui possède un certain avantage comparatif et des parts de marché plus importantes. Nos résultats montrent pourtant que ces produits connaissent une croissance des exportations moins importante et une croissance des importations plus importante par rapport aux autres produits. Cela confirme le diagnostic que ce phénomène est spécifique aux multinationales françaises, au-delà de tous les facteurs communs à toutes les entreprises sur le territoire, comme les questions de coût du travail.

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Vous parlez des produits de spécialisation de la France. Quels sont-ils ? 

Il y en a un certain nombre et les secteurs sont très hétérogènes. On peut déjà citer l’aéronautique : les moteurs d’avion, les avions eux-même, les hélicoptères… Il y a aussi l’industrie automobile, navale, les produits de métallurgie… Pour ces produits de spécialisation, les parts de marché des multinationales françaises sont souvent supérieures à 95% en 2000. On sait que le secteur de l’aéronautique est assez atypique en France et a gagné des parts de marché à l’international quand d’autres secteurs en ont perdu. Le secteur automobile est, lui, assez illustratif de ce que nous montrons pour l'ensemble des multinationales françaises: dans la première décennie des années 2000, la stratégie des grandes multinationales du secteurs a privilégié la délocalisation des activités d’assemblages dans des pays proches où le coût main d’oeuvre est moins important, dans le but d’exporter vers les marchés étrangers ou de ré-importer vers le marché français. Ces stratégies ont pesé sur le déficit commercial, le secteur automobile expliquant par exemple près du tiers de la divergence entre la France et l'Allemagne en termes de solde commercial au cours des deux dernières décennies.

Est-il possible de faire des choses pour renverser cette situation ? Ce constat peut-il mener à des réflexions sur les moyens d’y remédier ? 

Tout à fait. Un des éléments qui semble important est la question de la ré-industrialisation. Ce thème semble primordial aujourd’hui, notamment dans le discours gouvernemental et au moment où le déficit commercial français atteint plus de 100 milliards d'euros. Cette question de la désindustrialisation est liée à des choix d’internationalisation des entreprises françaises et non à des déséquilibres extérieurs. Le compte courant est d’ailleurs relativement équilibré. Les déficits sur les biens sont compensés par des excédents sur les services et les revenus des activités à l’étranger des multinationales, ce qu’on appelle les revenus d’investissements directs étrangers. C’est donc une question de la spécialisation de l’économie française qui fait la part belle aux services et à l’activité à l’étranger des multinationales.

Cela implique qu'il faut penser des politiques favorisant l’ancrage des multinationales françaises sur le territoire. C’est une dimension difficile à mettre en place mais cela pointe vers des outils ou des instruments qui visent à ancrer les établissements de production des multinationales sur le territoire français, et pas seulement leurs activités de siège ou de R&D. Il faut donc développer des territoires et des écosystèmes industriels dans lesquels les entreprises sont ancrées et ont des interactions avec leurs sous-traitants et les institutions locales qui les obligent à rester sur le territoire, pour bénéficier des interactions avec d’autres acteurs locaux.

Cela peut aussi passer par des politiques visant à réformer la gouvernance des multinationales, comme la représentation des salariés dans les conseils d’administration, pour approcher des 50% de représentants de salariés dans les grands groupes. Cet élément n’est pas nouveau et se trouvait déjà dans le rapport Gallois en 2012, fait à la demande du gouvernement Ayrault comme un diagnostic sur la désindustrialisation en France et les pertes de marché à l’exportation.

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