Les mous-mous font de la transparence : quand les déclarations de patrimoine des membres du gouvernement expliquent l'impuissance française face à la crise<!-- --> | Atlantico.fr
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Les membres du gouvernement Valls ont publié leurs déclarations de patrimoine
Les membres du gouvernement Valls ont publié leurs déclarations de patrimoine
©Reuters/Charles Platiau

La clarté du vide

L'opération de communication du gouvernement sur son patrimoine peut certes être perçue comme un acte louable politiquement, mais elle en dit surtout long sur la très mauvaise gestion qu'ont nos ministres de leurs comptes personnels. Un fait qui laisse sceptique quant à leurs capacités de gestionnaires des finances du pays

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Manuel Valls dispose d’un patrimoine immobilier d’environ 600 000 euros, mais ses comptes en banque sont très peu fournis : 5 000 euros environ. Au regard de son salaire de 14 910 euros bruts par mois, n’est-ce pas surprenant ? Où a-t-il pu mettre son argent ?

Philippe Crevel : On peut effectivement se demander pourquoi il ne détient que 5000 euros, alors que l'on détient en général un mois de salaire sur ses comptes. La seule explication que l'on pourrait trouver est qu'il n'a besoin que de très peu de liquidités, sachant que Matignon couvre une très grande partie de ses dépenses. En tout cas ce n’est pas un épargnant, il a plutôt l’air d’être un très gros consommateur. Les remboursements d'emprunts (environ 2 000 euros/mois) peuvent aussi expliquer en partie ces faibles liquidités.

Il reste tout de même étonnant de voir que le Premier ministre français n'ait que si peu de capital financier, a fortiori au regard de son salaire. Son compte courant est du reste crédité de 2 774,17 euros alors qu'en théorie il devrait avoir une somme s'approchant d'avantage des 5 000 euros, et à peu près 12 000 euros sur son livret de développement durable et sur son livret A. C'est en tout cas un total de liquidités qui est très en dessous de la norme française généralement observée.

Manuel Valls est donc quelqu’un qui fonctionne en flux tendus, et l'on pourrait dire à première vue qu'il tente de relancer l'économie en consommant beaucoup. En revanche il n'épargne pas et ne se suit pas les préceptes de son gouvernent, qui préconise les placements longs. Il ne favorise pas la réorientation de l’épargne en faveur des entreprises.

Michel Sapin, le ministre des Finances et des Comptes publics, possède sept biens immobiliers (en bien propre ou en indivision pour certains) pour un montant estimé à 1,77 millions d'euros. Le ministre déclare aussi avoir  un peu plus de 17 000 euros sur deux comptes en banque au Crédit agricole, et 93 000 euros de mobiliers. Quel est son profil d’épargnant ?

Il est très investi dans l’immobilier, comme tous les ministres du gouvernement. Le patrimoine moyen des Français tourne autour de 300 000 euros, le sien est donc très important. En revanche la part sur les valeurs mobilières est nulle. Pour un ministre des Finances, c’est assez surprenant. Ajoutons que sa partie immeuble est surtout liée à de la succession, ce n’est donc pas un patrimoine qu’il s’est constitué de lui-même ; et alors qu’il incite les Français à prendre des actions, un PEA-PME et autres, il ne dispose d’aucune valeur mobilière. Son compte ouvert de 16 000 euros, en revanche, est assez logique, plus que celui du Premier ministre en tout cas.

Le patrimoine d’Arnaud Montebourg, actuel ministre de l’Economie, du redressement productif et du numérique, s’élève à 1 468 089 euros dont 1 125 000 euros en valeurs immobilières et 331 420 euros sur des comptes bancaires. Quelle analyse peut-on en faire ?

Arnaud Montebourg fait partie des propriétaires immobiliers riches. Là aussi, pour quelqu’un qui souhaite le financement de l’entreprise française, on reste sur du patrimoine essentiellement investi dans de l’immobilier. Il n’a aucune valeur mobilière non plus.

On ne peut pas dire de lui qu’il est un épargnant très avisé, car avoir sur un livret 313 000 euros, rémunérés au mieux à 2 % et ultra fiscalisés, ça n’a rien d’intéressant. Il ferait mieux de mettre son argent sur un contrat d’assurance-vie et sur le futur contrat euro croissance qui sera en vente d’ici quelques semaines. Cela ne peut avoir d’intérêt que s’il a un projet à court terme.

Globalement, les membres du gouvernement sont-ils des thésauriseurs, ou au contraire des investisseurs ? Profitent-ils à l’économie ?

Les Français mettent deux tiers de leur patrimoine dans l’immobilier, et un tiers dans des placements financiers. Là, on est plus proche de 80 % placés dans l’immobilier, et de 20 % dans le mobilier. Les ministres sont donc peu productifs, et lorsque leurs placements sont financiers, ils ne sont pas dans l’assurance-vie en actions, mais à court terme, peu rémunérateurs, et peu en phase avec l’économie réelle. Par conséquent nos ministres sont des thésauriseurs. Ils sont très prudents, ne sont pas culturellement portés sur le financement des entreprises, et de ce point de vue-là sont plus Français que les Français moyens.

Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, aurait dans un premier temps sous-évalué ses biens de 30 à 40 %. En quoi est-ce révélateur du manque d’exemplarité du gouvernement ?

Soit il a été malhonnête, soit il ne sait pas réellement ce qu’il possède, ce qui peut indiquer qu’il n’est pas un bon gestionnaire de sa fortune personnelle. Il est vrai que souvent, les hommes politiques n’ont pas beaucoup de temps. Ce sont des questions qu’ils délèguent, qu’ils regardent de loin, car leur rapport à l’argent est extrêmement complexe. Ils ont du mal à appréhender la notion de valeur, et le fait de s’occuper de questions d’argent leur est difficile du fait de la pression qui s’exerce autour d’eux. Déjà que les Français ont un rapport compliqué à l’argent, ça l’est encore plus pour eux à cause de la suspicion, et parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise sur ce terrain.

En quoi cela est-il révélateur de l'incapacité des membres du gouvernement à faire face à la crise ?

Ce ne sont pas des gens qui prennent des risques, et on pourrait se dire que c’est une bonne chose pour l’économie et le budget. Par contre on voit qu’ils ne sont pas en phase avec ce qu’ils demandent aux Français, ce qui n’est pas politiquement correct. Et surtout, je dirais que cela prouve leur méconnaissance de la vie économique, ce qui est assez inquiétant.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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