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Les métropoles superstars victimes de leur succès (et celles qui parviennent à échapper aux effets pervers)
©LUDOVIC MARIN / AFP

Désamour

Les "Superstar cities", les villes riches, attractives et où il y a beaucoup d’offres d’emplois (Los Angeles, New York, Paris, Londres, Amsterdam ou Tokyo) ont attiré massivement dans les années 2000. Depuis 2015, le schéma s'inverse avec des vagues de départs au sein de ces grandes villes.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Depuis quelques années, certaines villes-centres de villes globales, telles que Paris, voientleur population diminuer. Comment expliquer ce phénomène ? 

Laurent Chalard : Le phénomène de dépeuplement des ville-centres des grandes agglomérations des pays riches, comme de certains pays à niveau de vie intermédiaire, ne constitue nullement une nouveauté de ces dernières années, mais est un phénomène structurel, qui a émergé dès la première moitié du XX° siècle dans les grandes métropoles d’Europe Occidentale, dont Paris, consécutivementau phénomène de décohabitation, c’est-à-dire de forte diminution de la taille des ménages dans un contexte de faible évolution du volume de logements, ces villes étant quasiment entièrement urbanisées et une partie du parc de logements ayant été transformé en bureaux, ainsi qu’accessoirement de la hausse de la vacance, un phénomène qui a été plus sensible outre-Atlantique. En effet, du fait, dans un premier temps, de la baisse de la fécondité et, dans un second temps, du vieillissement de la population et de l’évolution des formes de cohabitation familiale (séparation des couples, familles monoparentales, progression du célibat), la taille des ménages s’est effondrée, passant sous le chiffre moyen de 2 personnes par ménage dans certaines ville-centres, dont Paris. Il s’en est suivi une diminution plus ou moins forte de la population.Par exemple, Paris a perdu 780 000 habitants entre 1921 et 1999, Londres 1,2 million entre 1931 et 1991, et New York 820 000 entre 1950 et 1980. Dans toutes ces villes, la population a migré vers les banlieues, où l’offre de logements, en particulier familiaux, était abondante. Cependant, à partir des années 1990, certaines de ces villes ont vu leur population rebondir grâce à une politique de forte densification de l’habitat, qui passe en particulier par la récupération des grandes friches industrielles, ayant permis de limiter les départs vers la périphérie. Ce phénomène de rebond semble néanmoins s’essouffler dans certaines villes, dont Paris, où les possibilités de construire plus de logements apparaissent limitées dans un contexte où toutes les friches industrielles majeures ont été réaménagées. 

Ce phénomène ne s'observe pas dans l'ensemble des villes globales. Londres, Tokyo ou New York ne voyant par leur population diminuer. Des chiffres qui sont utilisés par certains politiciens pour faire valoir leur politique. En quoi ces comparaisons sont-elles erronées ?

Effectivement, comparaison n’est pas raison ! L’un des principaux problèmes rencontrés par les spécialistes dans les études comparatives entre les grandes agglomérations mondiales concerne la forte dépendance aux entités administratives, puisque les statistiques démographiques sont, en règle générale, principalement disponible à cette échelle. Or, selon l’histoire administrative de chaque pays, la superficie de la ville-centre est très variable, étant très élevée dans certains Etats du fait d’une politique de fusion des communes par le passé, alors que dans d’autres, à commencer par la France, cette superficie est très faible du fait d’une forte fragmentation communale. En conséquence, dans certains cas, la ville-centre ne représente qu’une faible partie de la population de l’agglomération (20 % à Paris en 2016), alors que dans d’autres, elle en constitue une part élevée (84 % à Londres en 2011). Il s’en suit que pour que les comparaisons aient un sens, il faudrait mettre en rapport l’évolution de la population de Paris intra-muros (105 km2) uniquement avec l’Inner London, de taille plus comparable (319 km2) que la municipalité de Londres (1572 km2), 15 fois plus grande ! Pour New York aussi, il est plus pertinent de comparer Paris à Manhattan (87 km2), le quartier central de l’agglomération, et non à la municipalité de New York. Il en va de même pour Tokyo, oùla comparaison ne devrait prendre en compte que la partie centrale de la commune.Cependant, si l’on utilise les chiffres aux échelles précédentes pour Londres et New York, on constatera que la population continue d’y augmenter ces dernières années même si c’est de manière moins vive qu’au niveau de la municipalité, alors qu’elle diminue à Paris intra-muros. Donc, si la comparaison à l’échelle communale est erronée à la base, il n’en demeure pas moins qu’à une échelle plus pertinente, Paris se situe en retrait sur le plan de l’évolution démographique par rapport aux villes globales concurrentes anglo-saxonnes.

Ce genre de raisonnement n'est-il pas la preuve d'une certaine manipulation de l'opinion ? 

Par définition, les politiques (mais c’est aussi valable pour d’autres métiers, y compris malheureusement chez certains chercheurs !) ont toujours utilisé les statistiques qui vont dans le sens de leur argumentaire sans trop se préoccuper de leur validité. Donc, si vous voulez montrer que Paris est peu dynamique sur le plan démographique, ce qui serait la preuve d’une perte d’attractivité par rapport à cette concurrente (un argumentaire erroné par ailleurs), il vous suffit de comparer les données statistiques de la commune de Paris (une population orientée à la baisse ces dernières années) avec celle d’autres municipalités de ville globale, où la population croît fortement, comme Londres. Pourquoi se fatiguer à faire des recherches statistiques plus poussées alors que vous avez trouvé facilement les données que vous souhaitiez mettre en avant. Il en va de même pour la question de la densité, où l’on entend souvent que Paris a la plus forte densité des ville-centres des pays développés, plus élevée que New York ou Tokyo, alors que si l’on effectue la comparaison à une échelle pertinente, c’est-à-dire par exemple avec Manhattan, l’information apparaît erronée puisque la densité y est de plus de 26 000 habitants par km2 en 2018 contre seulement un peu plus de 20 000 habitants par km2 à Paris en 2016 ! Il est aussi probable que la zone centrale de la municipalité de Tokyo affiche une densité supérieure à Paris intra-muros, certains quartiers centraux ayant plus de 30 000 habitants par km2. 

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